Frères et sœurs,
Quel est le royaume dont vous rêvez ? si je vous laissais quelques minutes pour y penser…
Le royaume dont on rêve
Chacun a sa réponse à donner : si vous êtes malade : « pas de maladie à supporter », direz-vous ; si vous avez un mari difficile : « un monde où les maris sont gentils », ou encore : « un monde où il n’y aurait plus du tout de handicap », « un monde où l’on aurait pas besoin de compter », si vous avez des difficultés financières, « un monde dans lequel il n’y a pas d’échec », si vous en avez connu…
Nous aimerions bien vivre dans le meilleur des mondes, un monde où tout baigne, tout est facile, où on respirerait. Mais, n’est-ce une conception un peu mondaine ? et au nom de ce "meilleur des mondes", aujourd’hui, si un petit bébé se présente et que ce n’est pas le ’meilleur moment’, ou qu’il a un handicap, on le supprimerait ? et si des personnes commencent à avoir une vie compliquée - et c’est vrai que parfois, cela peut devenir très difficile - on pratique l’euthanasie, car c’est tout de même plus simple… au nom du meilleur des mondes.
Et derrière tout cela, c’est surtout un monde sans souffrances que l’on désire. On rêve d’un amour facile, d’être entourés de personnes qui ont toutes les qualités, d’enfants qui nous écouteraient toujours… un monde sans soucis, sans bavures, où c’est facile d’aimer.
Dans l’évangile, ce que nous disent les chefs des prêtres, les soldats, et le mauvais larron - appelons-le comme ça : « si tu es le Messie, sauve-toi toi-même ! », en d’autres termes : pourquoi le Messie vivrait la souffrance ? la Croix n’a pas de sens !, ou encore : "si tu ne peux pas te libérer de la souffrance, cela montre bien que tu n’es pas le Messie…"
Chacun a son point de vue très personnel et reste enfermé dans une problématique centrée sur eux-mêmes.
Quand bien même il serait roi, il devrait être puissant ! et là, il est attaché et ne bouge plus… là, où le malfaiteur rêve d’une seule chose, c’est d’être libéré de ce supplice qu’il a tout de même mérité, pour une part au moins.
Ainsi, tous ne conçoivent pas que l’on puisse traverser et vivre cette souffrance.
Dans la deuxième lecture, Saint Paul nous dit que Lui, le Fils, est l’image du Dieu invisible. Et justement, sur la Croix, Jésus est l’image du Dieu invisible. Et le royaume qu’Il nous propose, ce n’est pas forcément le royaume dont on rêve spontanément. Ce n’est pas un royaume aux circonstances idéales, où l’on aurait plus d’effort à faire - pas même besoin de se lever le matin ! - tout serait facile.
Le royaume que nous propose Jésus
Comme on le voit dans certains passages d’évangile, le royaume dont nous parle Jésus a plus à voir avec les qualités de cœur qu’il nous faut avoir pour y accéder. On peut alors voir de plus près les qualités de cœur du « bon larron ». Avant, il n’était pas bon, certes ! mais là, quelque chose s’est passé en lui. Alors, quel est le royaume que propose Jésus.
Et on le voit aussi au jugement dernier dans Saint Matthieu, qui est choisi pour une autre année pour cette fête du Christ-Roi : on voit le roi assis qui dit à certains :
Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi ! »
(Mt 25, 34-36)
Il s’agit là d’une énumération des qualités cœur, des qualités d’attention dont nous pourrions faire preuve envers ceux qui sont dans la détresse, ceux qui rencontrent la souffrance.
Ou encore dans un autre passage de Saint Luc, là où il y a le pauvre Lazare et le riche opulent. Et : ce qui est reproché au riche, ce n’est pas d’avoir fait des choses mauvaises, de tuer père et mère, d’avoir menti, été gourmand, que sais-je, mais de ne pas avoir vu, de ne pas avoir fait attention, de ne pas avoir été sensible, d’avoir gardé son cœur fermé à la détresse du pauvre Lazare qui gisait devant sa porte.
En cette fête du Christ-Roi, nous pourrions justement demander comme grâce que le Seigneur nous éduque à cette qualité de cœur. _Permettez-moi de citer quelques phrases de Jean Vanier que j’aime particulièrement et qui expriment bien cela :
Le pauvre révèle Jésus-Christ. Il fait découvrir à celui qui est venu pour “l’aider”, sa propre pauvreté et sa propre vulnérabilité.
Il lui fait découvrir aussi sa capacité d’aimer, les puissances aimantes de son cœur. Le pauvre a un pouvoir mystérieux ; dans sa faiblesse, il devient capable de toucher les cœurs endurcis et de leur révéler les sources d’eau vive cachées en eux.
C’est la toute petite main de l’enfant dont on n’a pas peur et qui se glisse à travers les barreaux de notre prison d’égoïsme. Il arrive à ouvrir la serrure. Il libère. Et Dieu se cache dans l’enfant…
(Jean Vanier, La communauté, lieu du pardon et de la fête, p 98).
J’aime bien ces quelques phrases de Jean Vanier, car il nous parle du pauvre qui a ce pouvoir mystérieux de toucher notre cœur et de révéler aussi. Vous avez tous un cœur, n’est-ce pas ? Qui n’en aurait pas ?
Et je vous propose cette image : comme un professeur de chant exigeant nous fait faire divers exercices afin que nous puissions enfin « sortir notre voix », ainsi Jésus veut-il faire jaillir l’amour de notre cœur. Ce qu’Il désire c’est éveiller en nous ces qualités de cœur, cette sensibilité à la détresse de l’autre, cette sensibilité à l’autre au-delà de sa détresse.
Alors, nous pouvons demander au Seigneur, en cette solennité du Christ-Roi, qu’Il vienne toucher note cœur. Demandons à la Vierge Marie de nous éduquer dans ce sens-là pour éveiller nos qualités de cœur. Le Royaume n’est pas extérieur à nous : nous y entrons par notre disposition de cœur.
Demandons donc au Seigneur d’éveiller et de fortifier en nous cette disposition de cœur qui rend apte à faire partie du Royaume,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Deuxième livre de Samuel 5,1-3.
- Psaume 122(121),1-2.3-4.5-6a.7a.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 1,12-20.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 23,35-43.
On venait de crucifier Jésus, et le peuple restait là à regarder. Les chefs ricanaient en disant : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! »
Les soldats aussi se moquaient de lui. S’approchant pour lui donner de la boisson vinaigrée, ils lui disaient : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
Une inscription était placée au-dessus de sa tête : « Celui-ci est le roi des Juifs. »L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! »
Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu n’as donc aucune crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi !
Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. »Jésus lui répondit : « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »