Homélie de la messe de la Nativité du Seigneur (messe de la nuit)

25 décembre 2024

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs, joyeux Noël ! En effet, il y a au moins trois motifs de joie.

  • Un premier motif de joie vient du fait que le Fils de Dieu soit venu dans notre monde tel qu’il est, pas un monde rêvé mais notre monde réel avec ce qu’il comporte de bon mais aussi tout ce qu’il comporte de difficile et de douloureux.
  • Un deuxième motif de joie vient du fait que le Seigneur soit venu, non pas sous la forme d’un justicier implacable, mais d’un petit enfant. Il nous enseigne ainsi la manière de lutter contre le mal.
  • Un troisième motif de joie nous parle de manière particulière en ce soir où commence l’année sainte : à tous ceux qui sont tentés de désespérer, le Seigneur veut vivifier notre espérance.

Jésus n’est pas né dans un monde idéal mais dans le monde réel avec ses beautés mais aussi toutes les difficultés qui se présentent

Notre généalogie et notre histoire personnelle

Jésus s’est accommodé d’une généalogie qui n’était pas parfaite. Par cette généalogie nous voyons l’enracinement de Jésus dans notre humanité. Dans la généalogie qui ouvre l’évangile de saint Matthieu, on ne trouve pas seulement des gens édifiants ! On y trouve Thamar s’est prostituée en s’unissant à son beau-père Juda (Gn 38) car celui-ci ne voulait pas lui assurer de descendance ; Rahab, une prostituée cananéenne du temps de Josué (Josué 2, 1-21 ; 6, 22-25) ; David qui a commis l’adultère avec Bethsabée et a même tué Urie, son mari.

La généalogie de saint Matthieu symbolise le fait que le Christ s’est chargé de nos péchés. Il est beau de voir que Jésus s’enracine dans une généalogie mais n’y est pas enfermé. Cela nous est indiqué par la tournure passive - « de laquelle fut engendré Jésus » - succédant aux trente-neuf formes actives du même verbe. Selon un procédé littéraire courant dans le judaïsme, cette tournure verbale qui dispense de nommer le sujet, suggère l’intervention de Dieu qui se substitue à l’œuvre de l’homme.
Cette formulation au passif : « l’époux de Marie de laquelle est né Jésus » indique une rupture. Nous aussi, nous ne sommes pas totalement enfermés dans une généalogie. C’est cela la grâce qui nous est faite d’être enfant de Dieu. Dieu nous prend tels que nous sommes, avec toute notre histoire. Ainsi, même s’il nous est arrivé d’être infidèles, tout n’est pas perdu.

Le contexte politique et économique

Jésus n’est pas né dans un contexte politique et économique idéal. C’est la période de l’occupation romaine. Le peuple juif se trouve sous la domination des romains, sous « l’empereur Auguste », « lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie ». Ce n’est jamais enviable d’être sous la domination d’un autre !
À cela s’ajoute le fait que, localement, ils étaient sous l’autorité d’Hérode, une sorte de fou cruel et sanguinaire.

Les circonstances immédiates de la naissance

Marie aurait certainement préféré accoucher tranquillement chez elle, dans son environnement. Mais il fallut se déplacer pour le recensement. Les circonstances matérielles ne sont donc pas du tout rêvées.
En résumé, Jésus s’est fait chair dans le monde tel qu’il est, pas dans un monde rêvé. Jésus a assumé notre humanité telle qu’elle est pour nous sauver intégralement.

Rien ne sert de se lamenter. Chaque époque a ses défis et ses grâces. Il n’attend pas que les conditions soient idéales pour se faire homme, bien au contraire. Le Sauveur vient précisément là où il y a quelque chose à sauver !

Comment Jésus s’y prend-il nous sauver ?

Le désir de sauver les autres

La plupart d’entre nous aimeraient faire quelque chose pour que le monde aille mieux et c’est louable. Je ne mets pas en doute les intentions d’un bon nombre d’hommes politiques qui aimeraient améliorer la situation de leur pays et de leurs concitoyens. Certains discours politiques ont des accents messianiques : ils disent leur volonté de sauver le monde. C’était déjà le cas de César Auguste que l’Évangile de ce jour mentionne. Il se faisait appeler “sauveur et prince de la paix”. Mais le résultat ne correspond pas souvent aux attentes qu’ils ont fait naître. Combien d’hommes, aveuglés par leur réussite humaine, se prennent pour le sauveur !

Comment Jésus s’y prend-il ?

J’aimerais relever 3 qualités de Jésus qui vient nous sauver et que nous pouvons contempler dans l’enfant de la crèche : l’humilité, la douceur et la patience.

  • l’humilité : Jésus se présente sous la forme d’un tout petit. Devant un bébé, il n’y a rien à prouver. C’est pourquoi les personnes très âgées sont plus à l’aide avec les bébés. Il y a une sorte de complicité. Jésus se fait vulnérable. Il n’impressionne pas.
  • la douceur : Jésus se propose ; il ne s’impose pas, et encore moins avec brutalité. On ne rend pas le monde meilleur par la force. On n’oblige pas les gens de l’extérieur ! Le signe du nouveau-né nous révèle bien les dispositions du cœur de Dieu : il ne vient pas en puissant, en triomphateur, en juge. Non, il veut renouer une relation. Et pour cela, il vient avec douceur.
  • la patience : Jésus aurait pu venir en étant déjà un adulte. Lui, le Dieu tout puissant, a voulu suivre l’apprentissage de chaque personne humaine. Cette patience de Jésus dénote avec notre culture contemporaine très impatiente. Nous sommes souvent dans le court terme ; nous voulons des résultats immédiats. La brutalité, engendrée par l’impatience et le désir de tout résoudre sans attendre, est un fruit du péché originel. Ce nouveau-né n’offre pas de solution immédiate, magique.

Pourquoi ces qualités sont-elles si importantes ?

Nous avons tendance à minimiser un élément essentiel : le péché qui est au cœur de l’homme. On ne peut améliorer ce monde et remédier au mal sans prendre en compte le péché. Or le vrai problème, c’est le péché au cœur de l’homme dont parle la 2e lecture. C’est à l’intérieur que l’homme est blessé par le péché. Plus l’homme est pécheur, plus il a peur de Dieu. “Pourquoi es-tu mauvais parce que je suis bon ?” (Mt 20, 15) C’est pourquoi Dieu prend des précautions pour ne pas nous effaroucher. Nous avons tout pour être heureux et, hélas, nous créons de nouvelles guerres car nous nous trompons de route pour solutionner les problèmes : ce n’est pas en utilisant des armes toujours plus sophistiquées que l’on résout des problèmes.

Comme le disait souvent le Pape Benoît XVI, on ne sauve pas l’homme de l’extérieur en ne prenant pas en compte sa liberté. Extirper le mal du cœur de l’homme ne se fait pas manu militari. La véritable transformation doit venir de l’intérieur et être librement acceptée.

« Il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien »

Le rachat, c’est de nous rendre à nouveau capable de faire le bien.

Jésus nous ouvre un avenir

Peut-être certains d’entre nous sont-ils un peu démotivés en voyant toutes les difficultés, qu’elles soient à l’extérieur de nous mêmes (la situation politique et économique, notre environnement familial ou de travail, …) ou à l’intérieur de nous-mêmes (nous n’arrivons pas à devenir meilleurs). En cette fête de Noël, Jésus veut nous redonner l’espérance. Pour cela, je reprendrai l’exemple de Thérèse de Lisieux mais je dirai aussi quelques mots sur la grâce du jubilé.

La « conversion » de sainte Thérèse

En 1886 Thérèse de Lisieux a 13 ans. Le soir de Noël, après la messe de minuit, Thérèse place ses souliers devant la cheminée pour qu’on y dépose ses cadeaux. Son père, fatigué, dit à une de ses sœurs : « Heureusement que c’est la dernière année ! » Thérèse, ultrasensible, monte l’escalier et commence à pleurer mais immédiatement quelque chose se passe. Voilà ce qu’elle en dit : « Thérèse n’était plus la même, Jésus avait changé son cœur ! Refoulant mes larmes, je descendis rapidement l’escalier et comprimant les battements de mon cœur, je pris mes souliers et les posant devant Papa, je tirai joyeusement tous les objets, ayant l’air heureuse comme une reine. Papa riait, il était aussi redevenu joyeux et Céline croyait rêver ! […] En cette nuit de lumière commença la troisième période de ma vie, la plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du Ciel… En un instant l’ouvrage que je n’avais pu faire en 10 ans, Jésus le fit se contentant de ma bonne volonté qui jamais ne me fit défaut. […] Je sentis en un mot la charité entrer dans mon cœur, le besoin de m’oublier pour faire plaisir et depuis lors je fus heureuse ! […] Depuis cette nuit bénie, je ne fus vaincue en aucun combat, mais au contraire je marchai de victoires en victoires et commençai, pour ainsi dire, une course de géant »

En montant l’escalier, Thérèse se dit en quelque sorte : « oui, tu peux pleurer comme tu as l’habitude de le faire … mais tu as aussi la possibilité de faire autrement : tu peux aussi refouler tes larmes et t’oublier pour faire plaisir ». L’irruption de la grâce a brisé la chaîne de l’habitude et de la nécessité. C’est la même expérience que François d’Assise a faite devant le lépreux : « tu peux te boucher le nez et t’enfuir … mais tu peux aussi t’approcher et embrasser le lépreux ». C’est tout l’espace de leur liberté et aussi de notre liberté.

La grâce du jubilé

C’est en quelque sorte la grâce que nous offre le jubilé, cette année sainte. Peut-être êtes-vous guettés par le découragement ? « J’ai déjà essayé et je n’y suis pas arrivé ». Ou vous vous dites comme le prophète Élie découragé : « je ne suis pas meilleur que mes pères ».

Dans l’Ancien Testament, les jubilés étaient l’occasion de remettre à plat nombre de situations, de remettre les compteurs à zéro. On préconisait de libérer les esclaves, ou bien de remettre leurs dettes aux pauvres. Lors d’un jubilé, on remet toutes les peines liées au péché comme on remettait les dettes dans le jubilé hébraïque. Le pardon permet de ne pas rester enfermé dans le passé. Nous pouvons nous remettre en route et nous réapproprier la part de liberté que nous avons. Nous ne sommes pas déterminés par le passé.

Comme le dit saint Paul :

« La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tite 2, 11)

La grâce ne consiste pas en un coup de baguette magique. Dieu ne nous sauve pas sans nous et encore moins malgré nous. La grâce ne fait pas de nous des assistés ; Dieu souhaite notre coopération. La grâce nous met en mouvement. Elle nous remet debout et nous appelle au don de nous-mêmes.

C’est ainsi que l’on peut reprendre certaines phrases du prophète Isaïe que nous avions en première lecture :

« le joug qui pesait sur eux, le bâton qui meurtrissait leurs épaules, le fouet du chef de corvée, tu les as brisés. »

Conclusion :

Frères et sœurs, que de motifs de joie dans cette fête de Noël : le fait de savoir Jésus si proche de ce que nous vivons aujourd’hui ; l’humilité, la douceur et la patience de Jésus ; la puissance de sa grâce qui peut marquer pour nous un nouveau départ.

La grâce fait que nous pouvons échapper à l’emprise « du péché et des passions d’ici-bas ». C’est la « grande lumière » dont parle Isaïe :

« Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué l’allégresse, tu as fait grandir la joie : ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit en faisant la moisson, comme on exulte en partageant les dépouilles des vaincus. »

Alors redisons avec le psalmiste :

« De jour en jour, proclamez son salut, racontez à tous les peuples sa gloire, à toutes les nations ses merveilles ! Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête. » (Ps 96)

Avec l’aide de Marie si proche du nouveau-né de la crèche, ayons à cœur de :

« Ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu » (2 Co 6, 1)

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 9,1-6.
  • Psaume 96(95),1-2a.2b-3.11-12a.12b-13.
  • Lettre de saint Paul Apôtre à Tite 2,11-14.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 2,1-14 :

En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine.
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit :
« Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur.
Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »