Texte de l’homélie :
Marco Siffredi est né en 1979. Il est chamoniard. Son père est coiffeur l’hiver et guide de haute montagne l’été. A 16 ans, Marco se fait offrir un snow-board, un surf des neiges, et, au grand damne des services de sécurité, il va entreprendre de descendre toutes les pentes les plus vertigineuses du massif du Mont Blanc : l’Aiguille du Midi, l’Aiguille Verte, qui comprennent des pentes de plus de 60%. Bientôt les Alpes ne lui suffisent plus, et en 2001, il va s’affronter à l’Everest et va réussir la première descente intégrale en snow-board du versant tibétain, par le couloir Norton, sur la face Nord.
Avant lui, personne à ski ni en snow n’y est parvenu. Et je me suis demandé qu’est-ce qui permet à ce jeune homme d’adopter la bonne position à chaque virage, les bons réflexes, la bonne inclinaison de son surf pour ne pas tomber et ne pas être précipité en bas de la pente, la tête la première, broyé par sa chute ? Bien entendu, c’est son excellente technique. Mais, c’est aussi une substance qui décuple nos capacités pour faire face au danger, qui augmente notre rythme cardiaque, qui dilate nos pupilles : c’est l’adrénaline, cette hormone de la survie.
L’adrénaline remède à notre tiédeur
Ce gérant malhonnête est lui aussi dans une situation de quasi survie : son maître le provoque, il fait mal son travail, il va être licencié et c’est la mort sociale qui l’attend, la déchéance. Il ne veut pas travailler à la terre car c’est trop dur et il sera contraint de mendier, il ne peut pas faire autrement.
Alors, comme on dit familièrement, il se bouge ! Il n’attend pas, l’urgence l’inspire et il trouve ce stratagème proche du pot de vin et se fait des amis avec les anciens collaborateurs et administrés, et va pouvoir compter sur leur aide. Et c’est de lui que Jésus fait l’éloge : éloge de son astuce, éloge de sa réactivité, car il est parvenu à ses fins.
Sincèrement, je me demandais pourquoi cette adrénaline spirituelle qui décuple nos forces et nous permet d’arriver au but, semble-t-elle parfois nous manquer à nous autres Chrétiens. On se contente parfois un peu rapidement de ce que l’on nous répète : « pour la mission, nous avons l’obligation de moyens, non pas de résultat. » C’est vrai d’un certain côté, mais est-ce que ça ne cache pas une certaine paresse ? « Faisons de notre mieux et advienne que pourra… » Et l’on se contente même d’échecs parfois.
L’intendant, lui, n’a pas tenu ce raisonnement, car il l’aurait conduit rapidement sur la paille ou dans la rue.
Pourquoi manquons-nous de cette force missionnaire ?
Il y a peut-être trois raisons à ce manque d’adrénaline spirituelle et missionnaire :
Par indifférence ?
N’y a-t-il pas une indifférence secrète à la fin que l’on est sensé poursuivre. On se laisse porter par le courant sans vraiment nager. Et la fin n’est finalement pas vitale. Quelle est cette fin, cette volonté ? C’est que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la Vérité. Certes, nous ne sommes ni méchants, ni malhonnêtes, et nous nous contentons d’aimer le Bon Dieu – c’est déjà beaucoup - mais est-ce que l’on se dit comme Vincent de Paul que l’on va fêter cette semaine :
« Il ne me suffit pas d’aimer Dieu si mon prochain ne l’aime pas de même… »
Personnellement, je l’avoue, je ne suis pas réveillé par cette question qui taraudait Dominique et le réveillait la nuit :
« Que vont devenir les pécheurs ? »
Cette fin de volonté de salut de tous les hommes ne passerait-elle pas comme l’eau sur les plumes d’un canard ?
Pour soigner cette tiédeur, il faudrait que nous fassions comme notre bon Père Lamy : notre fondateur avait l’intuition de voir les personnes dans leur destinée éternelle. Il ne les considérait pas simplement dans le moment présent mais se demandait : « Que vont-ils devenir ? » « Que va-t-il advenir de leur éternité ? »
Et quand vous avez quelqu’un qui semble s’éloigner de Dieu dans votre famille, vous posez-vous cette question : « Que sera son éternité ? »
Nous posons-nous cette question à propos de nos contemporains, de nos collègues ?…
La mère de Saint Louis - qui avait semble-t-il un caractère assez fort – disait à son cher fils :
Cela semble certes peu politiquement correct, mais que voulait-elle dire si ce n’est : « Ta destinée éternelle m’importe plus que tout. »
Par Défaitisme ?
Quand on évoque la situation de l’Église, on se plaint de la pratique qui baisse, des vocations en baisse et de la perte de repères de la jeunesse. Et de constater que c’est un mouvement de déclin général en occident…
Mais ne serait-ce pas là une forme d’idolâtrie ? on considère ce mouvement de déclin comme une force aveugle et absolue à laquelle Dieu se soumet finalement. Cette considération est parfois logée très profondément dans notre cœur…Et l’on peut être un très bon catholique pratiquant, prêtre ou religieux, oubliant cette volonté de Dieu de sauver les hommes et surtout, que cette volonté de Dieu est efficace, mais à la condition que nous y collaborions.
Connaissez-vous cette petite anecdote ?
Il était une fois un jeune prêtre chargé d’une paroisse qui n’allait pas très bien : l’église est sale, les fleurs sont souvent fanées, il n’y a plus de chorale ni d’enfants de chœur, les paroissiens se disputent. Voyant cela, il retrousse ses manches, il organise des équipes de fleurissement, de nettoyage, il réorganise le chœur et appelle les enfants au service. Peu à peu les gens se parlent et s’apprécient, une vraie communauté se met en place.
Quelques années après son arrivée, l’évêque du lieu vient faire sa visite. Il inspecte tout cela : cette église somptueuse, cet accueil chaleureux. Puis il donne ses conclusions ce jeune prêtre : « Mon père, je vous félicite ! L’Esprit-Saint et vous-même avez bien travaillé durant toutes ces années ! »
Et le jeune curé de répondre : « Oui, c’est vrai, car quand c’était l’Esprit-Saint tout seul, ce n’était pas très brillant !… »
Oui, c’est bien vrai, le Seigneur a besoin de notre collaboration. Et nous avons aussi besoin de Son soutien : ce jeune prêtre a besoin de cette victoire de Dieu qui lui donne toute cette force.
Repensons aux débuts de l’Église, aux premiers Chrétiens. Ceux auxquels s’adresse Paul ne sont qu’une poignée, et devant eux, il y a cet Empire Romain qui couvre tout le bassin de la Méditerranée, avec son organisation de fer et son hostilité féroce envers eux. Bref, il sont en face d’un monstre, mais ils sont soutenus par la certitude de la victoire définitive du Christ, et l’Apocalypse de Saint Jean leur remet sous les yeux ce triomphe final du sauveur.
Ils ont l’Espérance, ils ont la force, et l’Évangile va se répandre sur toutes ces terres qui étaient autrefois sous l’emprise du paganisme.
Quelle place pour l’intelligence ?
Il y a aussi une troisième raison pour ce manque d’énergie spirituelle. Si l’on dit que le christianisme est la religion de l’amour, nous le pratiquons malheureusement trop souvent en nous contentons de le bonne intention. Certes, c’est déjà bien, mais nous ne sommes pas astucieux comme le sont ces fils de la ténèbres que le Seigneur Jésus évoque. Nous prions, nous agissons et bien souvent nous ne pensons pas.
C’est un peu hors cadre et pourtant, nous avons besoin qu’à nouveau, l’intelligence imprègne notre amour. Par exemple, comment faire pour gagner le cœur de mes adolescents à la Foi, eux qui s’éloignent de l’Évangile ? Comment faire pour améliorer les relations avec mon conjoint ? comment faire pour qu’avec mes collègues de travail, je ne sois pas catalogué comme « catho-bien-pensant » et donc d’emblée hors-jeu… c’est important de nous poser toutes ces questions là, et que nous n’ayons pas seulement une conscience d’une intention droite pour nous-mêmes.
Pour prendre un parallèle avec le monde profane, pour diffuser un produit, par exemple une célèbre pâte à tartiner dont il est inutile de rappeler ici le nom, combien d’études et de matière grise sont-elles engagées pour connaître la population à qui on la destine, la manière dont elle agit, quels sont ses goûts ? combien de créativité, combien de publicité appropriée pour arriver à ses fins, et disons-le aussi, combien d’amour, amour de l’argent, certes, mais un amour inspirant…
Alors, l’amour du Seigneur, l’amour des autres est-il inspirant pour nous aussi ?
Tout au long de l’histoire de l’Église, de grands maîtres spirituels nous ont rappelé que notre amour devait ouvrir les yeux. Saint Bernard disait : « Que ton amour soit fort, mais qu’il soit aussi prudent. »
Il y a quelques années, Benoît XVI écrivait cette très belle encyclique sociale : La charité dans la vérité, pour rappeler que notre amour doit être intelligent.
Ainsi, on peut témoigner qu’il se passe de belles choses, dans notre pays notamment. Les plus âgés d’entre-nous se rappelleront peut-être de ce slogan : « En France, on a pas de pétrole mais on a des idées ! »
Dans cette idée là, on peut dire aujourd’hui : « En France, la Foi a peut-être baissé, mais on a des idées, et on a beaucoup ! ». Soyons donc fiers de notre génie français. C’est un génie dont l’Église a besoin. Il y a énormément d’initiative, on le voit pendant l’été, notamment de la part des laïcs qui portent la voix de l’Église dans le monde et la voix du monde dans l’Église.
On a de plus en plus besoin de cet apport.
Il y a donc quelques remèdes à la perte d’énergie spirituelle : ouvrir les yeux, faire tous ces efforts mais aussi s’appuyer sur ce qui existe, car l’Esprit Saint est bien là, fidèle, à nous inspirer.
Pour conclure, je voudrais dire que notre vraie adrénaline, la source intarissable de notre vitalité, de notre intelligence, c’est la Résurrection du Christ ! Il se donne aujourd’hui dans Sa parole, Il Se donne dans Son eucharistie, alors recevons-Le comme la condition de notre survie, Celui qui va permettre de négocier le prochain virage sans tomber.
Souvenons-nous, c’est là que s’arrête la comparaison : si nous tombons, la Vierge-Marie nous relèvera,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Amos 8,4-7.
- Psaume 113(112),1-2.5-6.7-8.
- Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 2,1-8.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 16,1-13 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens.
Il le convoqua et lui dit : “Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.”
Le gérant se dit en lui-même : “Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte.
Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.”
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier :
— “Combien dois-tu à mon maître ?”
Il répondit :
— “Cent barils d’huile.”
Le gérant lui dit :
— “Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.”
Puis il demanda à un autre :
— “Et toi, combien dois-tu ?”
Il répondit :
— “Cent sacs de blé.”
Le gérant lui dit :
— “Voici ton reçu, écris quatre-vingts.”
Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. »Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande.
Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ?
Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ?Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »