Homélie du 1er dimanche de Carême

11 mars 2019

« Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »

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Texte de l’homélie :

Voici le Carême ! et si l’on est un peu croyant et pratiquant, on se demande tous ce que l’on va « faire » pendant le Carême…

Que va-t-on faire pendant le Carême ?

Alors, on va manger un bol de riz le vendredi… et matin, on supprime le beurre ou la confiture ? Et bien souvent, on va arriver à ce que Jésus dénonce : s’arrêter simplement au superflu, alors que le Carême nous amène à quelque chose d’essentiel : renouveler la grâce du baptême, rentrer dans cette logique de renaissance, et ainsi d’échapper au mal…
Vous comprenez bien que beurre et confiture n’ont rien à voir avec cela…

Ce n’est pas une question de « faire » !

Toute la semaine, j’ai été habité par un chant de circonstance qui dit ceci :
Cendres et poussière, je le suis
Mais je garde au cœur une flamme :
Dieu nous a faits pour vivre en Lui,
Transformés au feu de la Pâque.

Et cela a engendré une petite idée dans ma tête : effectivement, au début du Carême, Jésus est rempli de l’Esprit Saint :

« Poussé par l’Esprit-Saint au désert… »

C’est une expérience de l’Esprit-Saint qui vient tout prendre. Et ce temps spécial qui coupe en tranches le temps ordinaire – nous nous sommes arrêtés au 8e dimanche du temps ordinaire pour le reprendre après – commence avec l’Esprit-Saint et finit par la Pentecôte, où l’on fête l’Esprit-Saint.
En exégèse, on dit que lorsqu’il y a quelque chose au début et à la fin, cela concerne tout ce qu’il y a au milieu.

Donc, le Carême est à faire dans l’Esprit-Saint en gardant au cœur une flamme. Et quelle est cette flamme ? La réponse nous est donnée dans le livre du Deutéronome qui nous donne une clef.
Tout d’abord, toutes les réponses que Jésus donne pour parer au diable sont prises dans l’Ecriture. Ainsi, un premier effort de Carême, loin d’être superflu, est de connaître l’écriture afin de combattre. Cela ne se réduit pas à prendre des références avec une démarche savante, mais à devenir une personne habitée : il faut que je lise suffisamment la Bible, que je m’en imprègne pour que, dans les situations dans lesquelles je me trouve, cela devienne une prière.

Pourquoi cette lecture de la Bible est-elle si importante ? Lorsque l’on va vouloir faire une offrande au Seigneur – c’est le geste de référence du Carême depuis les anciens temps – on va faire une profession de Foi : je suis un Araméen vagabond, perdu, descendu en Egypte où j’ai profité et ai gagné des richesses. Suit le récit de la Pâque…
Bien entendu, nous allons faire des sacrifices, produire des efforts, s’approcher du le Seigneur – non pas de l’extérieur, mais pour que le cœur et la bouche soient en syntonie pour le Salut. Le cœur n’est pas simplement mon opinion, c’est le centre de décision, là où la réflexion évolue dans peine. Il faut être en accord avec le Seigneur, et pour cela, il nous faut descendre dans cette expérience d’Abraham qui est choisi par le Seigneur, et du peuple qui va sortir d’Egypte avec l’aide du Seigneur : il crie, il peine. N’ayons pas peur d’aller voir quelles sont nos zones de peine et de souffrance, là où nous sommes réduits à l’esclavage, où nous n’avons plus de liberté, les zones de mort de notre cœur.
Pour crier vers le Seigneur, pour faire cette expérience où Il va nous faire sortir des mauvais pas dans lesquels la vie nous a mis.

A la suite de Jésus au désert

Et à propos de cette vie, on va retrouver ici des indications essentielles portant cette expérience de Jésus dans le désert. De quoi s’agit-il ?
Jésus va au désert et Il y est tenté par le Diable. On ne dit pas qu’Il est sorti faire une expérience de jeûne : non, Il y est tenté par le Diable. Il est tellement tenté que cela l’empêche de manger : c’est une épreuve forte.

La première épreuve concerne le pain. Sur ce point, la vision de Luc diffère de celle de Matthieu : Matthieu s’adresse plutôt à des personnes qui connaissent la Bible, et il fait référence au schéma de l’exode, tandis que Luc développe plus le sujet de la vie. Le pain est ce qui entretient la vie. Et la tentation qui se présente à Jésus est de prendre la vie non pas comme un don, mais comme un état de fait dont on pourrait se rendre maître.
C’est bien la leçon que l’on a reçue en lisant le livre du Deutéronome avec cette profession de Foi :

« Mon père était un Araméen errant descendu en Egypte. »

Revient cette expérience fondamentale par laquelle le Seigneur t’a libéré. Et tu vas découvrir que ta vie est un don, que c’est quelque chose que tu as reçu, quelque chose de merveilleux.

La grande tentation pour nous est de vouloir nous rendre maîtres de la vie, on le voit bien dans les discussions au sujet du début et de la fin de la vie.

Dans le texte, il est dit que :

« Le diable se retira jusqu’au moment fixé. »

En effet, le Diable revient à la Croix. Cet enseignement prend toute la vie publique de Jésus, du début jusqu’à la fin, c’est une lutte, une combat. Et l’on voit le larron qui l’injurie :

« Si tu es le fils de Dieu, sauve-toi toi-même, et nous avec ! »

Autrement dit : « Prends ta vie en mains : tu es le fils de Dieu, alors et fais-le. »

Le deuxième concerne un autre point : non plus seulement notre vie, notre survie, mais cette extension de notre vie dans notre relation avec les autres, tout ce qui va toucher les zones de pouvoir, où comme fils d’Adam, on est bien souvent poussés par la volonté de puissance au lieu de rendre à chacun sa liberté par la jouissance au lieu de l’amour, par la consommation au lieu du vrai désir, par la domination au lieu de la communion….
Vous avez entendu le texte : la deuxième tentation le mena plus haut, puis enfin au sommet.

Au sommet du Temple, il va falloir découvrir l’adoration véritable, le pardon, la gratuité dans le relation que le Seigneur veut nous amener à vivre.

On retrouve aussi ces mots dans la bouche des soldats, lorsqu’ils disent à Jésus :

« Si tu es le Roi d’Israël, sauve-toi toi-même ! »

Ainsi que le peuple :

« Si tu es le Christ, l’Elu de Dieu…. »

A l’inverse, comme le dit la Petite Thérèse, nous sommes invités à faire des actes de Foi : c’est ce qui est le plus important, et nous pose parfois des difficultés.
Le titre de Fils de Dieu est éprouvé, tout comme nous dans cette société, notre titre de Chrétien, notre titre d’Enfant libre est éprouvé d’une manière radicale. Et nous sommes appelés à descendre au fond de notre cœur, à vivre profondément, à nous laisser interroger par tout ce qui est puissance de mort, par tout ce qui est contrefaçon de cette liberté du Seigneur pour apprendre, pour approfondir…

Passer de l’agir à la Foi :

Alors, nous allons réfléchir de manière toute différente à ce que l’on va « faire » pour ce Carême…
Où va-t-on se laisser toucher ? Où va-t-on reconnaître que là où il y a quelque chose qui m’empêche de vivre.

Et l’on retrouve d’ailleurs la prière de Jésus à l’intérieur de cette évangile par sa structure, par ces trois tentations, la deuxième en particulier : « Donne-nous notre pain super-essentiel ! », le pain pour vivre le Royaume, le pain de chaque jour… super-essentiel ! il n’est autre que la Parole de Dieu : puissions-nous l’accueillir.
Le pardon des dettes, toutes les relations de pouvoir : remettons de la gratuité dans nos relations.
Et ne nous laisse pas introduire dans la tentation, mais fais-nous rentrer dans la vraie adoration, ne nous laisse pas réduire les gens dans l’image que l’on en a, mais d’accepter l’autre comme autre,

Demandons au Seigneur de pouvoir prendre un vrai temps pour nous interroger sur – non pas ce que je vais « faire » pendant ce Carême – quelle partie je vais mettre dans la lumière du Seigneur, de me laisser toucher, et de Le laisser agir en moi.

Car, si l’on fait des exercices – peut-être que les gens forts y arriveront, mais bien souvent on a du mal – il s’agit plutôt de s’ouvrir à la grâce du Seigneur qui vient déployer Sa force.
Quand on a décidé de se laisser toucher, quand on ouvre à la lumière, quand on accepte de se laisser aider par d’autres, par le Seigneur, par l’Esprit-Saint, il y a quelque chose en nous qui se place dans le « Oui » du Seigneur. Et ce n’est plus un effort qui s’arrache – bien sûr, c’est exigent comme toute vraie prière car cela nous demande de descendre dans le cri, dans les larmes et les difficultés, mais y a-t-il une vraie prière si elle n’a pas touché le cri, les larmes, la peine profonde et l’incapacité de vivre ? Si notre prière ne naît pas de là, si nos efforts ne naissent pas de là, y a-t-il prière, y a-t-il effort ?

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre du Deutéronome 26,4-10.
  • Psaume 91(90),1-2.10-11.12-13.14-15ab.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 10,8-13.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 4,1-13 :

En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors :
— « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
Jésus répondit :
— « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »

Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Il lui dit :
— « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit :
— « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »

Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit :
— « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui fit cette réponse :
— « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.