Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs, je vous invite à faire nôtres trois gestes des Mages : regarder l’étoile, marcher et adorer.
Regarder l’étoile
L’étoile brillait pour tous mais certains ne l’ont pas vue ou l’ont considérée comme insignifiante. Qu’est-ce qui a fait que les mages l’ont vue ?
Ils ont regardé vers le ciel
Cela peut paraître évident. Il peut bien sûr y avoir une part de chance mais les mages n’auraient jamais vu le ciel s’ils n’avaient pas levé les yeux. C’est sans doute le premier enseignement qu’ils nous donnent. Si nous sommes uniquement concentrés sur le matériel, la santé physique, le plaisir immédiat ou le feu de l’action, il nous sera difficile de voir les étoiles.
Comme le dit le pape François, les Mages ne se sont pas contentés de vivoter, de surnager. Ils ont eu l’intuition que, pour vivre vraiment, il faut un but élevé et pour cela il faut avoir le regard levé. D’une autre manière, le curé d’Ars disait que nous ressemblons souvent à des cochons : ils s’affairent à manger des glands ; ils veulent en manger le plus possible. Mais ils oublient de lever la tête pour voir le chêne qui les a produits.
Prendre le temps de la contemplation
Les étoiles, on les voit de préférence la nuit, quand on prend le temps de la contemplation. Il ne faut pas trop de pollution lumineuse : beaucoup de lumières artificielles qui nous empêchent de voir loin. Il faut savoir s’arrêter et faire silence. Dans le vacarme, on ne peut pas se concentrer pour voir cette petite lumière. Il faut apprendre à regarder au loin. Cela suppose de se détacher ou de prendre de la hauteur par rapport à l’éphémère, l’urgent, … pour remettre les choses en perspective (en fonction de la finalité). L’étoile que les mages ont vue leur a donné « une très grande joie » (Mt 2, 10). Ce n’était pas des émotions fortes mais la joie et la paix. Comme le Psaume et saint Pierre nous le rappellent :
« Devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. » (2 P 3, 8 ; Ps 89, 4)
Avoir une certaine perspicacité
Comme le remarque encore le pape François, pourquoi, parmi ceux qui levaient le regard vers le ciel, beaucoup d’autres n’ont pas suivi cette étoile, « son étoile » (Mt 2, 2) ? Peut-être parce que ce n’était pas une étoile voyante, qui brillait plus que les autres. L’étoile du Seigneur, au contraire, n’est pas toujours fulgurante, mais toujours présente. Ce n’est pas une météore ou une étoile filante : ces étoiles brillent un peu mais tombent vite et leur lueur disparaît.
« Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. » (1 Samuel 16, 7)
Marcher
Il n’a pas suffit aux mages de lever les yeux, de prendre le temps de la contemplation et de regarder d’une manière attentive et non pas distraite. Encore fallait-il qu’il acceptent de se mettre en route.
Sortir d’un certain confort ; ne pas se laisser arrêter par la peur … d’être remis en question
Se mettre en route demande un certain effort. C’est plus facile de rester assis dans son fauteuil. Nous sommes quelquefois saisis par une certaine inertie. Un peu comme Abraham qui a quitté Ur en Chaldée, les Mages quittent leurs palais confortables pour aller vers l’inconnu. Le pape François nous invite souvent à abandonner le critère confortable du « on a toujours fait ainsi ». On ne peut pas en rester au niveau des velléités, des conseils comme « ce serait bien de faire ainsi ». Il y a des gens qui savent dire ce qu’il serait bien de faire mais qui ne bougent pas le petit doigt.
Hérode a peur que son pouvoir soit remis en question. Le verset de saint Jean s’applique sans doute à lui en particulier :
« Quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » (Jn 3,19)
Par conséquent il organise des rencontres et envoie les autres recueillir des informations ; mais lui ne bouge pas, il reste enfermé dans son palais. Nous pouvons avoir la peur secrète d’être remis en question dans nos manières d’agir.
Accepter de bouger
Il est étonnant de voir que les prêtres et les scribes connaissent le lieu exact et l’indiquent à Hérode et aux mages. Ils savent mais ne font pas un pas vers Bethléem. Bouger ne se limite pas à changer de lieu. Il s’agit de bouger intérieurement, de ne pas être figé dans sa pensée. D’être prêt à écouter les autres, à sortir de son discours tout fait. Qu’est-ce qui manque à ceux qui indiquent la route mais ne bougent pas ? Sans doute ont-ils trop d’assurance en eux-mêmes, la prétention de connaître parfaitement la réalité, la présomption d’avoir déjà formulé un jugement définitif sur les choses rend leurs cœurs fermés et insensibles à la nouveauté de Dieu. Il leur manque l’humilité authentique.
Notre foi ne peut rester dans notre tête ou même notre cœur, elle doit se traduire dans les actes. Cela peut être la tentation d’une forme de gnose : on pense que le fait de savoir des choses va nous sauver. Or la Bible n’est pas une encyclopédie de connaissances religieuses, elle est un livre de vie. C’est ainsi par exemple lorsqu’on fait de beaux discours sur la prière mais qu’on oublie de prendre du temps pour prier ! Il ne suffit pas de connaître son credo par cœur.
Avoir besoin les uns des autres, la synodalité (marcher ensemble)
Les mages, bien qu’ignorants des vérités de foi, en ont le désir et sont en chemin. Ils ont besoin de l’Écriture et des autres pour arriver jusqu’à la crèche. Ils ont eu besoin de l’Écriture pour authentifier ce qu’ils avaient perçu, leur illumination intérieure. Seule la Parole de Dieu, que nous rencontrons dans la Sainte Écriture, pouvait leur indiquer de façon définitive la route. Il faut donc accepter de ne pas avoir la lumière tout seul et qu’elle nous soit donnée par la rencontre avec les autres. Nous ne pouvons pas y arriver tout seuls.
Sans le vouloir, les « mages » rendaient un grand service aux scribes car ils leurs apportaient une bonne nouvelle. C’était un service réciproque. Ainsi en est-il des « païens » d’aujourd’hui qui viennent nous interroger. Ils nous aident nous-aussi dans notre cheminement vers Dieu, dans la mesure où nous acceptons de bouger, de nous déplacer, de nous remettre en route.
Adorer
« Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère »
Quel décalage entre ce que les rois mages avaient pu imaginer et l’enfant tel qu’il le découvrent ! Les mages laissent tomber leurs idées préconçues. Nos idées humaines ont à être purifiées pour correspondre à celles de Dieu. Nous sommes appelés à être renouvelés dans notre façon de penser. Dieu réalise sa volonté par des voies insolites, de même que la généalogie de Jésus parvient à lui par des voies imprévues.
Par leurs cadeaux, il professent leur foi : l’or pour le roi ; l’encens pour Dieu ; la myrrhe pour le serviteur souffrant. L’or qui est offert au Messie, descendant du roi David : or il n’est pas dans un palais mais dans une étable. L’encens qui ne brûle que sur l’autel : comment voir Dieu dans cet enfant ? La myrrhe qui sert à embaumer les morts : cela n’est-il pas contradictoire, car Dieu n’a pas de corps et en conséquence, il ne peut mourir !
Ce sera aussi le cas plus tard de Jean-Baptiste :
« Es-tu celui qui devait venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 3)
C’est le cas aussi de tous les croyants, un jour ou l’autre. À un certain moment, il s’agit de lâcher prise, de s’abandonner.
« Tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui »
Les mages sont « venus pour se prosterner » (v. 2) Et de fait « entrés ils se prosternèrent ». La foi, c’est l’intelligence qui s’agenouille. Il s’agit pour nous de plier devant Dieu non seulement le genou mais notre volonté propre, de nous en remettre totalement à lui en le reconnaissant comme notre roi, notre Seigneur. Comme le disait le pape Benoît XVI à Cologne : « Chers jeunes, offrez au Seigneur l’or de votre existence, c’est-à-dire votre liberté pour le suivre par amour, en répondant fidèlement à son appel ; faites monter vers lui l’encens de votre prière ardente, à la louange de sa gloire ; offrez-lui la myrrhe, c’est-à-dire votre affection pleine de gratitude envers lui, vrai Homme, qui nous a aimés jusqu’à mourir comme un malfaiteur sur le Golgotha.
« Ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » (Mt 2, 12)
L’Évangile précise qu’après avoir rencontré le Christ, les Mages rentrèrent dans leur pays « en prenant un autre chemin ». Ce changement de route peut symboliser la conversion à laquelle sont appelés ceux qui rencontrent Jésus, pour devenir les vrais adorateurs qu’il désire (cf. Jn 4, 23-24).
Cela comprend l’imitation de sa façon d’agir, en faisant d’eux-mêmes, comme l’écrit l’apôtre Paul, un « sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu ». L’Apôtre ajoute qu’il ne faut pas se conformer à la mentalité de ce monde, mais se transformer en renouvelant son jugement, « pour discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait » (cf. Rm 12, 1-2).
Chers frères et sœurs, demandons cette grâce de faire comme les Mages : regarder vers le haut, marcher, adorer,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 60,1-6.
- Psaume 72(71),1-2.7-8.10-11.12-13.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 3,2-3a.5-6.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 2,1-12 :
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : ‘Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël.’ »
Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.