Homélie de la Fête de la Congrégation : Cœur Immaculé de Marie, refuge des pécheurs

21 janvier 2025

« Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel qui se traduit : "Dieu avec nous". »

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Mot d’accueil

Chers frères et sœurs, vous ne serez pas étonnés de ne pas trouver les lectures de ce dimanche dans votre « prions en Église » ou dans votre « Magnificat ». Vous serez peut-être même déçus de ne pas entendre le bel évangile des noces à Cana. En effet, notre fondateur a choisi le « Cœur Immaculé de Marie Refuge des pécheurs » comme fête patronale de notre Congrégation.

L’origine de cette fête remonte à 1836, quand un curé découragé a reçu l’inspiration de consacrer sa paroisse, Notre-Dame des Victoires, dans le quartier de la bourse à Paris, au « Cœur Immaculé de Marie Refuge des pécheurs ». Immédiatement, de très nombreuses conversions se produisirent si bien que la consécration au « Cœur Immaculé de Marie Refuge des pécheurs » s’est répandue comme une traînée de poudre dans toute la France et même au-delà. Le curé d’Ars par exemple lui a consacré sa paroisse. Don Bosco est venu à Notre-Dame des Victoires. Thérèse de Lisieux y est venue en route vers Rome avec son père pour demander au pape son entrée au Carmel de Lisieux. Elle avait alors 15 ans (4 novembre 1887) : « Nous eûmes bientôt vu toutes les merveilles de la capitale. Pour moi, je n’en trouvai qu’une seule qui me ravit, cette merveille fut : Notre Dame des Victoires. Ah ! Ce que j’ai senti à ses pieds, je ne pourrai le dire ! » (Extraits de l’« Histoire d’une âme »).

Un peu plus tard, à peine deux mois après son envoi comme curé à La Courneuve, le Père Jean-Édouard Lamy, notre fondateur, commença à réunir tous les dimanches la “Congrégation du Saint et Immaculé Cœur de Marie”, qui devint en mai 1903 “ l’Archiconfrérie du Saint et Immaculé Cœur de Marie, Refuge des pécheurs ”.

Références des lectures du jour :

Lecture du livre de la Sagesse 11,23 -12.2

Dieu aime toutes ses créatures

Seigneur, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres car tu n’aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui.
Et comment aurait-il subsisté, si tu ne l’avais pas voulu ? Comment aurait-il conservé l’existence, si tu ne l’y avais pas appelé ?
Mais tu épargnes tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, maître qui aimes la vie, toi dont le souffle impérissable anima tous les êtres. Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent, pour qu’ils se détournent du mal, et qu’ils puissent croire en toi, Seigneur.

Cantique

R/ Dieu est la joie de mon cœur… (1 Sam 2)

Mon cœur bondit de joie pour le Seigneur,
mon front se relève pour mon Dieu ;
ma bouche se rit de mes rivaux ;
oui, j’exulte en ton salut.

L’arc des forts se brise,
mais les chétifs ont la vigueur pour ceinture ;
les repus s’embauchent pour du pain,
les affamés n’ont plus à travailler.
Le Seigneur fait mourir et fait vivre
il fait descendre aux enfers et en ramène.

Le Seigneur appauvrit et enrichit ;
il abaisse, mais aussi il relève.
De la poussière, il retire le faible,
et du fumier, il relève le pauvre
pour l’asseoir, au rang des princes,
lui assigner un trône de gloire.

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5, 12.17-19

Là où le péché s’était multiplié, la grâce surabonde

Frères, par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde et par le péché est venue la mort, et ainsi la mort est passée en tous les hommes du fait que tous ont péché.
À cause d’un seul homme, par la faute d’un seul Adam, la mort a régné ; mais combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en plénitude le don de la grâce qui les rend juste.
De même que la faute commise par un seul a conduit les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie.
En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu’un seul homme a obéi.

Commencement de l’Évangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 1, 18-25 (Lecture brève)

Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ, Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret. Il avait formé ce projet, lorsque l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit :
« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : ‘ le Seigneur sauve ‘) car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela arriva pour que s’accomplit la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
« Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel qui se traduit : « Dieu avec nous ». ».

Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs, pourquoi ces lectures pour célébrer le « Cœur Immaculé de Marie Refuge des pécheurs ». Il y est beaucoup question du péché mais aussi – heureusement – de la grâce. Je retiendrais trois éléments :

  • d’abord une forme de découragement devant l’omniprésence du mal et du péché, comme si c’était une crue qui recouvrait tout
  • dans ce contexte nous est offert comme un îlot où l’on peut se mettre en sécurité : le « Cœur Immaculé de Marie Refuge des pécheurs »
  • et enfin l’étonnante disproportion entre l’humilité de cet acte et les fruits qu’il porte. Je pense que cela est de nature à nourrir notre espérance en cette année de jubilé !

Le spectacle désolant du péché qui engendre le découragement

Il faut remonter au 3 décembre 1836, précisément pendant la messe de 9 heures, l’abbé des Genettes, alors curé de Notre-Dame des Victoires, avait la pensée très forte de l’inutilité de son ministère dans cette paroisse. Il y avait comme une voix qui lui disait :

“Tu ne fais rien, ton ministère est nul ; vois, depuis plus de quatre ans que tu es ici, qu’as-tu gagné ? Tout est perdu, ce peuple n’a plus de foi.”

Il faut dire que dans cette paroisse, l’argent, le plaisir, la politique occupaient plus les gens que la pratique religieuse. Il n’y avait presque personne à l’église. Quelques années avant, à la fin de la Révolution, de 1795 à 1802, l’église de Notre-Dame des Victoires a même abrité la Bourse et ne fût rendue au culte qu’en 1802 !

À vrai dire, nous ne sommes pas si loin de la situation du quartier de la bourse au début du XIXe : nous sommes dans une société matérialiste où la finance impose des choix qui vont à l’encontre du bien de l’homme. La dépravation morale n’a rien à envier à ce qui se faisait au début du XIXe.

Nous pouvons nous aussi être tentés de désespérance en ayant l’impression que nous allons être noyés par les vagues successives de lois qui favorisent le mal plus qu’elles ne l’endiguent, qui détruisent la famille telle que Dieu l’a voulue pour proposer d’autres modèles dont on voit les conséquences malheureuses incalculables.

Et comme si cela ne suffisait pas, la nature semble se mettre de la partie. On n’a pas fini de déplorer des inondations destructrices que les médias nous parlent de gigantesques incendies incontrôlables. Les records de températures ou de pluviométrie se succèdent à un rythme impressionnant.

Et si nous pensions être à l’abri dans l’Église, il y a belle lurette que ce n’est plus le cas : les abus nous ont écœurés et entament notre confiance…

Pour compléter le tableau, vous faisons l’expérience quotidienne que nous ne sommes pas l’Immaculée Conception. Nous pouvons redire comme saint Paul :

« Malheureux homme que je suis ! Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. »
(Rm 7, 19)

J’espère ne pas avoir fait monter l’angoisse en vous devant tant de mal. En tout cas, nous pouvons comprendre le découragement de l’abbé des Genettes.

Dans cette situation désespérée, un refuge est proposé

Que se passe-t-il alors ? L’abbé des Genettes a une distraction ! Je reprends le récit qui en est fait. Ce déferlement du mal l’obsédait tellement que l’abbé des Genettes n’arrivait pas à chasser cette idée jusqu’au moment où il a entendu d’une façon très distincte :

“Consacre ta paroisse au très saint et immaculé cœur de Marie.”

Et il retrouva la paix. Après la messe, il se rappela qu’il avait été distrait et se rappela aussi des paroles qu’il avait entendues. Mais il ne voulait pas y croire. Et de nouveau, il entendit : “Consacre ta paroisse au très saint et immaculé cœur de Marie”.
Comme il n’arrivait pas à écarter cette idée, il s’est dit finalement : “C’est toujours un acte de dévotion à la Sainte Vierge qui peut avoir un bon effet ; essayons.” Grosso modo, je ne vois pas en quoi cela pourrait changer les choses mais si cela ne fait pas de bien, cela ne fera pas de mal.

Avec le Cœur immaculé de Marie, c’est un refuge qui lui est proposé, un peu comme un rocher sur lequel se mettre en cas d’inondation.

Le psaume 90 que nous chantons aux complies du dimanche soir parle beaucoup de Dieu comme un refuge :

« Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur : ‘Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr !’
C’est lui qui te sauve des filets du chasseur et de la peste maléfique ; il te couvre et te protège. Tu trouves sous son aile un refuge : sa fidélité est une armure, un bouclier.
Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole au grand jour, ni la peste qui rôde dans le noir, ni le fléau qui frappe à midi. (…)
Oui, le Seigneur est ton refuge ; tu as fait du Très-Haut ta forteresse. »

Vous vous rappelez peut-être de l’institution des villes refuges dont nous parle le livre des Nombres :

« Les villes que vous donnerez aux Lévites seront les six villes de refuge, cédées par vous pour que le meurtrier puisse s’y enfuir. » (Nb 35, 6)

Ces villes ne sont pas faites pour les innocents mais pour les meurtriers ! Elles ne sont pas instituées pour échapper à un juste jugement. Mais elles sont données contre la prolifération du mal.

Le Cœur Immaculé de Marie est justement ce refuge qui nous est offert par Dieu. Si Marie accueille le pécheur, ce n’est bien évidemment pas pour qu’il demeure dans le péché. La miséricorde n’est pas bonasse ; elle a en vue la conversion.
Comme le dit la première lecture :

« Seigneur, tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. » (Sagesse 11, 23)

Si vous me permettez l’expression, Marie n’est pas obsédée par la laideur du péché. Marie, dans Son Magnificat s’émerveille de la beauté de l’amour de Dieu ; Elle est dans l’émerveillement et la louange. Elle tourne Son regard vers la grandeur de l’amour de Dieu et non vers les abîmes du péché. C’est pourquoi Marie n’est pas dans le jugement. Elle ne porte pas un regard d’accusatrice mais d’avocate.

La disproportion étonnante entre la consécration et ses effets

Au point de départ, l’abbé des Genettes était plutôt sceptique : qu’est-ce que cela peut changer de consacrer ma paroisse “au très saint et immaculé cœur de Marie”. Finalement, il se décide.
Je reprends le récit :

« Le 11 décembre 1836 (le dimanche suivant), le curé annonça à la grand messe qu’il y aurait, le soir, à sept heures, un office de dévotion pour implorer de la miséricorde divine, par la protection du cœur de Marie, la grâce de la conversion des pécheurs. Il n’y avait que 10 personnes à la messe. Pendant toute la journée, il se demandait s’il y aurait quand même quelques personnes le soir et, à sa grande surprise, il y eût 400 ou 500 personnes dont la plupart ne savaient même pas pourquoi elles venaient.
Au début, les gens ne participaient pas beaucoup, mais à la fin, ils ont redoublé d’ardeur, notamment pour invoquer Marie sous le titre de Refuge des pécheurs. »

Quelle disproportion ! Comment ne pas être saisi par la disproportion entre les moyens pastoraux mis en œuvre et les résultats ! La différence, c’est qu’il avait accepté de faire confiance et de poser un acte de foi dans cette intuition qui s’était imposée à lui, qui ne découlait pas d’une savante réflexion.

La consécration qui lui était proposée est un acte de confiance. Dans la consécration, il s’agit de céder à Marie le terrain de notre liberté. C’est ce qui lui permet de construire en nous.
En effet, Dieu respecte infiniment notre liberté et ne se permet pas de travailler en nous sans notre consentement. La consécration à Jésus par Marie, c’est poser un acte de foi et d’acceptation, par un « oui » entier et total, qui fait que nous livrons à Dieu notre liberté. C’est un fiat comme celui de Marie.

Bien entendu, cela ne dispense pas de réfléchir. Mais cela dit surtout que le salut ne vient pas de nous mais de Dieu. C’est sans doute pour cela que l’évangile de cette fête a été choisi.

L’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit :

« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint (pas de toi !) ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : ‘le Seigneur sauve’) car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Mt 1, 20-21)

La grâce vient d’en-haut et c’est elle qui est à l’origine de cette disproportion étonnante. C’est un peu comme la multiplication des pains : nous lui donnons nos cinq pains et nos deux poissons et Jésus se charge de les multiplier. C’est comme Thérèse qui a essayé de monter la première marche jusqu’à ce que Dieu la prenne dans ses bras pour l’emmener en haut de l’escalier.

Cela rejoint le « combien plus » que nous avons entendu dans la deuxième lecture tirée de la lettre aux Romains :

« A cause d’un seul homme, par la faute d’un seul Adam, la mort a régné ; mais combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en plénitude le don de la grâce qui les rend juste. » (5, 17)

Conclusion :

En guise de conclusion, je vous invite à vous remettre entre les mains de Marie en lui disant :

Amen !