Homélie du 5e dimanche de Pâques

26 avril 2016

« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

Il est intéressant de voir comment s’est développé la Bonne Nouvelle de l’Évangile, au tout début du Christianisme. Elle est partie de ce commandement nouveau qui résume tous les autres, ceux de l’ancienne alliance, de la loi et des prophètes, ce commandement de l’amour, ce commandement d’un cœur nouveau.
Il est vrai que les païens qui rencontraient les Chrétiens étaient un peu touchés et se demandaient pourquoi ils aidaient des personnes qui n’étaient ni de leur communauté, ni de leur croyance. Ils soutenaient les veuves, les orphelins, les miséreux, alors qu’ils venaient parfois de milieux très favorisés. Il y avait comme un incompréhension, mais, cette incompréhension faisait cheminer le cœur de gens qui en venaient à se demander si cette religion ne répond pas à leur attente profonde.

Plus de 2000 ans après, ce commandement est-il toujours nouveau ? Aider les miséreux, soutenir ceux qui sont dans la difficulté, les païens en font autant ! Beaucoup d’œuvres humanitaires qui n’ont aucun caractère religieux soutiennent elles aussi des personnes qui sont dans le besoin.
On pourrait se dire alors que c’était sans doutes bien pour un temps, que ça a été valable pour le début, et qu’actuellement, il y a beaucoup de pratiquants et peu de croyants. Il y a beaucoup de gens qui mettent l’Évangile en pratique en étant attentifs, en se soutenant les uns les autres, comme à l’Arche de Jean Vanier qui accueille des jeunes qui vivent en communauté avec des personnes handicapées mentales et beaucoup ne sont pas croyantes. Ainsi, l’on peut se demander si le Christianisme n’était pas fait pour un temps.

Un commandement nouveau ? cela ne voudrait-il pas plutôt signifier que l’on a besoin d’être renouvelés ? La perte de la foi chrétienne dans nos contrées d’Europe occidentale va de pair avec une indifférence croissante du besoin de l’autre.
Oui, bien sûr, il y a des œuvres qui font du bien, mais il n’y a pas cet engouement collectif, ce soutien pour ceux qui sont dans la difficulté. On voit bien qu’il y a beaucoup d’indifférence, d’individualisme. Et c’est lié au fait que la vie de foi soit de plus en plus mise de côté : dans le commandement Seigneur, c’est le « comme je vous ai aimés » qui est important. C’est la façon de faire de Jésus qui doit guider mes actes. Mais si Jésus est un sage, une sorte de prophète, mais que maintenant, on est passé à autre chose, on voit bien que l’on aboutit à un glissement. Parce qu’il n’y a pas de raison supplémentaire, d’amour plus fort que ce que l’on est capable de donner selon notre simple générosité naturelle, les plus fragiles et les plus vulnérables sont laissés de côté. Jésus ne parle pas de générosité humaine, mais d’aimer à la manière de Dieu.

Si je marche sur tes doigts de pieds, si je te passe devant dans la queue, à quoi va ressembler ta générosité ? En réalité, elle ne vaut pas tripette si elle n’est pas soutenue par un amour plus grand, par quelque chose de plus fort et d’éternel.
On voit bien ce renfermement dans nos sociétés, cette indifférence, cette peur même parfois d’accueillir le plus fragile. Et on ne peut que constater – avec beaucoup de souffrance – que 96% des enfants chez lesquels on a détecté un handicap – la trisomie 21, pour ne citer qu’elle – ne voient pas la lumière de ce jour…

Petite à petit, le pauvre devient une menace à mon confort, parce que je n’ai plus de raison supplémentaire. A la fin de la vie, on va vite en terminer. Pourquoi vivre la fragilité s’il n’y a pas un amour qui va au-delà et qui nous jette dans l’éternité ? cet amour-là que le Christ Lui-même a vécu ?
Si tu ne t’ouvres pas à quelque chose de plus grand que toi, progressivement, il n’y aura plus que toi, ton confort, ton plaisir, ton bien-être, qui seront la norme. Or, précisément, la personne en difficulté vient te toucher là, vient te sortir. Mais, faut-il avoir encore une raison. Et, pour nous, Chrétiens, cette raison, c’est Jésus. C’est Lui qui nous permet d’aller au delà même de nos peurs, d’aller au-delà même de notre égoïsme. C’est dans la prière – « comme je vous ai aimés » - en contemplant Jésus, et en communiant – c’est si lié à l’Eucharistie, n’oublions pas que c’est au cours du dernier repas que ce commandement a été donné - je vois progressivement que j’avance. Sinon, c’est impossible.

Pourquoi est-ce que l’on vient à la messe ? c’est parce que l’on ne sait pas aimer ! C’est pour cela que l’on vient : c’est pour supplier la grâce… parce que l’on est des égoïstes, parce que l’on est des pauvres.

On le voit bien dans les familles, dans les couples : si plus se tournaient vers le Seigneur, combien auraient pu franchir les difficultés et être à nouveau ensemble ? Alors qu’en comptant sur nos propres forces, que récoltons-nous ?

Oui, on demande la grâce, on demande quelque chose de nouveau dans notre humanité. Depuis le temps de Jésus, il y a un besoin de renouveau dans notre cœur, quelque chose qui nous sorte de nous-mêmes, qui met au large notre cœur, qui fasse toute chose nouvelle.
On voit bien que la perte de la foi entraîne progressivement un rempli sur soi-même, une perte de l’intérêt et du soutien à l’autre et ensuite, une perte de l’Espérance : à quoi bon ? c’est oublié !
Si tu ne crois pas en la vie éternelle, à quoi bon ? Mangeons, buvons, festoyons, mourrons ! occupons-nous ne nous ! mais, c’est là la différence pour le Chrétien : si je pense que chaque acte d’amour désintéressé retentit dans l’Éternité, il y a quelque chose qui a à voir avec la présence de Dieu Lui-même !

C’est là que ça change ! Peut-être qu’extérieurement, c’est la même chose : on aide une personne âgée, on soutient un malade, on visite une personne malade ou seule ; les païens en font autant, c’est vrai… Mais, pour nous, Chrétiens, il y a quelque chose de nouveau, car, dans la manière de poser cet acte, même si extérieurement, les autres font pareil – et c’est tant mieux, heureusement qu’il n’y a pas que les Chrétiens pour faire le bien ! - il y a quelque chose à voir avec le Ciel !
Nous croyons que nous touchons le Ciel lorsque nous aimons à la manière de Jésus, d’un amour désintéressé. Et comment cela est-ce possible ? C’est parce que l’on a reçu le baptême.

Et vous, chers jeunes qui vous préparez à la profession de Foi, entourés de vos familles, vous vous dites que la Foi vous aide à aimer, à aller vers l’autre. Elle m’aide à me décentrer de moi-même, à sortir de notre égoïsme qui nous tend des pièges à tous – moi le premier ! Et si je n’ai plus la Foi, c’est le matérialisme qui guide ma vie. C’est simplement le centrage sur soi-même, car il n’y a pas quelque chose de plus grand qui ouvre mon cœur à une beauté, à une grandeur plus grande.
Je suis limité à mes propres limites, et à ce que je suis – y compris ma générosité !

L’amour demande la transcendance ! Quelque chose qui nous dépasse, qui nous donne des raisons…

Je me souviens, lorsque j’étais aumônier de prison en Amérique Latine, beaucoup voulaient aider en étant visiteur eux aussi. Ils étaient la plupart catholiques et pratiquants ; et ce qui est curieux, c’est qu’ils se décourageaient, sans doutes parce qu’ils ne contemplaient pas assez Jésus. Ils ne voyaient que peu de fruits, peu de résultats. Personnellement, en faisant cela pendant 10 ans, je n’ai vu aucune conversion, beaucoup de mensonge, et pour affronter ce mal, ce monde de ténèbres, sans lumière supérieure, sans force plus grande comme celle de l’amour du Christ que nous recevons dans l’Eucharistie, il est naturel de se décourager. A quoi bon ! on abandonne !
Bien sur, la prison est un milieu particulier. Mais, il en va de même pour la vieille tante acariâtre au mauvais caractère ! je me décourage… Et les Saints nous montrent justement à quel point il est possible d’aimer d’une manière autre, d’un amour plus fort, et c’est pour cela que nous lisons ce texte dans le temps de Pâques : d’un amour plus fort que la mort et que le péché. D’un amour plus fort que nos limites, plus fort que nos égoïsmes, c’est possible ! on en demande la grâce.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 14,21b-27.
  • Psaume 145(144),8-9.10-11.12-13ab.
  • Livre de l’Apocalypse 21,1-5a.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 13,31-33a.34-35.

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara :
— « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.
Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.

Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs :
“Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”, je vous le dis maintenant à vous aussi.

Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »