Homélie du 32e dimanche du Temps Ordinaire

11 novembre 2019

« Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur ‘le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.’
Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »

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Texte de l’homélie :

Dans le parallèle de saint Marc, la chute de ce passage d’évangile est brutale :

« Vous êtes complètement dans l’erreur. » (Mc 12, 27 ; Mt 22, 29)


Je voudrais voir avec vous ce matin trois raisons pour lesquelles les Sadducéens sont « complètement dans l’erreur » : leur rationalisme, la conception qu’ils se font de la résurrection, la fidélité de l’amour de Dieu.

Rationalisme

Le terrain sur lequel les sadducéens abordent Jésus n’est pas celui de la foi mais celui d’une raison enfermée sur elle-même.
Comme l’a développé saint Jean-Paul II dans son encyclique « Foi et raison », il n’y a pas d’opposition entre la foi et la raison. Comme le disait Saint Jean-Paul II :

« La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. » ( Fides et ratio, introduction)

« Il faut proclamer que la foi ne craint pas la raison, mais elle la recherche et elle s’y fie. De même que la grâce suppose la nature et la porte à son accomplissement, ainsi la foi suppose et perfectionne la raison. » (Fides et ratio n. 43)

Mais la foi permet à la raison d’aller plus loin :

« C’est la foi qui incite la raison à sortir de son isolement et à prendre volontiers des risques pour tout ce qui est beau, bon et vrai. La foi se fait ainsi l’avocat convaincu et convaincant de la raison. » (Jean-Paul II, Fides et ratio n. 56)

« La vérité de la Révélation ne se superpose pas à celle qui est atteinte par la raison ; elle purifie plutôt la raison et l’élève, lui permettant ainsi d’élargir ses propres espaces pour s’insérer dans un domaine de recherche insondable comme le mystère lui-même. » (Benoît XVI, 16 octobre 2008)

La foi nous ouvre de nouveaux horizons inaccessibles en tant que tels à la raison laissée à ses seules forces. Peut-être connaissez-vous l’acte de foi :

« Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que vous nous avez révélées et que vous nous enseignez par votre Église, parce que vous ne pouvez ni vous tromper, ni nous tromper. »

Il est intéressant de voir que pour répondre aux Sadducéens, Jésus s’appuie sur la Parole de Dieu. Nous voyons combien Jésus se réfère à l’Ecriture. Depuis le récit des tentations jusqu’à la rencontre des disciples d’Emmaüs, sa référence est l’Écriture ; c’est à partir d’elle qu’Il ouvre l’intelligence de ses auditeurs ; Il l’avait bien dit au tentateur :

« L’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de la parole de Dieu. »

Ici, Il dit en quelque sorte : ne nourrissez pas votre foi de raisonnements et de discussions mais de la Parole de Dieu. Il nous revient d’accueillir cette Parole dans la foi. C’est de faire confiance en Dieu qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Or les Sadducéens s’appuient plus sur leurs raisonnements que sur la Parole de Dieu.
Refuser de croire en la résurrection est bien loin d’être une preuve d’intelligence : c’est plutôt la preuve d’une intelligence trop courte pour saisir un mystère qui la dépasse.

« L’œil du monde ne voit pas plus loin que la vie, comme le mien ne voit pas plus loin que ce mur, quand la porte de l’Église est fermée. L’œil du chrétien voit jusqu’au fond de l’éternité. » (Pensées du Curé d’Ars p.238).

Saint Paul y revient souvent dans ses lettres quand il oppose la sagesse humaine à la folie de la Croix du Christ.

Une légende médiévale raconte que Saint Augustin se promenait un jour au bord de la mer en train de réfléchir sur le mystère de la Sainte Trinité. Il aperçoit un enfant qui avait creusé un trou dans le sable et allait chercher de l’eau avec un coquillage pour la verser dans son trou. Saint Augustin lui demande :

« — Que fais-tu là ?
— Je veux mettre toute l’eau de la mer dans mon trou.
— Mais, mon petit, ce n’est pas possible ! reprend Augustin. La mer est si grande, et ton bassin est si petit !
— C’est vrai, dit l’enfant. Mais j’aurai pourtant mis toute l’eau de la mer dans mon trou avant que vous n’ayez compris le mystère de la Sainte Trinité. »

Sur ces paroles, l’enfant disparaît. Augustin réalise alors que c’est un ange qui a pris cette forme pour lui faire comprendre qu’on ne peut jamais épuiser le mystère de Dieu avec notre raison limitée. Saint Augustin reste un très grand théologien.

Nous devons veiller à ne pas vouloir faire entrer Dieu dans nos petites cuisines. On ne fait pas entrer Dieu dans nos plans ; cela requiert de notre part une certaine humilité et une certaine souplesse pour se laisser enseigner par Lui.

La conception de la résurrection

Les Sadducéens, même s’ils croient avoir trouvé un argument imparable, sont à côté de la plaque. Ils transposent dans l’au-delà les réalités terrestres. Ils confondent la résurrection de Lazare et celle de Jésus. La résurrection de Lazare, c’est un retour en arrière ; celle de Jésus un bond en avant. La résurrection de Jésus, ce n’est pas prolonger la vie terrestre ; c’est entrer dans une nouvelle dimension de l’existence. Que de fois nous sommes tentés de revenir en arrière. Mais ce n’est pas la manière de faire de Dieu.
Le temps n’est pas cyclique, il a une direction.

La béatitude éternelle n’est pas un simple accroissement et un prolongement des joies terrestres, avec les plaisirs de la chair et de la table à satiété. Il ne faut certainement pas prendre au pied de la lettre les images pour parler du Ciel. L’autre vie est vraiment une autre vie, une vie de qualité différente. Elle est, certes l’accomplissement de toutes les attentes de l’homme sur la terre - et même infiniment plus - mais sur un autre plan.
Dans la résurrection, il y a une continuité : c’est bien le même Jésus et Son corps a disparu du tombeau. Mais il y a aussi une discontinuité : le corps de Jésus n’a pas les mêmes propriétés que lorsqu’Il était sur terre : c’est ce qui fait que Marie-Madeleine et les apôtres ont du mal à le reconnaître. Son corps est glorifié.

De nombreux jeunes sont avec nous pour discerner s’il s’orientent ou non pour le mariage. Jésus rappelle aux sadducéens que le mariage est pour la terre, pas pour le ciel. Rassurez-vous : vous n’allez pas vous perdre de vue quand vous arriverez au ciel.
Saint Augustin l’exprime d’une belle manière :

« On ne peut perdre celui qu’on aime si on l’aime en Celui qu’on ne peut perdre. »

Les deux finalités du mariage se réfèrent à notre vie terrestre :

  • union des époux : l’union à Dieu dépasse toute autre union ; seul Dieu peut nous combler absolument. Sur cette terre, l’union à une autre personne humaine peut comme rendre visible cette union invisible. Tant que nous ne sommes pas dans le face à face, il nous est bon d’avoir des unions visibles. Mais ceux qui reçoivent un appel particulier au célibat pour le royaume manifestent que Dieu peut être choisi par dessus tout. L’union à Dieu est quelque chose de si beau qui seul peut combler pleinement le cœur humain.
  • fécondité : prolonger l’espèce en donnant l’existence aux enfants ; cela ne vaut que dans ce monde périssable, pas dans la vie éternelle. La loi du lévirat avait comme but de perpétuer le nom, et pour l’homme biblique, perpétuer le nom, c’est en quelque sorte perpétuer la personne elle-même. Mais cette loi du lévirat est prévue dans un régime où l’on ne croit pas encore à la résurrection.

La fidélité de Dieu à son amour

Il faut dire que la réponse de Jésus est assez subtile :

« Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.
Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »

Autrement dit, Dieu ne serait pas révélé à Moïse comme le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob si ces derniers étaient morts pour toujours. Dieu, qui est fidèle à ses promesses, ressuscitera Abraham, Isaac et Jacob.
Il est très beau de prendre conscience que – si Dieu a fait alliance avec nous – ce n’est pas pour nous abandonner au moment de la mort. Quand Dieu scelle une alliance avec quelqu’un, c’est pour toujours !

Dieu a l’humilité de prendre notre nom un peu comme une épouse prend le nom de son mari lors des noces. Dans cet échange, l’homme gagne la vie divine elle-même. Dieu se communique lui-même, lui qui est éternel. Dans l’Evangile, on peut voir la résurrection comme nécessitée par la communion qui unit Dieu et l’homme.
On voit déjà dans la première lecture que les sept frères voient la résurrection comme une conséquence logique de l’amour de Dieu pour eux : « nous sommes fidèles à ta Loi jusqu’à la mort, comment ne nous ressusciterais-tu pas ? »

Conclusion : Les incidences pratiques d’une telle foi

Frères et sœurs bien-aimés, quel contraste entre les sadducéens de l’Evangile et les sept frères du livre des Martyrs d’Israël !
Les 7 frères arrêtés par le roi Antiochus ont une telle foi en la résurrection qu’ils n’hésitent pas à donner leur vie plutôt que de renier la foi que Dieu leur a donnée.
Les Sadducéens, collaborateurs des Romains, ne reculent pas devant certaines compromissions pour faciliter leur vie présente sur la terre. On peut les comprendre : si leur existence se limite à la vie sur la terre, comment ne pas écarter la souffrance au maximum, quitte à enfreindre la loi donnée par Dieu.

S’il n’y a pas de résurrection, alors pourquoi le martyre, les béatitudes sont incompréhensibles, la croix est insupportable, il faut fuir la souffrance à tout prix.
C’est ce même courage qui a animé les premiers chrétiens et qui fait vivre encore beaucoup de chrétiens aujourd’hui.

« Dans le monde on cache le ciel et l’enfer : le ciel, parce que si on en connaissait la beauté, on voudrait y aller à tout prix ; mais l’enfer, parce que si on en connaissait les tourments qu’on y endure, on ferait tout pour ne pas y aller" (Pensées du Curé d’Ars p. 238).

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Deuxième livre des Maccabées 7,1-2.9-14.
  • Psaume 17(16),1ab.3ab.5-6.8.15.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 2,16-17.3,1-5.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 20,27-38 :

En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent :
« Maître, Moïse nous a prescrit : ‘Si un homme a un frère qui meurt en laissant une épouse mais pas d’enfant, il doit épouser la veuve pour susciter une descendance à son frère.’
Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi.
Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Jésus leur répondit :
« Les enfants de ce monde prennent femme et mari.
Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection.

Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur ‘le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.’
Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »