Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs, en ce jour de la fête du Saint Sacrement où Samuel s’engage de manière définitive de l’oblature, je vais méditer d’une manière particulière sur la prière d’action de grâces. Comme vous le savez sans doute, « Eucharistie » vient d’un mot grec qui signifie « action de grâces ».
Dans une première partie, je vais vous parler de l’action de grâces en général. Ensuite je vous parlerai plus précisément de l’Eucharistie. Et enfin de l’appel à nous associer plus intimement au sacrifice d’action de grâces de Jésus.
L’action de grâces en général
Sortir du narcissisme
Le remerciement est loin d’être facile ! Nous voyons que ce n’est pas spontané chez l’enfant ; il faut l’apprendre. Le remerciement suppose de sortir d’une forme de narcissisme, de ne pas se considérer comme ne devant rien à personne. Cela implique la capacité d’entrer en relation avec une autre personne ; on ne dit pas « merci » à une machine.
Cela est vrai aussi dans notre relation avec Dieu. Il est caractéristique que saint Paul estime que le péché des païens est de ne pas avoir rendu grâces à Dieu (Rm 1, 21).
Changer de regard et faire mémoire
L’épisode des dix lépreux de l’évangile est caractéristique (Lc 17). De ce groupe des lépreux guéris, seulement un, revient en arrière pour remercier Jésus et louer Dieu pour la grâce reçue. Les neuf autres continuent leur chemin. Comme le dit le pape François :
L’action de grâce suppose d’abord un regard particulier. Il faut commencer par voir les bienfaits dont nous sommes les bénéficiaires. Pour le croyant, le remerciement suppose un regard qui reconnaît que « tout est grâce », que l’amour du Seigneur précède, accompagne et suit sa vie. Il faut aussi faire fonctionner notre mémoire. Je vous invite à prendre le temps de vous remémorer des bienfaits de Dieu, ne pas vous coucher sans trouver 3 motifs de gratitude !
Faire en sorte que nous soyons des êtres d’action de grâce
Plus que quelque chose de ponctuel, un moment de la liturgie eucharistique, l’action de grâce désigne d’abord une attitude fondamentale de la vie chrétienne : la gratitude envers celui qui nous comble au-delà de toute mesure. L’action de grâce doit parvenir à imprégner l’être même d’une personne. C’est ce à quoi nous invite saint Paul dans son épître aux Colossiens :
« Vivez dans l’action de grâce.(…) Par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. » (Col 3, 15-17)
Les épîtres de saint Paul regorgent de prières d’action de grâce. La plus développée est celle qui se trouve dans l’épître aux Ephésiens (1, 3-14) : en quelques phrases, saint Paul évoque le Salut de Dieu, « dès avant la création du monde » et jusqu’au rassemblement final, « à la louange de sa gloire ». Il est beau de voir les réflexes d’action de grâces des apôtres dans les Actes.
Le fait d’être dans l’action de grâces permet à Dieu d’agir dans notre vie. On entre alors dans une spirale de grâce : la grâce appelle la grâce.
L’Eucharistie comme lieu privilégié de l’action de grâces
Participer à l’Eucharistie, c’est participer à l’action de grâces de Jésus
La préface qui introduit la prière eucharistique commence toujours ainsi :
L’eucharistie est un lieu privilégié pour nous éduquer à l’action de grâces, pour nous apprendre la gratitude à l’égard de Dieu. Participer à l’Eucharistie ne signifie pas seulement être présent à la messe ou faire quelque chose (une lecture, un chant, la quête, …) c’est plus profondément s’associer à l’action de grâces de Jésus à l’égard de son Père. Comme il serait bon d’arriver à la messe en nous émerveillant de l’œuvre de Dieu dans notre vie, en lui rendant grâces pour les victoires diverses et variées qu’il nous a accordées. La participation à l’Eucharistie dominicale peut nous aider à nous renouveler dans l’action de grâces.
Participer à l’Eucharistie, c’est faire nôtre la victoire de Jésus
La première lecture nous rapporte cet extrait de la Genèse où Abraham est revenu vainqueur de ses ennemis. Melkisédek offre alors le pain et le vin en action de grâces. Ce sacrifice d’action de grâces est offert après une victoire. Cela peut être une piste pour mieux comprendre l’Eucharistie comme sacrifice d’action de grâces.
En ressuscitant, Jésus signe la victoire définitive du bien sur le mal, de la vie sur la mort. Comme le chante un antique tropaire de la liturgie grecque de Pâques :
« Le Christ est ressuscité des morts ! Par sa mort, il a vaincu la mort. À ceux qui sont dans les tombeaux, il a donné la vie. »
C’est aussi le cri de victoire de saint Paul :
« Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? (…) Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. » (1 Co 15, 55.57)
Cela me fait penser aux supporters d’une équipe de foot : la victoire de leurs joueurs est aussi leur victoire. Ils n’ont pas couru sur le terrain mais ils ont la fierté et font leur cette victoire. Nous proclamons la victoire de l’amour de Jésus qui est allé jusqu’au bout. Sur la croix, Jésus a remporté une grande victoire pour nous sur le péché, la mort et les puissances du mal.
« Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ notre Seigneur. »
Réconcilier l’action de grâces et le sacrifice
Ces deux mots – sacrifice et action de grâces – peuvent nous paraître antinomiques car dans notre esprit, le sacrifice est quelque chose de douloureux (le sacrifice de la Croix en est l’exemple parfait) et l’action de grâces va plutôt de pair avec la joie.
Il est important de prendre conscience de la liberté avec laquelle Jésus s’est offert pour nous sauver : « ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). Jésus ne donne pas sa vie en râlant, à contre-coeur. Si nous sommes des râleurs invétérés, cela signifie certainement que nous avons encore du chemin à faire pour assimiler vraiment l’eucharistie. L’Eucharistie nous aide à intégrer ce qui est difficile dans notre vie, c’est à cela qu’elle sert, mais c’est une exigence dans l’attitude de foi.
Participer à l’Eucharistie, c’est se tourner vers l’avenir ; ce n’est pas nostalgique
Un verset de la deuxième lecture de ce jour dit ceci :
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (1 Co 11, 26)
Le mémorial eucharistique ne nous fait pas vivre dans un passé révolu. Au contraire, l’Eucharistie nous projette en avant. Quand nous chantons l’anamnèse après la consécration, c’est une manière de chanter la victoire de Jésus dans son mystère pascal :
Cette anamnèse peut encore prendre d’autres formes, c’est à dire :
ou « Proclamons le mystère de la foi : Gloire à toi qui étais mort, gloire à toi qui es vivant, notre Sauveur et notre Dieu : Viens, Seigneur Jésus ! »
Eucharistie : nous offrir avec Jésus (oblat : vie donnée à Dieu)
L’offertoire
Le pain et le vin offerts à la messe sont des fruits de la terre et du travail de l’homme. Par Jésus, nous louons le Père pour sa bonté, et pour la beauté de tout ce qu’il nous donne. Le pain et la vin sont aussi le « fruit du travail des hommes » : Ils évoquent chacun l’effort et le renoncement : pour que l’Homme « gagne son pain », la terre est labourée, le blé est semé, récolté, broyé, pétri…. La vigne est, elle aussi, objet de soins attentifs : on la plante, on la taille, on récolte le raisin que l’on presse pour obtenir le jus qui se transformera en vin.
Toutefois, les efforts de l’Homme ne suffisent pas : Pain et vin sont aussi le « fruit de la terre », du soleil et de l’eau, et donc également un don.
La procession des offrandes, chemin pour se donner à Dieu
En s’avançant tout à l’heure dans procession des offrandes, Samuel le fera dans une attitude d’action de grâce pour cette vie qu’il a reçue de Dieu par le biais de ses parents. Et il signifiera aussi l’offrande de sa vie qu’il ne souhaite pas faire de manière contrainte et chagrine mais dans la joie de l’action de grâces. C’est le sens aussi du beau nom qu’il porte avec Dominique : être oblat, être offert à Dieu. Cela répond à l’invitation de saint Paul dans la lettre aux Romains :
« Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rm 12, 1)
C’est notre sacerdoce baptismal.
Cette procession des offrandes est en même temps un chemin de simplicité et d’humilité. Nous avons bien conscience de n’apporter que nos 5 pains et nos 2 poissons. L’important est d’apporter quelque chose. Il y a un décalage entre ce que nous donnons et ce que Jésus en fait. Mais si nous n’apportions rien, cela serait compliqué à multiplier !
Offrir nos vies à Dieu
« Par lui, avec lui et en lui », c’est en Jésus que nous rendons gloire au Père. Jésus est notre modèle et notre médiateur dans l’action de grâces. Chaque chrétien est appelé à répondre au don de Dieu en faisant de sa vie un don, un remerciement, une eucharistie vivante. Ce mémorial de la Pâque du Christ est comme le sommet de notre vie chrétienne. Tout dans notre vie doit converger vers ce moment capital où Jésus passe de ce monde à son père par l’offrande de sa vie. C’est pourquoi on n’assiste pas à la messe comme un spectateur étranger mais on y participe en joignant l’offrande de soi-même à celle du Christ à son Père. Tout ce que nous faisons au long de nos journées, tout ce que nous sommes doit converger vers ce moment où par Lui, avec Lui et en Lui nous rendons gloire au Père. C’est le lieu où notre amour d’enfants de Dieu peut remonter vers le Père pour être réciproque. (Nous sommes vraiment fils dans le Fils). Voilà pourquoi le sacerdoce des prêtres est au service du sacerdoce des fidèles puisque les fidèles peuvent joindre l’offrande d’eux-mêmes à Dieu à l’offrande du Christ sur l’autel.
Conclusion :
Que cette célébration nous renouvelle dans l’amour de l’Eucharistie de manière à ce que nous puissions y participer de manière plus consciente et active.
Catherine de Sienne compare l’Eucharistie à un soleil, à un feu auquel nous venons allumer nos flambeaux. Selon la taille de notre cierge, nous emportons plus ou moins de lumière. La taille du cierge, c’est la mesure de notre désir. Si notre cierge est tombé dans la boue de nos péchés, alors, il ne s’allume même pas tant qu’il n’a pas été séché au feu d’une véritable contrition.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 14,18-20.
- Psaume 110(109),1.2.3.4.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 9,11b-17 :
En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu et guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent :
— « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. »
Mais il leur dit :
— « Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Ils répondirent :
— « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. »
Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples :
— « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. »
Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde.
Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule.
Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.