Texte de l’homélie
Frères et sœurs bien-aimés, un certain nombre d’entre-vous êtes venus pour passer un week-end spirituel, un temps spirituel en famille. La famille est par excellence le lieu de la transmission : transmission des gènes, du patrimoine, de la foi et de toutes les valeurs chrétiennes qui y sont attachées et que nous retrouvons dans l’Évangile
Quand on forme une famille, la transmission est certainement ce qui habite le cœur des parents et des grands-parents. Et en ce dimanche de la Transfiguration, c’est la transmission qui est mise à l’honneur, car la Transfiguration est une transmission. La preuve, à la fin de l’évangile que nous venons de lire, il est dit qu’une voix de la nuée, celle du Père, dit :
« Celui-ci est mon fils bien-aimé. Écoutez-le ! »
Écouter suppose un émetteur et un récepteur. C’est vrai pour les émissions hertziennes, mais aussi pour les transmissions vécues à l’intérieur de la famille : il s’agit d’une parole dite et d’une parole accueillie.
S’il y a trois récit de la Transfiguration – dans Matthieu, dans Marc et dans Luc – il y a une différence dans celui de Saint Luc : il s’agit de la question du sommeil.
« Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. »
Jésus va manifester Sa gloire, Il va transmettre l’expression de Sa divinité, et Il fait également la première annonce de Sa passion. Et cette mention du sommeil pose question.
Dans la première lecture, dans le livre de la Genèse, il y a aussi cette référence au sommeil :
« Un sommeil mystérieux tomba sur Abraham, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses, un brasier fumant et une torche embrasée. »
C’est comme si, pour accueillir la transcendance, l’homme devait lâcher prise. Cela signifie que, pour entrer dans une transmission, il faut accepter de perdre le contrôle. Et dans la parole de Dieu, plusieurs épisodes font référence à cela, comme par exemple à Gethsémani :
« Puis il emmène avec Lui Pierre, Jacques et Jean… »
Il s’agit d’ailleurs des trois mêmes disciples. Il commence à ressentir frayeur et angoisse :
« Il leur dit : « Mon âme est triste à mourir. Restez et veillez. »
Allant un peu plus loin, Il tombait à terre et priait. Et quand Il revient, Il trouve ses disciples endormis »
Cela se produit par trois fois.
Cette question du sommeil est aussi présente au tout début, dans le récit de la Création, avec Adam. Vous vous souvenez :
« Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur pris une de ses côtes et la referma. »
Voici le récit de la création d’Eve, c’est à dire « celle qui est à ses côtés ». Et c’est ainsi qu’il peut émettre une parole.
Le sommeil est aussi présent à la Résurrection, comme une sorte de contre témoignage, une excuse. Vous vous rappelez que, suite à la disparition du corps de Jésus dans le tombeau, un accord qui avait été passé entre les soldats et les grands prêtres pour donner cette explication :
« Vous direz que ses disciples sont venus voler le corps pendant la nuit, alors que nous dormions. » Et c’est l’explication qui s’est propagée chez les Juifs jusqu’à aujourd’hui.
Il est intéressant de s’interroger si ce moment où on lâche prise arrive comme une erreur, un imprévu, un bug… Ce moment où on est « agi » par Dieu, où on n’est pas dans le contrôle, n’est-ce pas finalement une pédagogie de la transmission ? La transmission ne demande-t-elle pas aussi quelque chose de cet ordre là pour qu’à un moment donné, l’œuvre de Dieu Lui-même touche le cœur des uns et des autres. C’est peut-être là où on est le moins conscient que Dieu agit le plus, là où on a pas forcément quelque chose à dire et à proclamer.
La psychologie nous confirme que 60% de la communication est non verbale. Et il faut en tenir compte dans votre désir de transmettre en famille. En même temps, c’est tellement rassurant de se dire que la grâce de Dieu se donne alors que nous ne sommes pas nous-même éveillés ni dans une attitude d’activité.
Que l’on se couche ou que l’on se lève, le Seigneur fait rayonner Sa parole.
Il est important aussi de s’en rappeler car on peut parfois tomber dans une hérésie qui a été dénoncée dans les premiers temps de l’Église et qui se nomme le Pélagianisme. Selon le moine Pélage, ce sont nos actes qui font venir la grâce : en résumé, elle résulte d’un acte volontaire de notre part. En réalité, la grâce est gratuite, elle arrive là où on ne l’attend pas, de la manière imprévue …
Une autre hérésie qui est apparue au début de l’Église est le « quiétisme ». Elle se caractérise par l’idée que nous n’avons pas besoin d’agir, la grâce arrive d’elle-même. Ce serait en oubliant le fait que le Christ est vrai Dieu et vrai homme et que l’agir humain va de pair avec la grâce divine.
Il est intéressant de voir que parfois – et je le constate dans l’accompagnement que je donne aux familles – on a plus tendance à être dans la première manière d’agir, en pensant que les choses dépendent de nous, se mettant une pression importante dans l’acte de transmettre. Pourtant en analysant, on remarque qu’il y a beaucoup de choses pour lesquelles nous sommes éveillés : pour ce qui est de la vie et du patrimoine, la question du sommeil n’est pas présente, mais en ce qui concerne la transmission de la Foi, c’est autre chose.
La plupart d’entre-vous êtes nés dans des familles chrétiennes, mais qu’en est-il de vos frères et sœurs, de vos cousins et de vos cousines ? Comment se sont-ils emparés de la Foi ? Chacun à sa manière, et c’est bien ainsi car c’est un vrai acte de liberté. Croire c’est choisir et si nous sommes dans cette assemblée dominicale, c’est parce que nous avons choisi de répondre à cet appel.
Ainsi, ces lectures nous invitent à nous interroger sur cette question du sommeil, ce moment où l’homme est complètement abandonné, disponible et dans une confiance. N’est-ce pas une pédagogie qui nous fait renoncer à avoir un contrôle par rapport à ce que l’on transmet. Cette transmission doit venir du Seigneur et d’une manière imprévue. On fait le bien sans s’en rendre compte. C’est tellement rassurant ! On témoigne sans paroles, c’est comme ça que j’interprète ce signe du sommeil, par ce langage verbal, celui des actes sans paroles. En Hébreu, acte et parole se désignent avec le même mot car c’est considéré comme la même attitude.
Dans cette première lecture qui nous relate cette alliance entre Abraham et le Seigneur, il est intéressant de voir qu’en Hébreu, on ne dit pas « sceller une alliance » mais « couper une alliance ». Ainsi, le fait qu’Abraham passe par cette étape de sommeil, de lâcher prise, de laisser Dieu agir fait que, à un moment donné, l’accueil de la transcendance et de l’altérité peut se faire. Couper une alliance signifie que tu n’es pas moi et je ne suis pas toi… Cela signifie que pour accueillir la transcendance, il y a un passage obligé où on se laisse complètement conduire par le Seigneur, où l’on est abandonné à Lui.
Ce passage obligé permet également de reconnaître l’autre comme autre que moi. Ce passage est intéressant et mérite d’être relu : il coupe les morceaux, il passe entre les morceaux et le feu du Seigneur – cette alliance - vient les consumer. Cela signifie que vivre une alliance, transmettre une foi, c’est accueillir le fait que c’est le Seigneur qui est au milieu, ce n’est pas moi qui suis au centre et à la manœuvre, c’est Lui.
Cette altérité est comme une condition d’accueil de la transcendance, et cela se fait à la condition d’un repos, d’un lâcher prise, et d’un acte de confiance.
Il est intéressant de travailler sur ces deux points là car ce n’est pas intuitif. On voit bien dans notre manière d’être que l’on veut faire des choses, et c’est bien d’être force de proposition et je suis certain que vous l’êtes pour vos enfants et petits-enfants. Et à un moment donné, il y a des choses qui fonctionnent et on ne sait pas pourquoi.
Un bon exemple est ce dernier mercredi des Cendres, toutes les assemblées étaient remplies et on a rarement vu autant de jeunes. D’où viennent-ils ? on n’a pourtant pas distribué de tracts ni fait de publicité, rien sur Internet et les voici qui arrivent.
De même pour les catéchumènes qui arrivent par dizaines, par centaines, ces personnes de tous âges qui demandent le baptême… Comment cela arrive-t-il ? personne ne peut le dire. Il n’y a pas eu de plan pastoral comme on l’a souvent fait par le passé, que ça ait fonctionné ou non…
C’est bien la preuve que la grâce est à l’œuvre, que le Kairos est en train d’advenir. Pour rappel, en Grec, il y a deux manières de nommer le temps : le « Chronos » qui est le temps qui tourne avec la montre, et le « Kairos » qui est le temps de la grâce. Ce deuxième est le temps de l’imprévu, le temps qui est en devenir et qui appelle à un ailleurs, à un au-delà.
Accueillir la transcendance et voir qu’il y a une réponse à cet accueil de la transcendance c’est justement l’invitation à l’altérité qui est cet au-delà, cet ailleurs, à quelque chose de plus grand auquel nous sommes appelés.
Alors, chères familles, vous qui êtes venus pour cette retraite, vous qui êtes parents ou grands-parents, vous êtes dans une dynamique de transmission, cette fête de la transfiguration peut être un signe particulier pour vous de la pédagogie du Seigneur pour transmettre. A un moment donné, il nous faut entrer dans une attitude d’accueil, comme on l’est dans le sommeil.
Demandons alors cette grâce particulière au Seigneur car c’est une Pâque. Et ce n’est pas pour rien que la Transfiguration est liée à la première annonce de la Passion. C’est un passage, un vrai changement de logiciel, un changement intérieur profond.
Je discutais avec une mère de famille au sujet de ses enfants qui atteignent la majorité et auxquels on voudrait éviter les erreurs. Si on ne peut pas être et avoir été, sommes-nous capables d’accueillir les erreurs de nos enfants, leurs tâtonnements et leurs blessures…
« Dieu n’a pas épargné son propre fils mais il l’a livré pour nous. »
Il ne s’agit pas d’erreurs mais d’épreuves dans ce cas. Et c’est vrai que quand on est parents, ce réflexe de protection et même de surprotection est normal… mais à un moment donné certains étouffent dans leur famille et c’est vrai au niveau de la Foi. On entend ces mots chez des jeunes en préparation au mariage : « j’en ai trop mangé dans ma famille »…
Cela peut arriver quand on ne laisse pas l’autre franchir l’épreuve. L’épreuve, c’est l’accueil du réel et l’accueil du réel, c’est ce qui habité par la transcendance de Dieu.
N’hésitons pas à méditer sur cette pédagogie de la transmission qui est dans ce bloc de l’annonce de la Passion et de la Transfiguration comme étant utile pour notre vie et qui rejoint d’Eucharistie. Une question que nous pouvons être amenés à nous poser est de savoir à quel moment la présence réelle survient ? Répondre à cette question serait vouloir avoir la main sur le mystère, sur la grâce… pourtant, c’est toute une liturgie de la parole, de la Miséricorde.
Par l’Esprit-Saint, nous croyons que Jésus est vraiment présent sur l’autel.
Frères et sœurs, ce récit, cette pédagogie eucharistique de la Transfiguration nous bouscule et nous emmène loin de nos certitudes et nous fait sortir de notre zone de confort, et nous fait devenir des témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 15,5-12.17-18.
- Psaume 27(26),1.7-8.9abcd.13-14.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 3,17-21.4,1.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 9,28b-36 :
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.
Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés.
Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait.
Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! »
Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.