Homélie du 30e dimanche du Temps Ordinaire

24 octobre 2022

Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’

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Texte de l’homélie

Jésus est un fin connaisseur de l’âme humaine ! Il nous pousse dans nos retranchements et signale les écueils d’une vie bonne et généreuse. Il ne nous est pas inutile de réentendre cet évangile à une époque où il y a une grande recherche de développement personnel. Les gens se pressent davantage à la porte des coachs qu’à celle du confessionnal !

Jésus ne reproche pas au Pharisien sa générosité mais met le doigt sur les travers dans lesquels il tombe. Le but de notre vie chrétienne n’est pas de correspondre à un idéal moral, fût-il très élevé. Il est de rencontrer Dieu et de laisser Son amour nous traverser. C’est lui que Dieu veut rencontrer et non pas ses efforts.
D’une certaine façon, ses efforts et sa réussite ont enfermé le Pharisien en lui-même.

Je retiendrai trois éléments que souligne l’évangile :

  • être convaincu d’être juste,
  • mépriser les autres,
  • être auto-centré.

« Certains qui étaient convaincus d’être justes. »

Pourquoi le Pharisien n’a-t-il pas conscience de ses manquements ?

Une relation mesurable à Dieu

Parce qu’il réfléchit en termes d’œuvres à accomplir et non pas de qualité de relation avec Dieu et les autres

Il coche les cases d’objectifs exigeants à atteindre mais ne se décentre pas suffisamment pour se demander : « qu’est-ce que Dieu attend de moi ? Y a-t-il des choses que le bon Dieu aimerait que je change dans ma manière de faire ? ».
Son objectif – généreux par ailleurs – est de jeûner deux fois par semaine et de donner le dixième de ce qu’il gagne. C’est quelque chose qui est plus facilement mesurable que les qualités de l’homme nouveau qu’énumère saint Paul :

« Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience » (Col 3, 12)

Laisser la lumière rentrer dans notre cœur

Parce qu’il aurait besoin d’une lumière extérieure, un peu comme une supervision

Dieu a voulu que les hommes aient besoin les uns des autres. Moïse a eu besoin des conseils de Jéthro (alors qu’il voyait Dieu face-à-face). Même les plus grands saints ont eu besoin d’un directeur spirituel. Marie a eu besoin de Joseph. S’abaisser devant les autres, leur laver les pieds, nous ouvre les yeux.

Il est important, lorsque nous faisons notre examen de conscience, d’être attentif à ce que notre conscience nous reproche. Mais il ne s’agit pas seulement d’une introspection. Il est important d’ouvrir les volets pour voir la poussière qui vole.

On peut être très cohérent avec soi-même ; mais nous avons des angles morts. L’intérêt est justement de laisser une autre lumière entrer, un point de vue différent, … qui nous aide à réfléchir, qui vient éclairer notre conscience sur des fautes dont nous n’avons pas forcément conscience immédiatement. Il y a peut-être des comportements auxquels nous sommes tellement habitués que nous ne voyons plus qu’ils sont mauvais.
La première lumière est la Parole de Dieu mais cela peut être aussi la parole des autres (qui n’est pas toujours parole d’évangile !

Sans oublier la part nécessaire de l’humilité

Sans cette humilité, il est profondément incapable de se voir tel qu’il est. Comme le dit le psaume :

« Il se voit d’un œil trop flatteur pour trouver et haïr sa faute. » (Ps 35, 3)

Il lui manque l’humilité qui le rend accessible aux remarques. Il n’est pas toujours facile d’accueillir les critiques plutôt que de nous justifier immédiatement, de nous laisser remettre en question. La susceptibilité est paralysante : les autres ne se hasardent pas à nous faire des remarques ! Ce pharisien est content de lui.
Il fait partie de ces personnes qui, à première vue, semblent irréprochables mais à qui on ne peut faire la moindre remarque sans les vexer.

« Certains méprisaient les autres. »

Pourquoi le Pharisien est-il dans ce mépris des autres ?

Parce qu’il a tendance à voir le monde de manière un peu binaire

Selon sa vision, il y a d’un côté les bons et d’un autre côté les méchants.

Le pharisien se démarque clairement du publicain : « je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain ». C’est un peu comme dans le populisme : on simplifie beaucoup les choses. Et cela rassure. Or la réalité est beaucoup plus complexe car la frontière du bien et du mal nous traverse profondément. Cette manière binaire de voir les choses favorise l’exclusion. Le nom même des pharisiens indique cette séparation des autres. Or il n’y a pas d’un côté les justes et de l’autre côté les pécheurs :

« Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, mais ils sont justifiés gratuitement par sa grâce en vertu de la rédemption réalisée par le Christ Jésus. » (Rm 3, 23-24)

Parce qu’il transpose dans le Royaume de Dieu le système de la concurrence

Quelque part, cela rassure peut-être le pharisien qu’il y ait des publicains : ainsi, il peut montrer à Dieu qu’il fait mieux que lui. C’est comme s’il avait gagné un concours pour gagner le cœur de Dieu. Le pharisien voulait certainement montrer, et d’abord montrer à lui-même, qu’il est aimable. On dirait que pour gagner la course, le pharisien veut éliminer et discréditer les concurrents. Un jeune homme avait eu l’image suivante dans sa prière : il se voyait monter sur une échelle. Comme il voulait absolument être premier, il appuyait sur la tête des autres pour les renvoyer vers le bas et se propulser vers le haut.
Le pharisien faire ressortir sa bonté en se comparant aux autres. Il se garde bien de se comparer à Dieu comme nous y invite Jésus :

« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait… »

Sachant que la perfection de Dieu réside précisément dans la miséricorde !

C’est oublier qu’on entre pas au Ciel en se désolidarisant des hommes mais bien plutôt en aimant son prochain comme soi-même. Le pharisien n’est pas du tout dans la solidarité. Jésus veut rassembler tous les enfants de Dieu dispersés ; Il veut sauver tous les hommes et n’en perdre aucun.
Le Pharisien prend soin de se distinguer des autres hommes voleurs, injustes, adultères ; il se distingue du publicain. Jésus s’approche de chaque homme pécheur pour lui dire : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ».
Le Pharisien s’en écarte comme pour mieux se mettre en valeur aux dépends de l’homme pécheur.

Saint Paul ne se désolidarise pas de son peuple :

« Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens point (…) ; j’éprouve une grande tristesse et une douleur incessante en mon cœur. Car je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont Israélites, à qui appartient l’adoption filiale, la gloire, les alliances,… » (Rm 9, 1-4)

Le Pharisien regarde les autres de haut. Il se met au-dessus de la mêlée. Pour parler de l’orgueil, la langue française utilise aussi le mot « superbe » : formé à partir du préfixe latin super, il désigne « ce qui se trouve au-dessus ». Il est arrogant, suffisant, présomptueux.
C’est le risque de ceux qui se sont faits à la force du poignet et qui peuvent devenir durs à l’égard des autres.

Des gens humbles comme le curé d’Ars voient les choses différemment. Il disait :

« Vous voyez bien que quand vous êtes là, ça va encore ; mais quand je suis seul, je ne vaux rien. Je suis comme les zéros qui n’ont de valeur qu’à côté des autres chiffres. » (Curé d’Ars)

Parce qu’il est dans le jugement

Dans l’évangile de la paille et de la poutre, ce qui est reproché essentiellement, c’est le péché de jugement.

« Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés (…).Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (Mt 7)

« Le pharisien(…) priait en lui-même »

« ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes (…). Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’ »

Qu’est-ce qui pourrait aider le Pharisien à ne pas être aussi auto-centré ?

Réaliser qu’on peut être fier sans être orgueilleux.

Il est bon de fêter nos succès mais sans prendre la grosse tête pour autant. Saint Paul nous le montre bien :

« Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi. » (1 Co 15, 10)

L’humble n’arrête pas son regard à lui-même. Il reconnaît qu’il a reçu de Dieu tout ce qu’il a :

« Qui donc t’a mis à part ? As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4, 7)

Ne pas oublier la prière de demande.

Dans la prière du pharisien, le sujet est le “moi” ; dans la prière du publicain, le sujet est Dieu. D’un côté, le protagoniste du salut est l’homme, de l’autre côté, c’est Dieu. Sa prière d’action de grâces est biaisée car en fait il se contemple surtout lui-même ; il ne contemple pas tellement la bonté de Dieu.
D’ailleurs la prière d’action de grâces va de pair avec la prière de demande qui n’est pas une prière au rabais : nous reconnaissons que nous avons besoin de Dieu. Il ne faudrait pas voir la grâce comme un échafaudage qui nous permet de nous construire : une fois la construction finie, on pourrait s’en passer !

Rester en contact avec sa faiblesse.

Dans un texte qu’on appelle souvent la vantardise de saint Paul, voilà ce qu’il dit :

« Tant d’autres se vantent à la manière humaine ; eh bien, je vais, moi aussi, me vanter. (…) Ils sont ministres du Christ ? Eh bien – je vais dire une folie – moi, je le suis davantage : dans les fatigues, bien plus ; dans les prisons, bien plus ; sous les coups, largement plus ; en danger de mort, très souvent. (…) S’il faut se vanter, je me vanterai de ce qui fait ma faiblesse. » (2 Co 11)

Cela introduit le chapitre 12 qui est comme une pépite :

« (Le Seigneur) m’a déclaré : ’Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.’ C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. » (2 Co 12, 9)

C’est le secret des saints :

« Ce qui plaît à Dieu dans ma petite âme, c’est d’aimer ma pauvreté. » (Sainte Thérèse)

« Le Seigneur m’a fait cette grâce que je ne peux rien trouver en moi sur quoi je puisse m’appuyer. » (curé d’Ars)

En conclusion, nous pouvons dire que cet évangile nous plonge au cœur de notre vie chrétienne et surtout au cœur du mystère de Dieu. Ce mystère caché aux sages et aux savants et ouvert aux tout-petits, ce mystère caché pendant des siècles et qui nous est dévoilé en Jésus. Dieu est tout le contraire d’un auto-satisfait. Dieu n’est pas un solitaire narcissique mais il est trois personnes : il est Père, Fils et Esprit-Saint. La Trinité est le mystère des relations en Dieu.
C’est pourquoi Jésus insiste tant pour nous faire sortir de la tentation de l’autosuffisance et de l’enfermement en nous-mêmes.

Demandons à Marie de nous aider dans ce chemin à la fois beau et exigeant.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Ecclésiastique 35,15b-17.20-22a.
  • Psaume 34(33),2-3.16.18.19.23.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 4,6-8.16-18.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 18,9-14 :

En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier.
L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’
Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’

Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »