Texte de l’homélie :
Bien chers Frères et Sœurs,
La nuit en levant les yeux au Ciel, nous sommes assez souvent fascinés par la beauté de la voûte céleste, par cette merveilleuse ordonnance du ciel. Il y a là comme une espèce de perfection. Vous savez que les anciens parlaient du chant éternel des voûtes célestes, et Dante, ce grand poète chrétien que cite notre Pape, allait plus loin et disait, lui, qu’il discernait dans cette admirable harmonie du ciel l’amour qui mouvait le ciel et les étoiles. Oui, notre cosmos laisse deviner vraiment les traces de son Créateur. Nous pouvons dire cela en regardant le ciel, mais aussi en regardant la terre.
Mais voilà que, aujourd’hui, Jésus nous dit que cet ordre ne sera plus. Il nous dit que les étoiles, même, tomberont, que la mer sortira de ses limites, que toute cette harmonie sera rompue. Pourquoi ? Pourquoi cette rupture ? Pourquoi la fin du monde, l’avènement final du Seigneur, doit-il être précédé par ce chaos ?
Parce que, souvenons-nous en, ce magnifique ordonnancement de toutes les choses, finalement, c’est l’effet d’une décision de Dieu. Alors, souvenons-nous de la Bible. Dieu a voulu un ordre qui préside à la Terre. Il a voulu un ordre qui préside à tout l’univers. Quand nous voyons, après le Déluge, les paroles que le Seigneur adresse à Noé et à l’humanité, Il décide de ne plus perturber cet ordre cosmique, que désormais il y aura l’alternance heureuse des saisons, et au ciel le déploiement de cet arc multicolore qui sera le signe de cette paix.
Alors, aujourd’hui, pourquoi Dieu semble se contredire ? Pourquoi de nouveau le chaos, ce bouleversement ? Parce que Dieu veut nous faire comprendre quelque chose. Il considère, d’une certaine manière, que ce chaos est meilleur que cet ordre. Cela, c’est bien mystérieux. De même que l’ordre avec Noé, après Noé, était une miséricorde, de même le désordre dont parle l’évangile aujourd’hui est aussi une miséricorde. Et pourquoi ce désordre peut-il nous être avantageux ?
Chers Frères et Sœurs, parce qu’il nous est bon d’avoir sous les yeux ce spectacle qui n’est autre que le spectacle de notre propre cœur. Quand Dieu permet le chaos, Il ne fait rien d’autre que laisser la perversion du cœur de l’homme entrainer ces conséquences désastreuses. Nous le savons, par la faute d’Adam, la Création, le Cosmos a été livré au pouvoir du néant, dit Saint Paul. Au pouvoir du chaos et il serait terrible que nous l’ignorions éternellement, que nous ignorions ainsi notre propre cœur. Le désordre du monde n’est que le reflet de ce désordre intérieur. Et quand Jésus parle de la fin du monde, Il met sur le même plan les désordres cosmiques, les cataclysmes dont parle l’Évangile, et les désordres politiques, les guerres : « On se lèvera nation contre nation » parce que les guerres, elles aussi, vont traduire, vont manifester l’égoïsme et la violence du cœur de l’homme. Et c’est vrai, nous ne pouvons ignorer que nous portons tous une part de responsabilité dans la violence qui se déchaîne dans le monde. Nous ne pouvons pas simplement déléguer cette responsabilité à nos dirigeants, et n’être pas troublés par de telles calamités, les conflits ou les cataclysmes. Nous nous croyons trop facilement en paix.
Et Mère Térésa, quand elle visitait les nations d’occident disait, avec la force qui la caractérisait :
« Vous vous croyez en paix, alors que dans le sein de leur mère vous tuez des centaines de milliers d’enfants. Non, vous n’êtes pas en paix. »
Ce qui est terrible, justement, c’est cet état de guerre larvée, de violence aussi implacable que silencieuse dont notre société a su se rendre maître. Ce qui est terrible, c’est cet aveuglement.
Donc, oui, c’est un bien. Un bien parfois infiniment douloureux que de sortir du mensonge et que de commencer à voir le mal en face.
Chers Frères et Sœurs, vous le savez, ces considérations ne sont que trop actuelles, à la suite des derniers événements que nous avons vécus dans la capitale. Un philosophe disait récemment : « Oui, ce n’est plus une évidence que de flâner aujourd’hui dans Paris. » Pendant trop longtemps, peut-être, avons-nous cru que cela allait de soi. Le monde se portait bien. Mais le cœur de l’homme, de l’homme occidental, d’un certain homme occidental, était malade. Cette dissimulation du mal, c’est le signe de l’Antéchrist, nous dit le Catéchisme, de celui qui apportera une solution apparente aux problèmes du monde, une paix au prix d’une apostasie de la vérité. Nous vivons dans un monde qui fonctionne, mais qui souvent fonctionne avec qui a tué sa propre âme…
Frères et Sœurs, voilà ce à quoi ces événements annoncés dans l’Evangile viennent mettre un terme. Désormais, le fond du cœur de l’homme est manifesté. Nous savons qu’un jour, tout ce qui a été dit dans le secret sera proclamé sur les toits. Et contempler la fin du monde sous cet angle nous aide à nous souvenir de ceci : tout péché porte en lui un désordre, le péché le plus caché, le plus privé entraine un désordre dans les relations, dans la communauté humaine et dans l’univers même.
Permettez-moi de citer Hamlet de Shakespeare. Hamlet, ce prince du Danemark, devant l’adultère qu’a commis sa maman, est bouleversé, parce qu’il sent que tout l’ordre du monde a été comme chamboulé, toute vie devient comme polluée, tout amour, aussi pur soit-il, en est comme souillé, et jusqu’à l’univers s’en trouve marqué. Et je le cite : « La face du ciel en flamboie et la terre devient malade de ce forfait. »
Oui, Frères et Sœurs, il faut nous souvenir de la gravité de nos péchés, cesser simplement de penser que notre vie chrétienne est matière privée, notre vie morale est matière privée.
C’est cette perspective que nous invite à prendre le Pape François. Dans la joie de l’Évangile, il nous met en garde contre une privatisation de notre vie chrétienne, et dans sa dernière encyclique, sur l’écologie, il nous redit le terrible impacte qu’un cœur humain dévié produit sur la création.
« La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants. Oui, notre sœur la Terre crie en raison des dégâts que nous lui causons. »
Alors, Frères et Sœurs, ne restons pas devant ce diagnostique un peu sombre ! Parce que l’Évangile est là pour nous réveiller. Quelles attitudes Alors ?
D’abord la foi. Nous ne sommes pas comme ces païens dont parle l’Evangile, ces nations qui se laissent effrayer par le fracas de la mer. Si nous nous laissons impressionner par la violence, si nous oublions que notre foi nous libère de la peur de ces malheurs qui peuvent arriver sur le monde, alors oui, nous sommes paralysés. Mais si nous en comprenons la signification, alors nous comprenons que l’esprit de Dieu nous aide à lire les signes des temps, les signes de notre temps. Ne l’oublions pas, c’est par la foi, c’est-à-dire notre savoir, notre connaissance que nous donne le Seigneur que nous pouvons vaincre le monde, vaincre la peur.
Ensuite l’éveil. L’Évangile nous demande de ne pas nous appesantir, de ne pas nous endormir dans l’ivresse, dans la torpeur. Vous le savez bien, quelqu’un qui a pris une bonne dose d’alcool est complètement inconscient des ravages qu’il peut causer en prenant la route. Se réveiller c’est justement prendre conscience de la responsabilité de nos actes, prendre conscience que chaque acte édifie ou détruit, nous-mêmes, mais aussi nos familles, notre société, notre monde. Et c’est vrai, quand on discute avec des jeunes, et parfois des moins jeunes, ils considèrent que leur vie est comme un grand parc d’attraction dans lequel on peut aisément faire toutes les expériences, pratiquer toutes les attractions, justement, et que la loi de la vie, c’est d’en tirer le meilleur profit sans que cela n’ait nulle conséquence…
Le Seigneur nous invite aussi à avoir la responsabilité. Et là, c’est important, parce que si nos péchés ont un impact sur l’univers tout entier, bien plus aussi notre conversion. Nous sommes plus que nous ne le croyons les acteurs de l’histoire. Et peut-être faut-il parfois amplifier le champ de notre conversion. Nous nous corrigeons de tel ou tel défaut, et c’est excellent. Mais pensons-nous aussi à remettre en cause nos omissions ? Nous nous accommodons peut-être aussi trop rapidement de l’état du monde tel qu’il est, des structures de péché auxquelles nous nous disons trop vite que nous ne pouvons rien. Approche Noël. Le consumérisme est bien une structure de péché. Allons-nous succomber et tomber dans cette course à la consommation ? Allons-nous résister ? Parfois aussi nous avons omis, ou nous avons comme posé notre démission pour travailler au bien commun. Les chrétiens ont bien souvent déserté la vie sociale et politique il y a une quarantaine d’années. C’est vrai, il fallait retrouver la sève, la spiritualité trop oubliée. Mais aujourd’hui, retrouver une audace pour s’impliquer dans les destinées de notre nation pour peser de tout son poids dans le débat public est plus que jamais nécessaire, et certainement bien d’entre vous le font déjà. N’hésitons donc pas à amplifier l’espace de notre agir. Ne désertons pas le champ de l’engagement social et politique. Notre action à nous chrétiens est attendue, et elle sera relayée. Voilà l’impact des veilleurs sur notre société, croyants ou non croyants confondus. C’est une action chrétienne en même temps que politique.
Enfin, l’espérance . Nous savons bien que tout notre agir, ô combien nécessaire, ne fait finalement que préparer l’avènement de Celui qui vient avec puissance. C’est Lui qui instaurera cet ordre des choses nouveau, ce règne où la mort, les larmes ne seront plus.
Frères et Sœurs, travaillons, prions, et ainsi nous hâterons la venue de Celui qui remettra à son Père un Royaume éternel et universel, Royaume de vérité et de vie, Royaume de sainteté et de grâce, Royaume de justice, d’amour et de paix. Que Notre Dame de l’Avent nous y aide.
Amen.
Références des lectures du jour :
- Livre de Jérémie 33,14-16.
- Psaume 25(24),4bc-5ab.8-9.10.14.
- Première lettre de Saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 3,12-13.4,1-2.
- Évangile de Jésus Christ selon Saint Luc 21,25-28.34-36 :
En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
« Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots.
Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées.
Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire.Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.
Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière.Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »