Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs, regardez ce balais abîmé. A votre avis, que dois-je en faire ?
Et pour cette femme surprise en flagrant délit d’adultère, que faut-il faire ?
Dans l’évangile de ce jour, Jésus nous invite à sortir de la culture du jetable appliquée aux personnes ! De manière un peu schématique, on peut dire que cet évangile nous indique trois voies possibles vis-à-vis du mal moral :
- celle du légalisme qui signale ce qui est bien ou mal et sanctionne ceux qui sont hors-la-loi,
- celle du laxisme qui consiste à laisser chacun faire ce qu’il veut. Selon notre caractère, notre éducation, on a tendance à tomber d’un côté ou de l’autre de la ligne de crête. Mais il y a une troisième voie :
- celle de la miséricorde qui suit un chemin de crête entre les deux : elle ne ferme pas les yeux sur le mal mais accompagne les personnes dans le sens du bien.
Dans le cas présent la première voie – celle de la Loi – est assez radicale : on élimine le pécheur avec son péché, on lapide la femme.
La seconde, sous prétexte de ne pas faire de mal au pécheur, banalise le mal : on laisse partir la femme sans rien lui dire.
La troisième est la voie la plus difficile : on rejette le péché mais on accueille le pécheur ; on ne nie pas la faute de la femme mais on lui dit : « va et désormais ne pèche plus » ; on ouvre un avenir sans pour autant minimiser le péché.
La voie du légalisme
Jésus se garde bien de rejeter la Loi : la Loi est bonne ; c’est Dieu qui l’a donnée.
« Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Mt 5, 17)
La Loi est fondamentalement bonne parce qu’elle met un peu de clarté : tout ne se vaut pas. La Loi distingue le bien du mal. Elle nomme le mal. Elle signale ce qui est mal et nous incite à l’éviter.
Elle met aussi un peu d’objectivité : la Loi, c’est quelque chose que je reçois ; ce n’est pas moi qui la formule au gré de mes humeurs. Vous connaissez le dicton :
« Si tu ne vis pas comme tu penses, tu finis par penser comme tu vis. »
Pour éviter l’inconfort de ne pas être en règle avec la Loi, il y a un puissant mécanisme de justification qui nous incite à ajuster la Loi à ce que je vis.
Parmi les dangers que comporte la Loi et que Jésus souligne dans l’évangile, j’en retiendrais trois.
Rester à l’extérieur
Jésus invite les Pharisiens à l’intériorisation. Il ne rentre pas dans une joute oratoire mais Il se baisse et écrit sur le sol. Quand ils insistent, Il leur dit :
« Celui qui n’a pas péché, qu’il lui jette la première pierre ! »
Sans doute n’ont-ils pas entendu cette autre parole :
« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. » (Mt 5, 27-28)
Toujours est-il qu’ils s’intériorisent et se retirent un à un.
Nous pouvons tomber dans une forme d’hypocrisie : pas vu, pas pris. Jésus est exigeant. Il vise la conversion du cœur et non pas seulement un comportement extérieur recommandable. La loi trace des limites entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Quelquefois on peut faire comme avec des pommes ou d’autres fruits et légumes : on jette tous ceux qui ne sont pas calibrés ! On « jette » les personnes en fonction de leur comportement extérieur…
L’effet pervers, c’est de penser que – si on ne dépasse pas les limites, si on est « calibré » – on n’a pas besoin d’être sauvé. Cela peut nous donner bonne conscience et nous endormir. Or nous avons tous besoin d’être sauvés par Jésus.
Adopter une posture de juge
L’attachement à la Loi peut nous rendre durs et nous faire oublier le bien des personnes. Un attachement malsain à la Loi peut faire de nous des juges :
« Un seul est à la fois législateur et juge, celui qui a le pouvoir de sauver et de perdre. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ? » (Jc 4, 12)
Jésus nous invite absolument à quitter cette posture de juge :
« Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. » (Mt 7, 1-2)
Poser un verdict pour se débarrasser rapidement du problème
Le rigoriste pose un verdict. Il n’envisage pas un processus de guérison. Il emploie la solution la plus radicale : pour éliminer le mal, il élimine le pécheur. De fait, c’est plus simple, les affaires sont vite classées. Ce n’est pas la recyclerie où on donne une nouvelle vie aux choses usagées ! On préfère jeter plutôt que réparer.
La voie du laxisme, du laisser-aller, de la permissivité
Cette position comporte un certain nombre d’avantages.
On ne se casse pas trop la tête pour savoir si c’est bien ou mal
La permissivité nous renvoie au tohu-bohu originel. Le premier récit de la Genèse nous montre Dieu en train de faire des distinctions. Et plus tard, la Loi ira aussi dans le sens de distinguer le bien du mal.
Le laxiste renvoie chacun à sa subjectivité. Il ferme les yeux sur les conséquences des comportements mauvais ; on ne veut pas voir les dégâts. Tout se vaut. Or nous savons tous que le laxisme est une miséricorde mal comprise qui a été dénoncée à juste titre dans la mauvaise gestion des abus sexuels. C’est un peu comme un cancer qu’on se refuse à diagnostiquer : le mal peut ainsi proliférer tranquillement.
Quelquefois, le laxiste ne condamne pas de peur d’être condamné lui-même. Cela lui permet de tolérer le mal dans sa propre vie.
C’est plus consensuel.
Cela ne fait pas de vagues. On n’impose rien aux autres. On cherche le consensus plus que la vérité. C’est une manière plus ou moins élégante d’éviter les conflits.
Cela conforte notre individualisme
Il y a une tendance très forte aujourd’hui à oublier le bien commun. On a perdu le goût de se battre pour des lois mauvaises : tant qu’on ne m’oblige pas à faire le mal, je laisse édicter des lois mauvaises.
Cet individualisme cache souvent une grande indifférence à l’égard des autres. On les laisse tout seuls se dépêtrer avec le mal qui les atteint.
La conclusion du passage d’évangile de ce jour est claire :
« Je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » (Jn 8, 11)
Il ne faudrait pas interpréter la patience de Dieu comme du laxisme :
« Méprises-tu ses trésors de bonté, de longanimité et de patience, en refusant de reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse à la conversion ? » (Rm 2, 4)
« Dites-vous bien que la longue patience de notre Seigneur, c’est votre salut. » (2 P 3, 15)
La voie de la miséricorde
Nous sommes ici sur une ligne de crête. C’est beaucoup moins confortable. Certains commentateurs disent qu’en écrivant sur le sol, Jésus écrit en quelque sorte une nouvelle loi, celle de la miséricorde.
Nous sommes invités à voir le péché comme une maladie spirituelle : quand quelqu’un est malade, on peut quelquefois se méfier de la contagion mais on essaie surtout de le sauver.
« Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent. » (Lc 5, 31-32)
Ne pas rester à distance de la personne atteinte par le mal
La posture de la personne miséricordieuse n’est pas de surplomber l’autre en le jugeant. Le miséricordieux ne reste pas à distance ou dans le camp adverse. Le miséricordieux ne peut se démarquer des autres. Jésus se place du côté des pécheurs. Il ne reste pas à distance pour les pointer du doigt. Jésus ne condamne pas la femme adultère car, en fin de compte, c’est lui qui portera dans sa chair la condamnation de cette femme.
Mettre la personne au centre, pas son péché
La femme est traitée comme un objet. Ils ne se soucient pas trop de ce qu’elle peut vivre. Ils exposent la femme aux yeux de tous mais ne la regardent pas vraiment. C’est vraiment l’humiliation publique comme savent la pratiquer les médias d’aujourd’hui qui exposent le mal aux yeux de tous. Cette femme qui est concrètement devant eux ne les intéresse pas. Ils s’intéressent plus à l’adultère qu’elle a commis.
On voit le contraste entre l’attitude de Jésus qui respecte profondément la femme adultère et les pharisiens qui l’exposent.
Le miséricordieux distingue le pécheur de son péché. Il ne réduit pas la personne à son péché. Ainsi, il faut se méfier des expressions couramment utilisées comme : « c’est un voleur ! », « c’est une menteuse »…
Notre fondateur, le Père Lamy, aimait les pécheurs. Il faisait la différence entre les souillures et la toile elle-même car elles n’empêchent pas la toile d’être précieuse.
La personne est plus importante que tout ce qu’elle a pu faire. Jésus ne classe pas les gens en bons et méchants avant l’heure du jugement.
Ouvrir un chemin, ce qui implique beaucoup de patience
Plutôt que de prononcer un verdict, Jésus préfère entrer dans un processus, dans un accompagnement. Entrer dans un processus d’accompagnement comporte beaucoup de fatigue, de hauts et de bas, de patience.
« Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. » (2 P 3, 9)
En conclusion, voici un très beau texte du pape François qui résume bien ce que j’ai essayé de vous dire :
« Ni le laxiste, ni le rigoriste, ne rendent témoignage de Jésus Christ, parce que ni l’un ni l’autre ne prend sur lui la personne qu’il rencontre. Le rigoriste se lave les mains : en effet, il la cloue à la loi, entendue de manière froide et rigide ; le laxiste, lui, se lave les mains : il n’est miséricordieux qu’en apparence, mais en réalité, il ne prend pas au sérieux le problème de cette conscience, en minimisant le péché.
La véritable miséricorde prend sur elle la personne, l’écoute attentivement, s’approche avec respect et vérité de la situation, et l’accompagne sur le chemin de la réconciliation. Et cela est fatigant, oui, bien sûr. (…) Nous savons bien que ni le laxisme ni le rigorisme ne font croître la sainteté. (…) La miséricorde, en revanche, accompagne le chemin de la sainteté, l’accompagne et la fait croître…
Trop de travail pour un curé ? C’est vrai, trop de travail ! Et de quelle manière accompagne-t-il et fait-il croître le chemin de la sainteté ? À travers la souffrance pastorale, qui est une forme de la miséricorde. Que signifie souffrance pastorale ? Cela veut dire souffrir pour et avec les personnes. Et cela n’est pas facile ! Souffrir comme un père et une mère souffrent pour leurs enfants ; je me permets de dire, avec angoisse aussi… » (Pape François, 6 mars 2014)
Demandons à la Vierge Marie de nous aider à grandir dans la miséricorde. Notre fondateur, le Père Lamy parlait de Marie comme d’une « chiffonnière divinement habile qui trouve toujours quelque petite chose à dorer. »
Que Marie nous apprenne le beau métier de chiffonnier pour les âmes !
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 43,16-21.
- Psaume 126(125),1-2ab.2cd-3.4-5.6.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 3,8-14.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 8,1-11 :
En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.
Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? »
Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.
Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit :
— « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »
Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.
Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.
Il se redressa et lui demanda :
— « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »
Elle répondit :
— « Personne, Seigneur. »
Et Jésus lui dit :
— « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »