Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs, il y a quelques mois, j’étais au Liban. Les Libanais ont un proverbe assez terrible : « Chrétiens toujours perdants ! ». C’est sans doutes le fruit de leur expérience… Pour la plupart, ils habitaient dans la montagne et sont venus s’établir sur le littoral pour pouvoir fuir plus rapidement en cas de troubles internes/
Est-ce justement ce Pardon, ce différentiel chrétien, cette excellence chrétienne, fait aussi la fragilité de la communauté chrétienne en tant que telle, ce qu’il fait qu’ils sont comme promis à la disparition…
Ainsi, il est bon de s’interroger sur ce qu’est ce pardon : quelle sont ses motivations, et qu’est-ce qui fait la force de celui qui pardonne ?
Quels sont les motifs du pardon ?
Pour commencer, si vous faites référence aux cours de littérature suivis pendant votre scolarité, vous rappelez-vous de cette pièce de Corneille qui évoque la clémence d’Auguste ? Il y avait des conjurés qui voulaient tuer Auguste, et très mystérieusement, il change d’avis : au lieu d’envoyer à trépas ceux qui le menaçaient, il leur fait grâce, les pardonne et les réhabilite. On peut trouver cela très beau, noble et magnanime, mais si l’on y regarde de plus près, ce n’est rien de plus qu’une stratégie politique : son pardon est une manière d’avoir un ascendant sur ses rivaux, de les dominer, voire de les faire chanter.
En y réfléchissant, je me disais que ce n’était peut-être pas que de la littérature. Nous voyons malheureusement ça aussi dans les couples, quand l’un ou l’autre a fauté gravement, il est des pardons qui sont donnés qui sont aussi façons de manipuler. Et à chaque tension, on "repasse la facture", et la réconciliation n’arrive finalement jamais.
Pour porter du fruit, il faut vraiment que le pardon ne soit jamais un défi, ni une manière de se positionner au-dessus de celui que l’on pardonne. Il est fondamental que tous prennent connaissance que nous faisons partie d’une même communauté, celle des pécheurs pardonnés et d’abandonner cette idée qu’il y a d’un côté le prince innocent ou au contraire corrompu, la blanche épouse et l’époux sensuel – ou l’inverse, cela peut arriver. Nous sommes tous de la même pâte : ce n’est pas toujours facile, mais c’est la réalité.
Vous avez besoin d’être pardonnés, alors pardonnez à votre tour !
Voilà la racine qui est rappelée par la phrase finale de l’évangile que nous avons entendu :
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. »
Autrement dit : « Soyez miséricordieux pour les autres comme Il est miséricordieux pour vous ! ». Vous avez besoin d’être pardonnés, alors pardonnez à votre tour !
Qu’est-ce que le pardon au sens chrétien ?
Considérer la valeur sacrée de chaque personne
Mais la première lecture donne une autre raison du pardon : comme vous l’avez vu, David refuse de tuer Saül, mais pour quelle raison ? Ce n’est pas parce qu’il en a peur, mais pour une raison qu’il explique :
« Ne porte pas la main sur l’oint du Seigneur ! »
Ne porte pas la main sur celui qui a reçu l’onction : car Saül est justement l’objet d’un choix divin. Et vous voyez justement que ceci peut être appliqué à tous : nous sommes tous objets de ce choix divin, nous sommes tous fils et fille de Dieu. Et cette filiation fonde le respect profond que nous avons à avoir les uns envers les autres.
Si, avant de mépriser un frère, de l’insulter, de l’ignorer, nous faisions la génuflexion devant lui en disant : « Une part divine est en toi, et je la reconnais… », alors, les choses changeraient.
Je pense qu’il y a là quelque chose d’important : savoir reconnaître cette part divine.
Reconnaître la part de lumière qui ne nous apparaît pas chez notre frère
Un de nos anciens supérieurs généraux, le Père André, aimait à nous dire :
Cette image est très claire : c’est bien normal, et nous ne pouvons faire autrement ! Imaginons que c’est la même chose avec notre prochain : on voit toujours la même face ! On ne voit pas la face qui regarde vers le reste de l’espace, car quelque chose de mon prochain, de mon frère, de mon conjoint reste occulté à mes yeux. Et cette part est peut-être plus lumineuse que je ne peux l’imaginer…
Voici un petit exemple : En 1917, la mère d’Hitler – Klara Hitler – a un cancer du sein. Elle va mourir le 21 décembre de cette année-là. Auparavant, elle va avoir besoin d’une forte dose de sédatif car elle souffre beaucoup. Un médecin - le Dr Bloch – accepter de la soigner gratuitement. Comme vous l’entendez, ce patronyme est juif. Hitler lui-même vouera jusqu’à la fin de sa vie une reconnaissance éternelle à ce médecin, et il l’appellera même « edel Jude » : noble Juif.
Que déduire de cette attitude inattendu de celui qui a fait frémir toute ce milieu du XXe siècle, sinon peut-être qu’il faut laisser entièrement le jugement à Dieu…
Sans aller jusqu’à ces cas extrêmes, peut-être qu’après avoir fait cette génuflexion devant nos frères, nous pourrions leur dire cette parole : « Je ne te connais pas ; je ne connais pas la lumière qui est en toi… ». Voici une parole réaliste.
Admettre que notre frère pécheur peut changer
Voici une troisième raison, qui pourrait motiver notre pardon : un autre petit fait d’observation, c’est que les animaux en captivité développent une agressivité tout à fait inhabituelle, notamment parce qu’ils n’ont pas la distance de fuite qui leur est nécessaire. De même, celui qui reste dans la cage de sa culpabilité reste aussi dans cette agressivité. Voilà pourquoi nous avons à offrir un espace à ceux avec qui nous vivons, à ceux qui ont pu fauter.
Reprenons cet exemple du Christ devant la femme adultère : un cercle se forme autour d’elle, les pierres déjà en mains. Mais Lui, que fait-Il ? Il brise ce cercle et Il écrit sur le sable, c’est à dire qu’Il se met plus bas qu’elle, et Il lui rend cet espace où son cœur peut vivre. Ce geste extérieur est le signe de quelque chose de plus profond intérieurement, et qui se passe entre elle et Lui.
Pendant ce temps-là, Il lui envoie cet esprit qui remet les péchés : voilà le Christ, Esprit vivant, qui nous recrée et nous rend cet espace de liberté qui nous est donné par cet esprit de rédemption.
Nous sommes nous aussi appelés à être ces esprits vivifiants - le Christ ne garde pas ce privilège – à rendre cet espace à chacun de nos frères avec lesquels nous vivons.
J’aime beaucoup cette phrase de Saint Paul :
« Si vous êtes à l’étroit dans votre cœur, dans mon cœur à moi, vous n’êtes pas à l’étroit. »
Et cette phrase de Saint Jean :
« Si votre cœur vient à vous condamner, Dieu est plus grand que votre cœur ! »
Ainsi, après cette génuflexion et après avoir dit à notre frère : "Il y a une lumière en toi que j’ignore", nous pouvons leur dire : "Tu peux changer".
L’amour des ennemis, c’est cela : c’est pouvoir rendre un espace – mais plus encore - un avenir avec ceux avec qui nous vivons, en leur disant par toute notre attitude : « Tu peux changer ! tu es appelé à meilleur, et tu pourras le faire… »
Chers frères et sœurs, en méditant à tout cela, je pensais à la Vierge Marie. C’est justement Elle qui est pour nous cet espace, cet avenir qui nous est donné, par ce qu’Elle est entièrement transparente, parce que Sa sainteté ne nous est pas imposée comme une supériorité, parce qu’en Marie, il n’y a aucun regard réflexe, ce qui fait que nous nous retrouvons nous-mêmes lorsque nous sommes auprès d’Elle. C’est pour cela qu’Elle peut être notre refuge.
On voit alors que ce pardon est la vraie victoire du cœur de Dieu sur le mal, sur le péché.
Mettons-nous à l’école de Marie, et nous permettrons cette conversion profonde dont l’Église a besoin,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Premier livre de Samuel 26,2.7-9.12-13.22-23.
- Psaume 103(102),1-2.3-4.8.10.12-13.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,45-49.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,27-38 :
En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples :
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »