Homélie du 28e dimanche du Temps Ordinaire

14 octobre 2013

« Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ?
Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

Lorsque le Seigneur accomplit un miracle, ce n’est pas simplement pour montrer qu’Il est doué de pouvoirs surnaturels et pour impressionner le public qui l’entoure. Dans l’Évangile, le miracle a toujours une portée salvifique, c’est à dire qu’il annonce le Salut, plus particulièrement dans la guérison de lépreux.

La lèpre, un véritable fléau…

Vous le savez, même si nous sommes loin de la culture biblique et de la situation des lépreux d’alors, lorsque l’on était lépreux en ces temps-là, on était coupé d’un lien social. En effet, dans l’Évangile, les lépreux s’arrêtaient à distance pour éviter la contamination. On sonnait la cloche pour annoncer leur passage, de façon à ce que l’on s’écarte.

Le lien familial, même, était mis de côté : on ne pouvait pas se marier, ni fonder une famille. Le lien professionnel aussi : on ne pouvait pas exercer de profession. Le moyen de survivre était la mendicité. Quant au lien avec Dieu, ils ne pouvaient évidemment pas entrer à l’intérieur du Temple et offrir le sacrifice, comme cela se pratiquait alors en Israël.

Donc, il est intéressant de voir qu’en guérissant les lépreux, Jésus restaure tous ces liens-là : Il permet aux lépreux d’avoir une vie de famille, d’avoir une vie sociale, d’avoir une vie professionnelle, et aussi d’avoir une vie spirituelle.

Mais, si l’on est attentif, on entendra ce que dit le Seigneur aux lépreux : Il ne leur dit pas d’aller trouver un travail, de se marier, d’aller voir leurs parents, non ; Il leur demande d’aller se présenter aux prêtres.

Cela signifie que, par cette annonce du Salut et dès que l’on se retourne vers Dieu, que l’on met le Seigneur à la bonne place, celle qu’il doit occuper dans notre vie - celle de sauveur, ce sont alors tous les autres liens qui sont restaurés : le lien familial, le lien professionnel, les liens amicaux et sociaux, tout cela vient reprendre sa vraie dimension et redonner leur profondeur à ces différentes relations.

Et c’est ce qu’il se passe dans cet évangile où justement, le Seigneur invite les lépreux à aller se présenter aux prêtres, pour pouvoir retrouver leur vie, dans toute leur dimension.

Et il y a une question qui se pose pour nous qui ne sommes pas lépreux : Est-ce que nous pensons que mettre Dieu à la bonne place va aussi restaurer, sauver d’une manière ou d’une autre, toute notre réalité humaine que nous vivons au quotidien (sur le plan professionnel, au plan familial, au plan spirituel, amical, etc…). Prenons-nous conscience qu’il y a un lien entre la vie avec Dieu et notre vie au quotidien ?

Bien souvent, les difficultés que nous rencontrons au quotidien dans ces différents domaines prennent naissance parce que le Seigneur n’occupe pas qu’Il doit occuper. Au contraire, nous Le laissons, nous laissons Jésus de côté pour différentes raisons, et les autres liens se détériorent progressivement. Il est intéressant, à travers cet évangile, de pouvoir revisiter nos propres liens - et pour nous, comme religieux, nos liens communautaires. Même dans cet état de vie, on doit s’interroger si l’on met toujours le Seigneur à la place qu’Il doit occuper dans notre vie.

Comme vous le savez, le Saint-Père a consacré le monde à la Vierge Marie en ce jour-même, et nous allons le faire à sa suite, avec toute l’Église universelle. C’est bien pour remettre la présence de Dieu à sa bonne place. La Vierge Marie Elle même nous invite à remettre le Christ au centre.

Qu’est-ce qui nous empêche de remettre Dieu au centre ?

Qu’est-ce qui nous empêche de rentrer dans la louange de Dieu ? Il s’agit bien de cela : un seul est revenu sur les dix pour rendre grâce à Dieu. Qu’est-ce qui pourrait faire que nous soyons parmi les neuf autres ? Il y a bien des choses, en effet.

Le manque d’humilité

Ce manque d’humilité nous empêche de rendre grâce, car on ne voit pas les dons de Dieu. Les biens que nous avons au quotidien sont simplement humains et naturels, et finalement, si les choses se passent bien, Dieu n’a rien à y faire. Et c’est quand cela va mal que l’on crie, comme les lépreux :

« Jésus, Maître, prends pitié de nous ! »

Mais, une fois que cela va bien, on se laisse porter. Mais rappelons-nous que ce manque d’humilité entraîne un manque de louange de Dieu, car nous ne voyons pas à quel point tout ce que nous avons est un cadeau, et à quel point le Seigneur nous donne au quotidien ce dont nous avons besoin.

« Que n’as-tu que tu n’aies reçu ? »

C’est l’apôtre Saint Paul qui le dit. Et Jésus dit Lui-même :

« Sans moi, vous ne pouvez rien faire… »

Mais il y a comme inscrit en nous cette manière de nous concevoir comme si nous étions autonomes (auto-nomos : nous sommes à nous-même nous propre loi)

Et l’on ne se voit pas en référence avec le Seigneur - c’est une des conséquences du péché originel. Quand nous sommes satisfaits de notre vie, nous pensons que nous y sommes pour une bonne part, et peut-être que le Seigneur y est aussi pour quelque chose, mais pas de façon suréminente.

Le manque d’humilité nous empêche donc de percevoir que ce nous vivons est un don de Dieu. Si nous sommes ici ce matin, c’est par grâce de Dieu. Certes, c’est parce que nous nous sommes levés, nous nous sommes extirpés de couettes respectives et confortables pour affronter l’humidité et le froid. Mais, c’est aussi parce que le Seigneur nous a encouragés à le faire, nous a donné la grâce.

Cela pourrait être intéressant que nous nous posions la question : « Est-ce que je vois la grâce de Dieu à l’œuvre ? », et de faire l’effort de revenir, comme le Samaritain qui effectue un retour sur soi-même : du grec metanoya. C’est bien différent d’un repli sur soi-même. Il revient pour relire sa propre vie, et il voit que ce qu’il a en ce jour – la purification de sa lèpre – c’est grâce à cet homme qui lui a dit : « Va te présenter aux prêtres ».

Nous pouvons nous aussi avoir cette relecture de notre vie et de nous dire : « Où est-ce que j’ai vu que le Seigneur a agi avec puissance », à commencer par le fait que nous sommes maintenus dans l’existence par Dieu lui-même et que si Dieu, non seulement cessait de nous aimer, mais cessait de nous penser, non seulement on mourrait, mais on tomberait vers le néant, le non-être. Rien que cette idée nous met face à un vertige…

L’excès de confort

Il y a une autre chose qui empêche de voir Dieu, de voir Son action, c’est non seulement le manque d’humilité, mais aussi le bonheur en lui-même.

A la fin d’une cérémonie de mariage, il y a plusieurs bénédiction que l’on invoque sur les mariés. Et la bénédiction finale du rite reprend cette formule :

« Que le bonheur ne vous éloigne pas loin de Dieu. »

Car, il est vrai que le bonheur terrestre peut nous faire voir Dieu comme étant accessoire, comme quelqu’un avec ou sans lequel on ferait aussi bien. Et, comme le dit le pape François très clairement, le confort, ce bonheur matériel que l’on connaît dans nos sociétés et la recherche de commodité éloignent progressivement du Seigneur. On, finit par s’attribuer à nous-mêmes ces propres mérites.

Et, au contraire, le Seigneur nous invite à sortir de nous-mêmes. Et la louange, c’est bien de rendre grâce à Dieu, comme l’a fait ce samaritain, celui qui n’avait pas conscience qu’il pouvait être restauré dans sa relation à Dieu, différemment des autres qui, eux, étaient juifs. Eux savaient bien qu’ils étaient privés d’aller au Temple, et l’histoire ne dit d’ailleurs pas s’ils y sont allés. Mais pour ce Samaritain, il y a eu quelque chose de très fort : il a vu cette grâce de Dieu.

Et nous-mêmes, je crois qu’à travers la louange de Dieu, il y a comme une invitation à sortir de nous-mêmes, à rentrer en nous-mêmes pour revisiter notre vie, mais pour sortir de nous-mêmes avant tout.

Et il est vrai que la tentation d’un repli sur nous-mêmes, que ce soit personnel ou communautaire, c’est une vraie tentation parce qu’on se pense seul et ne rentre pas dans cet esprit de louange qui nous fait voir tout comme un don et comme une grâce. Et l’on risque de voir la vie comme un du et non pas comme un don.

Et ces choses ont leur importance dans notre vie spirituelle. Laissons-nous interpeller. Et l’on peut demander au Seigneur, par l’intervention de la Vierge Marie, de rentrer plus dans cette âme de louange, dans cette âme d’action de grâce, dans cette dimension de prière, pour découvrir que le Seigneur est là, qu’Il est là pour tout ce que l’on a à vivre, et que c’est grâce à Lui que nous pouvons accomplir ce que nous accomplissons.

Demandons aussi au Seigneur que, si nous vivons des temps heureux, nous puissions aussi nous tourner vers Lui dans ces moments heureux, et que nous n’attendions pas forcément d’être dans la difficulté, dans la souffrance et dans la maladie pour nous tourner vers Lui. Mais que chaque moment soit un temps d’intimité avec le Seigneur. D’où cette importance de la consécration à Marie. Car, comme personne humaine, Marie nous montre ce chemin à la fois d’humilité et de louange, à la fois d’action de grâce et de reconnaissance.

Ne vivons pas comme des ingrats, nous qui sommes ici, nous avons beaucoup reçu de la part du Seigneur. Au contraire, rentrons dans cette louange d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Deuxième livre des Rois 5,14-17.
  • Psaume 98(97),1.2.3ab.3cd-4.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 2,8-13.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 17,11-19 :

En ce temps-là, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent :
— « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
À cette vue, Jésus leur dit :
— « Allez vous montrer aux prêtres. »
En cours de route, ils furent purifiés.

L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain.
Alors Jésus prit la parole en disant :
— « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ?
Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
Jésus lui dit :
— « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »