Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien-aimés, Ce mystère de l’Eucharistie a de nombreuses facettes. Ce matin, je désire avec vous m’arrêter sur 3 aspects particuliers :
- l’Eucharistie comme action de grâces,
- la présence eucharistique de Jésus
- les fruits de la communion eucharistique.
Eucharistie comme action de grâces
En disant cela j’ai l’impression d’enfoncer une porte ouverte car, comme vous le savez sans doute, « eucharistie » vient d’un mot grec qui signifie « action de grâces ». Cela correspond à un verbe introduisant le récit de la Cène : « Jésus rend grâces ».
C’est sans doute ce qui est à l’origine du choisi de la première lecture. Abraham est revenu vainqueur de ses ennemis. Melkisédek offre alors le pain et le vin en action de grâces.
« Dans l’Offertoire, nous rendons grâce au Créateur pour le pain et le vin (cf. Ps 104, 13-15), fruit " du travail de l’homme ", mais d’abord " fruit de la terre " et " de la vigne ", dons du Créateur. » (CEC 1333)
Le pain et le vin offerts à la messe sont des fruits de la terre et du travail de l’homme. Par Jésus, nous louons le Père pour Sa bonté, et pour la beauté de tout ce qu’Il nous donne. Comme signes de l’Eucharistie, nourriture de vie éternelle, Jésus a choisi des signes de la nourriture la plus ordinaire : le pain et le vin. Le pain est la nourriture de base, et le symbole de toutes les ressources vitales de l’homme. Le vin exprime le caractère joyeux de la Création : il est signe de fête.
Le pain et le vin sont aussi le « fruit du travail des hommes ». Ils évoquent chacun l’effort et le renoncement : pour que l’Homme « gagne son pain », la terre est labourée, le blé est semé, récolté, broyé, pétri…. La vigne est, elle aussi, objet de soins attentifs : on la plante, on la taille, on récolte le raisin que l’on presse pour obtenir le jus qui se transformera en vin.
Toutefois, les efforts de l’Homme ne suffisent pas : pain et vin sont aussi le « fruit de la terre », du soleil et de l’eau, et donc également un don.
La préface qui introduit la prière eucharistique commence toujours ainsi :
« Vraiment il est juste et bon de te rendre grâces, … »
Et ensuite, la préface donne divers motifs d’action de grâce. Ces motifs d’action de grâce varient selon les fêtes liturgiques.
En reprenant toutes les préfaces, vous auriez déjà bien des motifs d’action de grâces.
La messe est d’abord la grande action de grâce au Père pour tout ce qu’Il a accompli dans la création, la rédemption et la sanctification, pour tout ce qu’Il accomplit maintenant dans l’Église et dans le monde malgré le péché des êtres humains, pour tout ce qu’Il accomplira en conduisant son Royaume à la plénitude.
Ainsi, l’eucharistie est la bénédiction (berakah) par laquelle l’Eglise exprime sa reconnaissance envers Dieu pour tous ses bienfaits.
Je crois que l’eucharistie est un lieu privilégié pour nous éduquer à l’action de grâces, pour nous apprendre la gratitude à l’égard de Dieu. C’est ce à quoi nous invite saint Paul dans son épître aux Colossiens :
« Par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance.
Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. » (Col 3, 16-17)
Les épîtres de saint Paul regorgent de prières d’action de grâce. La plus développée est celle qui se trouve dans l’épître aux Éphésiens (1, 3-14) : en quelques phrases, saint Paul évoque le Salut de Dieu, « dès avant la création du monde » et jusqu’au rassemblement final, « à la louange de sa gloire ».
Dans les autres épîtres, il rend grâce pour l’œuvre que Dieu a réalisée dans la communauté à laquelle l’apôtre s’adresse.
L’épître aux Galates fait exception : il n’y a pas de motif à rendre grâce, car les Galates ont été infidèles à la grâce.
Ainsi participer à l’Eucharistie ne signifie pas seulement être présent à la messe ou faire quelque chose (une lecture, un chant, la quête, …) c’est plus profondément s’associer à l’action de grâces de Jésus à l’égard de son Père.
Comme il serait bon d’arriver à la messe en nous émerveillant de l’œuvre de Dieu dans notre vie, en Lui rendant grâces pour les victoires diverses et variées qu’il nous a accordées.
Eucharistie comme présence du Seigneur
Jésus, l’Emmanuel, est venu habiter parmi nous. Au moment de l’Ascension, alors qu’Il disparaît à leurs regard, Jésus dit à ses disciples :
« Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 20)
L’un des modes privilégiés selon lequel Jésus a voulu rester présent au milieu de nous est justement l’Eucharistie. Dans la deuxième lecture, saint Paul est témoin de ce grand miracle où le pain devient le corps de Jésus et le vin son sang. Cette présence est « voilée ».
Il en est de l’Eucharistie comme de l’Incarnation : Dieu se révèle en se voilant. Et c’est précisément pour cela que le mode de présence de Jésus dans le sacrement fait naître dans le cœur et l’attente et le désir de quelque chose d’autre. Au lieu d’éteindre la soif de la présence de Dieu, l’Eucharistie l’augmente et la rend encore plus brûlante.
Saint Paul ne dit pas autre chose quand il utilise l’image des « prémices » : nous goûtons les prémices de l’Esprit, mais c’est bien en les goûtant que nous prenons soudain conscience : les prémices ne nous suffisent pas ; les prémices font attendre la récolte tout entière, elles font désirer le Tout.
Dans notre foi catholique, on ne voit pas Jésus présent sur l’autel simplement dans un signe ou un symbole (contre Béranger de Tours), mais en vérité et avec Sa propre réalité.
C’est ce réalisme qu’exprime le pape Innocent IV dans le cantique « Ave verum » qu’il a composé pour l’élévation :
« Salut, corps véritable, né de la Vierge Marie, toi qui as réellement souffert et qui fus immolé sur la croix pour les hommes, de ton coté transpercé ont jailli. du sang et de l’eau… »
Mais il ne faut pas tomber non plus dans un « réalisme cru », excessif, où le corps et le sang du Christ seraient présents sur l’autel « sensiblement et ils seraient, vraiment, touchés et rompus par les mains du prêtre et mâchés par les dents des fidèles » (cf. Dz. 690).
Dans le Lauda Sion, une hymne composée par saint Thomas en l’honneur de l’Eucharistie, on dit bien :
« Le Christ n’est pas rompu par celui qui le mange, il n’est ni brisé, ni divisé, mais il est reçu tout entier. »
Saint Augustin a bien expliqué que la présence de Jésus dans l’Eucharistie advient « in sacramento », autrement dit, ce n’est pas une présence physique, mais sacramentelle, par l’intermédiaire de signes qui sont, évidemment, le pain et le vin. Dans ce cas, pourtant, le signe n’exclut pas la réalité, mais la rend présente dans un mode unique, à savoir qu’une réalité spirituelle - ce qu’est le corps du Christ ressuscité - peut se rendre présente pour nous, tant que nous vivons encore dans cette vie.
Saint Thomas d’Aquin parle d’une présence du Christ « selon la substance » sous les espèces du pain et du vin (cf. Somme théologique IIIa, q.75, a.4). Dire, en effet, que Jésus Se rend présent, avec Sa substance, dans l’Eucharistie, revient à dire qu’Il Se rend présent dans Sa réalité véritable et profonde qu’on ne peut atteindre que moyennant la foi. Dans l’« Adoro Te devote », saint Thomas chante :
« La vue, le toucher, le goût : tout ici faillit ; ne reste que la foi dans ta parole »
Dans cette séquence, au début, le saint reprend et développe, avec originalité, la vision sacramentelle d’Augustin quand il dit que le Christ, dans l’Eucharistie, est présent à travers les espèces, ou les figures :
« Je t’adore avec dévotion, ô Dieu caché, qui te caches véritablement sous ces figures. »
Pour parler de cette présence réelle, le Concile de Trente a utilisé trois adverbes : vere, realiter, substantialiter ; Jésus est présent véritablement, pas seulement en image ou en figure ; Il est réellement présent et pas seulement subjectivement, à cause de la foi des croyants ; Il est présent substantiellement, c’est-à-dire selon Sa réalité profonde qui est invisible aux sens, et non seulement les apparences qui restent du pain et du vin.
Jésus est donc présent dans l’Eucharistie d’une manière unique qu’on ne rencontre pas ailleurs ; aucun adjectif ne suffit à lui seul, à qualifier cette présence ; pas même l’adjectif « réel » : réel vient de res (chose) et signifie : à la manière d’une chose ou d’un objet ; mais Jésus n’est pas présent dans l’Eucharistie comme une « chose » ou un objet, mais comme une personne. Si l’on tient à dénommer cette présence, il vaudrait mieux simplement l’appeler présence « eucharistique », car elle ne se réalise que dans l’Eucharistie.
Par de nombreux miracles dans l’histoire de l’Église, le Seigneur a voulu confirmer Sa présence personnelle., comme par exemple lors du miracle de Lanciano, au VIIIe : le moine qui célébrait avait un doute ; c’est alors que l’hostie s’est changée en chair et le vin en sang…
Le fait de prendre conscience que le Seigneur est vraiment là doit nous inciter à avoir de vraies marques de respect à Son égard. Peut-être vous souvenez-vous de Jacob au chapitre 28 de la Genèse. Il a un songe avec une échelle dressée sur la terre dont le sommet touchait le ciel, et des anges de Dieu qui montaient et descendaient. Et Dieu lui déclara :
« Voici que je suis avec toi ; je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai sur cette terre ; car je ne t’abandonnerai pas avant d’avoir accompli ce que je t’ai dit. »
Au moment où il sortit de son sommeil, Jacob déclara :
« En vérité, le Seigneur est en ce lieu ! Et moi, je ne le savais pas. »
Et alors il fut saisi de crainte et il dit :
« Que ce lieu est redoutable ! C’est vraiment la maison de Dieu, la porte du ciel ! »
Eucharistie comme nourriture
L’évangile du jour nous permet d’aborder un troisième aspect de l’Eucharistie : l’Eucharistie comme nourriture. On fait souvent le parallèle entre la manne qui nourrissait les Hébreux pendant leur traversée du désert et l’Eucharistie :
« Comme la manne pour le peuple d’Israël, ainsi, pour chaque génération chrétienne, l’Eucharistie est la nourriture indispensable qui la soutient tandis qu’elle traverse le désert de ce monde, asséché par les systèmes idéologiques et économiques qui ne promeuvent pas la vie, mais lui portent atteinte ; un monde où domine la logique du pouvoir et de l’avoir plutôt que celle du service et de l’amour ; un monde où triomphe souvent la culture de la violence et de la mort. »
(Benoît XVI, 7 juin 2007)
Le fruit immédiat de la communion, c’est d’abord de nous unir à Jésus et par suite de Lui ressembler, de devenir davantage enfant de Dieu. C’est nous unir à Jésus qui a donné Sa vie pour nous.
Saint Augustin l’exprime en disant :
« Devenez ce que vous recevez : le corps du Christ. »
L’Eucharistie nous est donnée pour alimenter notre amour, le don de nous-mêmes.
Permettez-moi une question : l’Eucharistie vous nourrit-elle vraiment ? Et si Elle ne vous nourrit pas suffisamment d’où cela peut-il venir ?
La première chose pour communier de manière fructueuse, c’est certainement d’être en état de grâce, c’est à dire de ne pas avoir commis de faute grave sans se confesser. D’ailleurs, l’Église nous demande de nous confesser au moins une fois par an si nous désirons communier.
Si on n’est pas dans cette situation, on vient demander la bénédiction.
Il me semble que nous devons travailler notre désir de recevoir Jésus dans la communion. La communion de désir, la communion spirituelle doit précéder la communion sacramentelle, un peu comme la Vierge Marie qui a reçu Jésus dans son cœur avant de l’accueillir dans son corps.
La communion spirituelle produit quelquefois plus de fruit que la communion sacramentelle. Dieu peut communiquer Sa grâce sans passer par le sacrement. C’est un canal privilégié mais non pas exclusif. Dans certains miracles, Jésus touche les gens directement. D’autres fois, Jésus guérit à distance. La prière de Saint Alphonse de Liguori le formule très justement :
« Mon Jésus, je crois à Votre présence dans le Très Saint Sacrement.
Je Vous aime plus que toute chose et je désire que Vous veniez dans mon âme.
Je ne puis maintenant Vous recevoir sacramentellement dans mon cœur : venez-y au moins spirituellement.
Je Vous embrasse comme si Vous étiez déjà venu, et je m’unis à Vous tout entier. Ne permettez pas que j’aie jamais le malheur de me séparer de Vous. Ainsi soit-il. »
Ensuite, lorsque nous avons reçu le Seigneur, nous devons lui être présents. Jésus s’est plaint un jour à sœur Faustine :
« Je désire m’unir aux âmes, Mon plus grand plaisir est de M’unir aux âmes.
Sache ceci, Ma fille, que lorsque Je viens par la Sainte Communion jusqu’au cœur des hommes, J’ai les mains pleines de toutes sortes de Grâces que Je désire transmettre aux âmes, mais les âmes ne font même pas attention à Moi. Elles me laissent Seul et s’occupent d’autre chose.
Comme cela M’attriste que les âmes n’aient pas compris l’amour ! Elles se conduisent envers Moi comme envers une chose morte. »
Ces derniers jours, plusieurs personnes m’ont exprimé le désir d’avoir plus de temps après la communion pour vivre un cœur à cœur plus prolongé avec Jésus.
Un jour, constatant que certaines personnes quittaient l’église juste après la communion, Saint Philippe Néri a envoyé deux servants d’autel les escorter avec des cierges !
Et enfin, il nous revient d’être fidèles à ce don car cela nous engage : la grâce doit fructifier. Cela entraîne une responsabilité.
Mon amour pour Jésus doit se traduire en amour pour mes frères et sœurs.
Merci de venir avec ta puissance de Créateur et de Sauveur : tu peux tout. Viens guérir en moi ce qui a besoin d’être guéri. Viens guérir mon corps ; viens guérir mon cœur ; viens guérir mon âme.
Viens faire grandir mon désir de t’être uni pour toujours, pour l’éternité.
Viens me réconforter comme tu le fis pour le prophète Elie lorsqu’il était découragé sur son chemin.
Viens me donner ta force pour m’aider à avancer dans le don de moi-même. »
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 14,18-20.
- Psaume 110(109),1.2.3.4.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 9,11b-17 :
En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu et guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent :
— « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. »
Mais il leur dit :
— « Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Ils répondirent :
— « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. »
Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples :
— « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. »
Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde.Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule.
Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.