Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Chaque année, le premier dimanche de carême, l’Église nous fait lire l’évangile des tentations de Jésus. C’est clair : notre vie chrétienne est un combat. Il n’est pas possible de suivre Jésus sans entrer dans un certain combat spirituel. Ce passage d’Évangile se conclut en disant qu’avec ces trois tentations, le diable a « épuisé toutes les formes de tentations ».
La première tentation concerne nos besoins ; la seconde nos désirs ; la troisième les liens qui nous unissent aux autres. Cela constituera les trois parties de cette homélie.
Les besoins
L’évangile nous dit :
« Pendant quarante jours, Jésus fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim. »
Après avoir jeûné quarante jours, on imagine volontiers que Jésus a besoin de manger…
Au-delà du besoin de manger, nous pouvons voir tous les besoins liés à notre nature humaine : besoin de sommeil, etc…
Reconnaître nos besoins
Bien entendu, il ne s’agit pas de nier nos besoins. Le besoin de pain est tout à fait légitime. Il est important de savoir écouter nos besoins qui font partie de notre nature humaine. À certains moments, cela peut nous paraître un peu humiliant d’avoir des besoins de respirer, manger et boire, dormir, être en sécurité, etc…
Il s’agit de rester dans une forme de pauvreté liée à notre humanité avec toutes ses limites. Jésus ne nous fait pas échapper à notre condition humaine.
Ne pas écouter nos besoins peut s’avérer catastrophique. Comme le dit Blaise Pascal :
Ecouter ses besoins, oui. Toujours les suivre, non
En effet, on ne peut pas toujours suivre nos désirs si l’on veut conserver un espace de la liberté.
Dans sa réponse, Jésus montre que la satisfaction de nos besoins primaires n’est pas un absolu :
« Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. »
(Lc 4, 3-4 ; cf. Dt 8, 3)
Dans le même sens, Jésus dit dans un autre passage de l’évangile :
« Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. » (Mt 6, 33)
Nos besoins sont légitimes mais il faut quelquefois y renoncer pour un bien plus grand. Sinon nous sommes dans la dictature des besoins. Dieu est plus grand que nos besoins ! C’est particulièrement vrai dans notre culture qui met en avant la recherche du plaisir immédiat et du bien-être personnel.
Si d’un côté, il faut être réaliste et ne pas se mettre en danger, d’un autre côté, il ne faut pas être pusillanime en ne sortant jamais de sa zone de confort…
Les besoins créent une certaine tension : espace de l’espérance
Il n’est pas confortable d’être dans une situation de besoin. On peut vouloir une gratification instantanée, sans accepter de patienter pour la satisfaction du besoin. Et pourtant, l’espace entre la perception d’un besoin et sa satisfaction est aussi l’espace de l’espérance.
Comme le disait le pape François dans l’une de ses catéchèses :
Si l’espérance fait tant défaut aujourd’hui, c’est entre autres parce nous avons du mal à attendre la satisfaction de nos besoins.
Savoir prendre en compte les besoins des autres : espace de la charité
Une autre facette est que l’on a tendance à faire passer nos besoins avant ceux des autres. Une autre caractéristique de notre culture actuelle est une forme d’individualisme. Les parents en sont un bon exemple, eux qui savent se surpasser dans leur fatigue quand leurs enfants ont besoin. C’est dans cet espace que s’exerce la charité.
La vie chrétienne implique à certains moments d’accepter certains sacrifices et renoncements par amour pour les autres.
Chercher d’abord le royaume : espace de la sainteté
« Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. » (Lc 9, 23)
Il ne s’agit pas d’un renoncement pour le renoncement lui-même, mais dans le but de vivre de suivre Jésus de plus près. Le renoncement doit bien sûr être fait avec prudence et discernement.
D’ailleurs, il n’y aurait pas de martyrs si nous ne prenions pas un peu de distance avec nos besoins élémentaires. Comme le disait encore Pascal :
Tout cela est possible dans la mesure où l’on vit dans la foi et la confiance.
Les désirs
L’importance des désirs
Dans notre vie humaine et chrétienne, les désirs sont importants. Ils sont souvent un moteur pour aller de l’avant. Il y a aussi une bonne ambition. Nous sommes appelés à voir grand : c’est la magnanimité qui va à l’encontre de la pusillanimité.
Nous pouvons chercher à réussir. Nous ne sommes pas du tout invités à un culte de l’échec.
Cependant, ces désirs doivent rester ordonnés.
La fin ne justifie pas les moyens
Qui veut la fin veut les moyens. Mais la fin ne justifie pas les moyens. On ne peut jamais faire un mal pour un bien. Les moyens doivent rester évangéliques.
On ne peut rechercher le succès à tout prix. Cela advient lorsque nous sommes prêts à sacrifier nos valeurs morales ou notre foi pour obtenir une promotion, de l’influence ou du prestige. Par exemple, accepter de tricher, manipuler ou écraser les autres pour réussir.
L’arrivisme ne fait pas partie des recommandations de l’Évangile. Nous en avons différents exemples dans la Bible, maîtresse d’humanité. Le roi Jéroboam a voulu utiliser la religion pour asseoir son pouvoir (1 R 12, 26-33). Craignant que son peuple retourne à Jérusalem pour adorer Dieu, il crée ses propres sanctuaires et des idoles pour détourner leur adoration. Il compromet la foi pour assurer son autorité.
On le voit aussi avec Pilate qui doit faire le choix entre pouvoir et vérité (Jn 18, 33-38) ; Pilate a le pouvoir de libérer Jésus mais, par peur de perdre son poste et sous la pression politique, il choisit de condamner un innocent.
Il nous faut être vigilants face aux compromis faciles qui nous éloignent de la vérité. La tentation du pouvoir et du compromis est universelle. Nous avons le choix : suivre notre propre ambition en nous éloignant de Dieu, ou lui rester fidèles, même si cela signifie renoncer à une position avantageuse.
Nous devons veiller à vivre dans l’humilité et le service plutôt que dans la recherche du pouvoir pour lui-même.
En résumé, cette tentation nous rappelle que l’ambition n’est pas mauvaise en soi, mais qu’elle devient un piège quand elle nous éloigne de Dieu et de l’amour du prochain.
Ce que Jésus refuse dans le désert, Il le reçoit de Dieu après la croix : un règne éternel, mais par le chemin de l’humilité et de la fidélité.
La relation avec les autres personnes
Voici la troisième tentation :
« Le diable conduisit Jésus à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : ‘Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.’
Jésus lui fit cette réponse : ‘Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu.’ »
Cette tentation commence par « si tu es Fils de Dieu » : en vertu du lien qui t’unit au Père, Il ne peut te refuser ses anges pour t’éviter de t’écraser en bas.
Comme le relève Jésus, c’est une manière insidieuse de contraindre Dieu, d’entrer dans une forme de rapport de force. Ce serait une manière de ne pas respecter sa liberté.
Cela est vrai dans nos relations
Une tentation fréquente est d’obliger les autres plutôt que de faire appel à leur liberté. Il est clair que – dans un premier temps – il est plus rapide et plus efficace de les contraindre. Mais cela détruit en même temps le lien. Il y a de multiples manière de le faire : les autres se sentent obligés de dire « oui ».
Jésus n’est pas dans une forme de violence pour s’imposer. Il fait appel à la liberté et pour cela Il procède avec douceur. À la Croix, Jésus n’a pas cherché à S’imposer !
C’est encore plus vrai dans nos relations avec Dieu
- Nous ne pouvons pas imposer notre volonté à Dieu au lieu de lui faire confiance. C’est ce qui advient quelquefois dans nos prières. Que de personnes s’éloignent de Dieu parce qu’il n’a pas répondu à leur prière ! Et pourtant, Dieu n’est pas à notre service.
- Nous ne pouvons pas rechercher des signes extraordinaires pour croire.
C’est ce qui s’est passé avec les Hébreux qui ont mis Dieu à l’épreuve à Massa et Meriba (Exode 17:1-7, Psaume 95:8-9). Les Israélites, après leur sortie d’Égypte, manquent d’eau et disent à Moïse : « Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou non ? » (Exode 17:7). Ils exigent un miracle, mettant Dieu à l’épreuve au lieu de lui faire confiance.
Nous ne pouvons pas forcer Dieu à prouver son existence ou sa puissance par un miracle spectaculaire. Nous ne pouvons pas ‘faire une expérience’ dans laquelle Dieu doit répondre et prouver qu’il est Dieu : nous devons croire en Lui !
C’est aussi ce qui se passe avec les Pharisiens demandant un signe à Jésus (Mt 16:1-4) : Ils veulent que Jésus accomplisse un miracle pour prouver qu’il est envoyé de Dieu. Jésus refuse et dit : « Une génération mauvaise et adultère réclame un signe, mais il ne lui sera donné que le signe de Jonas. » - Nous ne pouvons pas prendre des risques insensés en comptant sur Dieu pour nous sauver. C’est la tentation de l’évangile de ce jour.
On n’impose pas des choses à Dieu. Nous ne pouvons pas être dans l’arrogance mais dans l’humilité vis-à-vis de Dieu.
Le tentateur est sournois : il ne pousse pas directement vers le mal, mais vers un faux bien, en faisant croire que les vraies réalités sont le pouvoir et ce qui satisfait les besoins primaires.
De cette façon, Dieu devient secondaire, il se réduit à un moyen…
En dernière analyse, c’est la foi qui est en jeu dans les tentations, parce que Dieu est en jeu. » (Benoît XVI, angélus du 17 février 2013)
Conclusion :
En faisant toujours référence aux saintes Écritures, Jésus oppose aux critères humains le seul critère authentique : l’obéissance, la conformité à la volonté de Dieu, qui est le fondement de notre être.
Comme l’enseigne saint Augustin, Jésus a pris nos tentations, pour nous donner la victoire (cf. Enarr. in Psalmos, 60,3 : PL 36, 724). Donc n’ayons pas peur d’affronter nous aussi le combat contre l’esprit du mal : l’important est que nous le fassions avec Lui, avec le Christ, le Vainqueur.
Et pour rester avec Lui adressons-nous à sa Mère, Marie : invoquons-la avec confiance filiale à l’heure de l’épreuve, et elle nous fera sentir la présence puissante de son Fils divin, pour repousser les tentations avec la Parole du Christ, et ainsi remettre Dieu au centre de notre vie. »
(Benoît XVI, angélus du 17 février 2013)
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre du Deutéronome 26,4-10.
- Psaume 91(90),1-2.10-11.12-13.14-15ab.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 10,8-13.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 4,1-13 :
En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors :
— « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
Jésus répondit :
— « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »
Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Il lui dit :
— « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit :
— « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit :
— « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui fit cette réponse :
— « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.