Homélie de la solennité de la Sainte Trinité

24 mai 2016

« Tout ce que possède le Père est à moi ; l’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,
Que se passerait-il si dans une voûte, on enlevait la pierre que l’on appelle la « clé de voûte » ? Je vous conseillerais de ne pas rester en dessous !

Hélas, pour beaucoup de chrétiens, la Trinité complique la vie chrétienne bien plus qu’elle ne l’éclaire, et l’on se demande ce que le dogme de la Trinité pourrait bien changer à notre manière de croire et plus encore, à notre manière de vivre ? Or, en mettant à l’écart la Trinité, nous perdons l’essentiel de la foi, la clef de voûte de la pensée et de l’agir chrétien. Sans la Trinité, le christianisme est vidé de sa signification et de son extraordinaire originalité.

Dans un premier temps - très brièvement - je vais voir avec vous comment s’est élaboré le dogme de la Trinité. Dans un deuxième temps, nous verrons comment le mystère de la Trinité nous aide à mieux comprendre l’Amour qu’est Dieu.

Comment s’est élaboré le dogme de la Trinité ?

Il y a quelques mois, nous avons célébré Noël où le Verbe de Dieu se fait chair. Puis nous avons célébré Pâques où le Seigneur, par sa mort et sa résurrection, nous a sauvés.
Le temps pascal s’est achevé par la Pentecôte où nous a été donné l’Esprit-Saint. Peu à peu, les différentes personnes de la Trinité se sont manifestées.

Aujourd’hui, dans cette grande fête de la Trinité, c’est comme si nous prenions un peu de recul pour voir, au-delà de ce que Dieu a fait pour nous, ce qu’il est en lui-même. Les interventions de Dieu dans l’histoire nous ont révélé quelque chose de lui-même.
Nous passons ainsi de “la Trinité pour nous” à “la Trinité en soi”.

Après la Pentecôte, c’est d’emblée « Au nom du Père, du Fils et de l’Esprit » que les premiers chrétiens se sont réunis, ont annoncé la Bonne Nouvelle et baptisé de nouveaux croyants. La foi en la Trinité a été proclamée avant d’être réfléchie. Il a fallu plusieurs siècles pour parvenir à trouver les mots pour exprimer le moins maladroitement possible ce mystère. Le point de référence de la réflexion des Pères de l’Église étaient les paroles de Jésus.

Cheminement à travers les erreurs païennes

C’est à travers divers tâtonnements que l’on a pu écarter diverses voies erronées.

  • La première voie sans issue était le « trithéisme ». Père, Fils et Esprit seraient trois Dieux d’égale dignité, distincts et pleinement autonomes. Mais Jésus n’a jamais rien dit de pareil. Il a affirmé que Lui et le Père sont un - pas deux - et que l’Esprit qu’Il enverra est son propre Esprit, qui a tout reçu de Lui.
    Cette tentative de conceptualisation était manifestement trop fruste : il ne s’agissait plus du Dieu Un et Trine, mais d’un Dieu triple.
  • La tentative inverse était tout aussi erronée : Dieu est un et les trois personnes ne sont que trois manifestations du même Dieu. Il y a trois « modalités » en Dieu. C’est le « modalisme » de Sabellius au IIIe-IVe siècle. Dieu est un, mais Il se manifeste sous trois aspects : comme Père, comme Fils et comme Esprit. Les trois personnes divines sont ramenées ici à une seule.
    Ceci non plus, Jésus ne l’a jamais dit : Il parle au Père comme à une personne à part entière, et Il envoie l’Esprit comme une troisième personne, non comme un morceau de soi-même.
  • Une dernière tentative de solution du problème fut de supposer un ordre de subordination à l’intérieur de la Trinité. Il n’y a qu’un seul Dieu : le Père. Le Fils et l’Esprit sont de deuxième rang, subordonnés à Lui. C’était la conception d’Arius, prêtre d’Alexandrie en Égypte au IVe siècle. Jésus est seulement un homme, pas vraiment le Fils de Dieu. Il n’existe pas de toute éternité ; Il a été créé par le Père à un moment donné du temps. Il n’existe pas en simultanéité avec le Père et n’est donc pas Dieu comme Lui.
    L’« arianisme » a connu partout un succès inouï, tant en occident qu’en orient, et certaines idées à propos du Christ encore en vogue de nos jours sont incontestablement ariennes : le Christ est un grand homme, inoubliable même, mais Il n’est pas Dieu comme le Père.

Établissement de la vérité de la Foi

Ces diverses tentatives malheureuses ont permis d’éclaircir trois vérités fondamentales de notre foi chrétienne :

  1. Il n’y a qu’un seul Dieu.
  2. Le Père, le Fils et l’Esprit Saint sont trois personnes à part entière dans la Trinité, distinctes et non fusionnées.
  3. Père, Fils et Esprit sont tous trois également Dieu. L’Église peut donc les adorer pareillement comme Dieu et dire : « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit ».

Trois affirmations donc : l’unité, la différence et l’égalité des trois personnes. Finalement, on se servit des concepts grecs de « nature » et de « personne ». Il y a une seule nature divine, et il y a trois personnes. Après des siècles de développement théologique et de luttes - sans oublier l’impact de la réflexion et de la sainteté de grandes figures comme Athanase, Basile, Hilaire, Irénée et tant d’autres -, on en arrivera au Credo qui, depuis les grands conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381), se présente dans sa formulation de confession de foi que nous connaissons encore aujourd’hui.

Pour mieux comprendre l’Amour qu’est Dieu

Ce qui est en jeu dans le dogme de la Trinité ce n’est ni plus ni moins qu’une compréhension de l’amour. Le mystère de la Trinité donne une richesse infinie à l’amour.
Le mystère de la Trinité nous est certainement beaucoup plus proche qu’il n’y paraît au premier abord. À quelqu’un qui prétendait : « Je ne vois rien de la Trinité ! », Augustin répliquait :

« Eh bien si ! tu vois la Trinité, quand tu vois la charité »
(De Trinitate VIII, 8.12)

Celui qui veut « voir » le Père, le Fils et l’Esprit, doit chercher les lieux où l’on trouve la charité. La charité rend la Trinité visible. En effet, dans la charité, il y a au moins deux protagonistes : celui qui aime et celui qui est aimé. Et il y a l’amour qui circule entre eux. Saint Augustin propose une Trinité d’amour où le Père est celui qui aime, le Fils celui qui est aimé et l’Esprit Saint l’amour même. il y a l’amant, l’aimé et l’amour.

Ce mystère nous donne de percevoir une proximité inouïe de Dieu.
Dieu n’est pas un être solitaire. Il n’attend pas sur son trône que nous venions lui faire des courbettes. Ce serait un dieu affreusement narcissique. Bien sûr, Dieu est infiniment grand et nous sommes invités à l’adorer. Mais en même temps, il y a une vie d’amour en Dieu ; Dieu, ce sont trois personnes qui s’aiment depuis toute éternité ; c’est un Père qui se donne tout entier à son Fils, sans rien se réserver pour lui ; c’est un Fils qui se reçoit tout entier de son Père ; c’est un Esprit Saint qui est le sceau de l’amour parfaitement réciproque du Père et du Fils.

Dans le mystère de la Trinité, nous voyons que Dieu n’est pas seulement celui qui donne, il est aussi celui qui accueille, qui reçoit.
Si l’on considère Dieu seulement comme le donateur de tout bien, on se demande ce que l’on pourrait bien lui apporter. La relation avec lui serait à sens unique. Mais dans le Fils, nous découvrons que Dieu est aussi celui qui reçoit. Bien sûr, Dieu pourrait tout à fait se passer de nous car il est parfait. Bien sûr aussi, nous ne pourrons jamais lui donner que ce que nous avons reçu de lui. C’est un peu comme les parents qui donnent aux enfants des sous pour qu’ils puissent leur acheter un cadeau. Recevoir est une dimension essentielle de l’amour. Cela nous met en situation d’humilité, de dépendance, de gratuité vis-à-vis de l’autre.
De ce mouvement où l’on donne et où l’on reçoit naît la communion. Dans le don et l’accueil réciproque naît un lien fort, un lien vivant de plus en plus tangible et qui rejaillit sur l’un et sur l’autre : une communion d’amour.

La soif de communion qui nous habite vient de ce que le Dieu Trinité nous a créés à son image et à sa ressemblance. Comme le disait Benoît XVI :

« Reprenant une analogie suggérée par la biologie, nous pourrions dire que l’être humain porte dans son propre « génome » l’empreinte profonde de la Trinité, de Dieu-Amour. » (7 juin 2009)

Ou encore :

« La meilleure preuve que nous sommes faits à l’image de la Trinité est la suivante : seul l’amour nous rend heureux, car nous vivons en relation, et nous vivons pour aimer et être aimés. »

Mais il faut aller plus loin encore : la chance inouïe que nous avons, c’est que Dieu nous invite pas à être seulement spectateurs de cet amour infini, mais d’y être participants.
C’est la grâce qui nous est faite dans le baptême et que nous sommes appelés à déployer tout au long de notre vie chrétienne.

Conclusion

Que la contemplation de la Trinité nous aide à mieux vivre de la charité. Qu’elle nous aide à savoir donner et recevoir ! Qu’elle nous aide à toujours désirer l’unité sans pour autant vouloir faire disparaître les différences ! Qu’elle nous aide à ne jamais regarder les autres avec un complexe de supériorité ! Marie est certainement la personne humaine qui a été la plus proche de la Trinité. Qu’elle cette mère du bel amour, nous aide sur ce chemin.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Proverbes 8,22-31.
  • Psaume 8,4-5.6-7.8-9.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5,1-5.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 16,12-15 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand Il viendra, lui, l’Esprit de vérité, Il vous conduira dans la vérité tout entière.
En effet, ce qu’Il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’Il aura entendu, Il le dira ; et ce qui va venir, Il vous le fera connaître.
Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.

Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »