Homélie du 3e dimanche de Carême

1er mars 2016

« Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas. »

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Texte de l’homélie :

Frères et Sœurs bien aimés,

Nous avons du mal à comprendre le langage biblique, parce que nous ne sommes plus dans une culture biblique. Et de ce fait, le langage de Jésus nous paraît rude aujourd’hui :

« Si vous ne vous convertissez-pas, vous mourrez tous ! »

Et dans l’Ancien Testament, l’on voit Dieu faire mourir untel ou untel autre… Comment interpréter cela ?

« Si tu continues à agir comme tu agis, tu vas vers la mort »

C’est ce que cela veut dire. Le fruit de tes actes, la rançon de ta responsabilité, tôt ou tard te conduira à la mort. Si vous aussi vous ne changez pas de conduite, si vous ne vous tournez pas vers le Seigneur, qu’est-ce qui vous attend sinon la rançon de vos actes ?
Alors on voit les choses de façon différente : se dire que nous sommes responsables des actes que nous posons. Et lorsque Jésus dit « vous périrez tous », Il parle de mort spirituelle.
On ne parle plus beaucoup du Jugement dernier, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas, ou que c’est de l’histoire ancienne pour faire peur aux gens pour qu’ils viennent à l’église ! Non, le Jugement dernier c’est le moment où la rançon de nos actes retentit dans l’Éternité. C’est aussi le signe que nous avons un libre-arbitre : si vous ne changez pas de conduite, vous périrez tous.

Alors, c’est vrai que la Parole est dure. Et Saint Paul nous dit que parmi tous ceux qui étaient dans le désert avec Moïse, certains n’ont pas su plaire au Seigneur, ils ont posé des actes qui ont remis en cause la Parole du Seigneur, et alors "leurs ossements jonchère le désert"…

Notre libre-arbitre a des conséquences considérables

Et singulièrement, le libre-arbitre par rapport à ce que Dieu nous propose dans les Commandements donnés à Moïse, ou dans l’Évangile, a des conséquences considérables : considérables pour notre Salut, considérables pour les autres, et si aucun changement, aucune conversion n’intervient, nous aurons la rançon de notre propre agir, et le Seigneur respectera notre liberté jusqu’à nous laisser nous éloigner de lui totalement, et c’est la mort spirituelle.

Il est bon de reprendre conscience de tout cela, que notre responsabilité est grande par rapport à notre Salut. Bien sûr que le Salut est le fruit d’une grâce, il est gratuit, mais en même temps, comme le disait le grand Saint Augustin :

« Dieu qui t’a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi. »

Alors, présentée comme cela, notre responsabilité nous dynamise, cela ne nous décourage pas. Je peux me dire : « qu’est-ce que je peux transformer dans ma vie pour que je puisse choisir la vie et non la mort ? » la mort intérieure, la mort spirituelle…

Pendant ce temps de Carême, il y a une question particulière à se poser

Ce qui nous conduit à la mort, c’est de mettre quelque chose ou quelqu’un à la place de Dieu, c’est l’idolâtrie. L’idolâtrie conduit à la mort. Trois formes d’idolâtrie nous ont été présentées au début du Carême dans le récit des tentations au désert : idolâtrie des plaisirs, du pouvoir et des richesses, et l’orgueil de l’esprit où de soi-même est centre de sa vie.
Tout cela conduit à la mort parce que dans ces idoles il n’y a pas de source de vie.

Pour entrer dans la vie, à un moment donné, il nous faut faire confiance à la Parole du Seigneur. Mais si soi-même on veut tout maîtriser, comme les Israélites qui ont rechigné dans le désert : ils ont voulu tout maîtriser et sont sortis de la confiance ne la Parole de Dieu, et cela les a conduits à la mort.
On le voit bien, nos propres forces sont limitées et donc d’une manière ou d’une autre, nos agissements ne seront pas porteurs de vie.

Il faut débusquer dans nos vies les idoles

Idoles du plaisir, des jouissances, de l’argent, du pouvoir, du savoir, peut-être aussi idolâtrie sous forme spirituelle, qui peut nous conduire à tirer orgueil de notre avancée spirituelle !
Il faut les débusquer parce que cela ne nous fait pas vivre. Ce qui nous fait vivre, c’est avoir cette attitude de pauvre face au Seigneur. C’est la première Béatitude sui les résume toutes :

« Bienheureux les pauvres en esprit. »

D’une manière ou d’une autre, notre désir d’infini, parce qu’on a en nous un désir d’infini, nous fait sentir qu’on a en nous quelque chose qui nous pousse, qui nous tire vers le haut : « L’Homme est capable de Dieu », ’’Capax Dei’’ : ainsi commence le catéchisme de l’Église catholique.
Il y a quelque chose en l’homme qui l’appelle à l’infini. Et ce quelque chose est source de vie lorsqu’il se tourne vers le Seigneur qui est infini Lui-même. Mais cette disposition se retourne contre nous-mêmes quand on prétend combler ce désir d’infini qui nous habite par les choses de ce monde bien limitées, bien éphémères !

Le Seigneur nous dit « Faites attentions, soyez attentifs, réveillez-vous ! »

Il y a des moments dans notre vie où on prend conscience qu’elle passe vite… comme un souffle, comme ces vies qui sont fauchées comme cela, sans crier gare, et ceux qui sont à côté se disent alors : « Mais qu’est-ce qui compte vraiment ? » Est-ce que c’est ce que propose le monde ? Est-ce que c’est l’accumulation de biens ? La course au pouvoir ?
Qu’est-ce qui compte vraiment, si une vie peut partir d’un instant à l’autre, comme nous dit le psaume :

« Elle fleurit le matin et le soir elle est desséchée »

Est-ce que dans ma vie, alors, je peux poser des actes que je vais retrouver dans l’Éternité ? _ Et quels sont ces actes ? Ce peuvent être des actes d’amour désintéressés. Et le Seigneur nous dit alors, quand on se tourne vers Lui, dans la confiance en sa Parole, que ces actes d’amour désintéressés, réalisés sans en voir les fruits, sont porteurs de vie.

Mais en même temps, l’Évangile est bien souvent paradoxal.

Dans ce même passage, il nous est dit autre chose : il est question de celui qui a planté un figuier dans sa vigne, un figuier qui ne portait pas de fruits. Cela fait 3 ans qu’il ne donne pas de fruit. « Il a eu sa chance » ! Maintenant, voilà, il ne veut pas porter de fruit, eh bien coupe-le à la racine !
Et pour autant le maître écoute le vigneron lui expliquer :

« Laisse-le encore une année, le temps que je bêche, que je mette du fumier, peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. »

Le Seigneur Lui ne désespère pas de nous

Même si, parfois, nous désespérons de nous-même.
Cette première partie de l’évangile est donc d’une certaine gravité, d’une certaine urgence, et la deuxième partie de l’évangile dans cette parabole nous invite à la confiance : il y a toujours un moment possible pour la conversion.
Et peut-être avons-nous eu dans nos vies des moments particuliers où nous nous sommes tournés vers le Seigneur, où nous avons vécu des prises de conscience, alors que nous vivions notre foi de façon plus ou moins endormie, ou même pas de foi du tout avec notre baptême qui restait à l’état comateux… Et, à un moment donné, il y a eu une prise de conscience, et je me suis tourné vers le Seigneur.

« Laisse-lui encore quelque temps, je vais encore le travailler ! »

Et c’est l’Espérance chrétienne de dire que le Seigneur est patient, et qu’Il montre sa Toute-puissance lorsqu’Il patiente et prend pitié. Et cela, c’est très beau. Et notre Pape François, dans ce Jubilée de la Miséricorde, nous redit que cette Miséricorde est signe de la Toute-puissance de Dieu, et non pas le signe de sa faiblesse. Alors, ça nous laisse espérer.

Pourtant, le chrétien est toujours tiraillé. En théologie, on voit le « déjà » et le « pas encore » : déjà nous sommes sauvés, mais nous ne sommes pas encore dans la gloire. Déjà nous sommes rachetés, mais nous sommes encore en pèlerinage. Et ici : déjà le Seigneur nous appelle de façon urgente à la conversion, et en même temps, il nous dit « Je suis celui qui patiente » parce que je suis Celui qui souffre pour vous, et avec vous : patience, passion.
Le paradoxe est fécond pour l’intelligence et le cœur, il nous emmène plus loin que nos cases déjà toute bien préparées…

Alors laissons-nous secouer par cet appel du Seigneur

Laissons-nous bousculer par cette urgence, et rentrons en même temps dans cette confiance en ce Dieu Lui-même qui marche à nos côtés, qui prend soin de nous, et qui, par sa Toute-puissance, nous redonne confiance dans nos capacités de nous tourner vers Lui,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 3,1-8a.10.13-15.
  • Psaume 103(102),1-2.3-4.6-7.8.11.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,1-6.10-12.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 13,1-9 :

Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
Jésus leur répondit :
— « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ?
Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.
Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ?
Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. »

Jésus disait encore cette parabole :
« Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron :
— “Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?”
Mais le vigneron lui répondit :
— “Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier.
Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.” »