Texte de l’homélie :
Peut-être ne savez-vous pas ce qu’est un shtetl ? il s’agit d’un village Juif dans l’Europe d’avant-guerre. Village, bourgade, quartier d’une ville, dans lequel on pratiquait le judaïsme comme au temps biblique. Et, il est intéressant de savoir comment se passait la rentrée des classes dans un shtetl. Cela peut éclairer d’une manière particulière ce temps de rentrée que nous sommes en train de vivre. Dans un shtetl, la rentrée des classes avait un goût sucré ! Cela signifie que les enfants étaient munis de leurs cahiers avec les 22 lettres de l’alphabet Hébraïque – vous le connaissez peut-être par cœur ! – d’un pinceau et d’un pot de miel liquide. Et le premier exercice qu’ils avaient à faire était de tremper le pinceau dans le miel et d’enduire les lettres de l’alphabet et ensuite de lécher le cahier.
Cela fait que la transmission a bon goût dans la culture hébraïque.
Dans notre culture, la rentrée a plutôt un goût salé : salées les larmes des bambins qui, pour la première fois, vont au jardin d’enfant, à la crèche ou la maternelle. Quittant leur maman, ils pleurent… Salées sont aussi les larmes des mères qui s’éloignent en sachant que cet éloignement ira en augmentant toujours plus. Voilà le goût salé de nos rentrées.
Il est intéressant de voir que l’Évangile parle de transmission. Et nous voyons ainsi cette manière juive de transmettre en insistant sur le goût donné à la transmission. Vous l’avez noté vous-même, on parle de transmission dans l’Évangile : Si vous voulez être mes disciples, donnez du goût à ce que vous transmettez. Soyez attentifs à être de ceux qui vont pouvoir appréhender la puissance du message évangélique, à donner du cœur à ce que vous transmettez.
Vous qui êtes parents ou grand-parents, ce sont des relations qui sont marquées par la transmission, par définition.
Dans la deuxième lecture de Saint Paul apôtre à Philémon, je trouve intéressant la manière dont il parle d’Onésime :
« C’est mon frère de cœur. »
Soyez attentifs à donner du cœur à ce que vous transmettez. Peut-être que la plus grande difficulté dans notre vie chrétienne d’aujourd’hui est liée à un manque de goût pour la transmission du message évangélique. Ce va de pair avec un manque de parole. Pour avoir contact avec de nombreux jeunes qui sont en train de former leur couple, je demande souvent comment on parlait de Jésus dans leur famille pratiquante, avec quels termes, avec quel goût ?
Pour revenir au goût sucré, si le petit enfant juif d’avant-guerre de l’Europe de l’Ouest peignait les lettres de l’alphabet avec du miel, c’était pour mieux découvrir le miel qu’il y a dans la Parole de Dieu, dans la Torah, dans cette révélation que Dieu fait dans l’Écriture et y trouver du goût.
Quels moyens avons-nous mis en place pour que notre Foi soit appétissante ? Nous qui sommes dans un rôle de transmission, quels moyen avons-nous mis en place ? Le Seigneur parle de s’asseoir avant de bâtir un tour, car transmettre c’est bâtir, et bâtir c’est transmettre.
Ceux qui ont bâti cette église sont déjà auprès du Seigneur, mais ils ont pensé à nous.
Et je vous invite à vous interroger à là où vous en êtes, vous qui êtes dans cette situation de transmission, dans cette dynamique de construction de votre famille. Où en êtes-vous dans les moyens que vous avez choisis pour ne pas vous arrêter au milieu du gué. C’est ce que dit Jésus :
« Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?
Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !” »
Pourquoi n’a-t-il pas été capable d’achever ? C’est non seulement parce qu’il n’a pas pris les moyens, il n’a pas envisagé la dépense - et on sait bien que transmettre c’est une vraie dépense intérieure, une vraie dépense de soi-même, de sa parole. Et le déficit de parole de Foi dans les familles catholiques est en grande partie l’explication du manque de transmission. Pourquoi je crois en Jésus, pourquoi je participe à la messe, pourquoi la parole du Seigneur est gravée dans mon âme et je veux te la transmettre avec un goût sucré…
Vous le voyez, cette parole de Jésus s’applique complètement à la transmission de la Foi. Cette parole de Jésus s’applique au fait d’être disciple. Or, pour être disciple, il faut s’asseoir. Et dans la liturgie, c’est la position de celui qui écoute, celle de celui qui reçoit un enseignement. Et Jésus dit que si l’on veut bâtir un tour, il faut commencer par s’asseoir. C’est le moment de vous demander quel est le goût que l’Évangile a donné à votre vie.
Ceci représente un enjeu très important pour notre Église. Et très vite après la destruction du Temple, en 70, le Judaïsme a mis en place la transmission par la formation, par l’écriture, à tel point qu’il est dit :
Quand à nous, nous avons à nous imbiber de nos frères aînés dans la Foi notamment dans leur manière de transmettre qui est pratiquement une obsession ! C’est obsessif pour le peuple de l’Alliance, bien plus que pour nous. Est-ce parce que l’on est nombreux et que l’on se dit qu’il y aura toujours quelqu’un – une dame catéchiste ou une bonne volonté – qui dira quelque chose, et on ne compte que sur les autres, on délègue, à l’école comme ailleurs, on confie ce rôle à la paroisse… mais non, ça ne peut pas fonctionner comme cela, on en voit bien les conséquences. Le déclin de la Foi catholique dans notre pays, le désintérêt de la jeunesse par rapport à l’Évangile du Christ sont causés par un déficit de parole. Or, rappelez-vous, tout a commencé par une parole…
« Et Dieu dit ! »
Tout commence par cette parole qui est l’expression du cœur de Dieu. C’est vrai aussi dans la famille, homme et femme doivent parler. Je me permets d’insister sur le fait que les hommes sont particulièrement appelés à dire leur Foi. Admettons qu’il y a un vrai déficit de ce côté là : l’homme et la femme n’apportent pas la même parole et trop souvent, l’homme délègue. On parle des « dames catéchistes », rarement des « messieurs catéchistes ».
Je suis convaincu que l’homme est tout à fait légitime pour être le leader spirituel de son couple et de sa famille. Mais il n’en a sans doutes pas assez pris conscience. Parfois, il ne sent pas autorisé ou n’a pas le courage d’une simple annonce à sa famille, à ses enfants et petits enfants du pourquoi il est disciple de Jésus.
Certes, il y a la question de calculer la dépense, parce que c’est vrai que transmettre, ça coûte. Non pas matériellement, mais ça coûte dans le cœur, dans le fait de livrer une parole qui vient du cœur profond, de sa propre expérience qui nous fait nous demander ce que Jésus représente pour nous. Comment est-ce que j’entends l’Évangile ? Et pourquoi est-ce si important pour moi d’aller à la messe en famille, avec mes amis ?
Je crois que nous avons vraiment à progresser sur ce chemin. Il y a une vraie offrande de soi-même, un vrai don de soi dans l’expression verbale de sa Foi, de dire à haute voix : « Voilà pourquoi je crois en Jésus, voici qui Il est pour moi, ce qu’Il représente… »
Ne croyons pas que la Foi va se transmettre simplement parce que l’on va tous les dimanches à la messe car pourtant, nous sommes de plus en plus minoritaires. Ce n’est donc pas intuitif. Il y a un déficit de parole, un déficit de goût, déficit de miel et de pinceau avec lesquels nous pouvons décorer la parole de Dieu et découvrir tout le côté sucré de cette parole…
Frères et sœurs bien aimés, je trouve qu’en cette période de rentrée des classes, nous avons à nous interroger à nous asseoir pour calculer la dépense, pour prendre conscience de notre rôle de transmission, comme parent, grand-parent et évaluer ce que nous avons mis en place concernant la transmission de la Foi. Sans doutes avons-nous soigné la transmission intellectuelle car cela nous tient à cœur en vue de soigner les résultats scolaires de notre chère progéniture. C’est important, certes, mais interrogez-vous sur leur progression dans l’intimité avec le Seigneur, avec la Vierge-Marie. Qu’ont-ils expérimenté, quels mots pourront-ils mettre à leur tour, quel pinceau et quel miel pourront-ils choisir pour orner et donner du goût à leur vie de Foi ?
La transmission est un enjeu considérable et cela a à voir avec le courage. Parfois, on rencontre de fausses pudeur. J’entends dire : « Mon Père, je suis si pudique… » On ne nous demande certes pas d’être impudique en matière de Foi, mais cette forme de pudeur n’aide pas, au contraire, elle nous tire en arrière. Il faut bien souvent sortir d’une sorte d’auto inhibition, sortir de cette pudeur mal placée.
Il est vrai que la question spirituelle est très intime, plus intime même que l’intimité des corps dans l’union des époux, certainement. Mais, justement, plus c’est intime, plus ça touche le cœur, et plus ça touche le cœur, plus cela nécessite une parole pour dire.
En ce début d’année scolaire, demandons la grâce d’être témoin. Modestement, simplement, déjà dans nos familles - on sait bien que ce n’est pas plus simple - et même pour nous-même, que nous sachions dire pourquoi nous participons à l’Eucharistie, qu’est-ce qui nous a fait sortir de notre domicile pour se rendre dans l’église. Et si on peut se le dire à soi-même, on pourra le dire à d’autres.
C’est cette grâce que nous demandons au Seigneur : être disciple. Cela demande un certain renoncement, renoncement à une certaine pudeur, renoncement à une certaine paresse, cela peut être aussi le cas dans la non transmission. Mais Jésus nous dit aujourd’hui :
« Celui qui ne renonce pas ne peut être mon disciple. »
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Sagesse 9,13-18.
- Psaume 90(89),3-4.5-6.12-13.14.17ab.
- Lettre de saint Paul Apôtre à Philémon 1,9b-10.12-17.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 14,25-33 :
En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit :
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !”
Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix.Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »