Homélie du 7e dimanche du Temps Ordinaire

25 février 2019

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. »

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Texte de l’homélie :

Frère et sœurs bien-aimés,
Ce passage de l’évangile de Saint Luc que nous venons d’entendre est très certainement l’un des plus caractéristiques de la Foi chrétienne, de la manière d’agir des disciples du Christ.

« Aimez vos ennemis ! »

Mais, qui est l’ennemi ? Ne cherchons pas un être qui voudrait notre mort à tout prix, nous détruire, même si cela existe parfois – des personnes toxiques qui veulent nous anéantir, mais c’est relativement rare – en temps de guerre, par exemple.
Et c’est Jean Vanier qui médite sur cet évangile et nous dit de l’ennemi est celui qui vient toucher mon incapacité d’aimer, celui m’a blessé et qui fait qu’en retour, je ne suis pas capable de pardonner…
L’ennemi est alors celui qui m’exaspère, qu’il me coût d’accueillir, et qui fait souvent partie des prochains proches… Le nous cherchons pas des ennemis outre atlantique ou en Asie ! Ils sont si lointains que finalement, peu important qu’ils existent ou non…

De ce point de vue là, l’Évangile est très exigent. Et, pas plus tard qu’hier, j’ai eu à vivre une invitation que le Seigneur lance parfois. J’accompagne un jeune couple vers le mariage, et elle me dit : « Nous avons été très blessés par ma sœur : le lendemain de ses noces, nous avons appris qu’elle se mariait. » C’est violent : quand votre sœur, votre fille se marie et n’a prévenu personne de la famille, sans pour autant que ce soit à Las Vegas, mais à 50 km du domicile de ses parents, évidemment, il y a une grosse blessure, outre le fait que cette manière de faire pose question.
Et elle me dit : « Je vois que ma sœur me tend la main maintenant, elle veut se rapprocher, et moi, je n’arrive pas à l’accueillir. »
C’est vrai qu’aimer ses ennemis, c’est accepter que l’autre puisse aussi commettre des actes, faire des choix que l’on estime incompréhensibles. Et s’il faudrait une explication de texte pour savoir pourquoi ce geste si violent pour la famille qui a blessé chacun profondément, comme un rejet, il est important de savoir que si l’on veut être disciple de Jésus, si tu te prépare au mariage à l’Église, il te faut tendre la main, prendre celle de ta sœur qui tente à tâtons de se rapprocher.

Cela demande une vraie attitude de Foi, cela demande une disposition profonde au pardon. Et, à quoi est-ce que l’on reconnaît que l’on a pardonné ? Ce n’est pas facile, car pardonner n’est pas oublier.

« Aimez vos ennemis, pardonnez à ceux qui vous font du mal… »

Quand Jésus nous dit cela, il ne nous demande pas de devenir amnésiques.
Ainsi, voici deux points qui permettent de reconnaître que l’on a pardonné :

  • Il faut d’abord reconnaître que l’on a été blessé, et penser à l’autre tout en restant en paix,
  • Se réjouir du bien qui peut arriver à celui qui m’a blessé, et s’attrister du mal qui l’afflige.

Ce sont à mon avis deux critères assez objectifs qui permettent de voir que l’on a pardonné. On est dans une empathie et non pas dans une colère larvée, même ces deux sentiments peuvent être très mélangés à l’intérieur de nous-mêmes.
Ce qui demeure dans ce cas, c’est l’empathie : se préoccuper du sort de celui qui m’a fait souffrir, et être attentif à ce qu’il puisse grandir, et expérimenter une joie.

Faites-vous la différence entre le pardon et la réconciliation ? Ce sont deux choses différentes : pour se réconcilier, il faut être au moins deux, que l’un reconnaisse ses torts – comme le cas de cette sœur qui le reconnaît à demi-mot et veut tisser les liens avec la famille après l’avoir blessée – et que l’autre fasse une démarche active d’aller à sa rencontre.
Ce n’est cependant pas toujours aussi simple : parfois, l’autre ne reconnaît pas ses torts. Il peut même être persuadé que c’est vous le coupable ! Comment faire ? Il n’y a peut-être pas de réconciliation possible, mais il y a peut-être au moins une démarche personnelle de pardon à faire.
Le pardon, c’est d’abord une démarche intérieure et spirituelle qui me permet de faire un travail sur moi-même avec la grâce de Dieu, avec l’exemple du Christ qui a pardonné à ses bourreaux :

« Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… »

C’est une étape nécessaire pour entreprendre un chemin de paix intérieure, parvenir à l’apaisement. Il faut commencer à se demander comment on peut-on retisser des liens.
J’ai été très marqué dans l’histoire de Simone Veil – que l’on connaît surtout pour son rapport complexe à la loi – par une attitude qu’elle a eu lorsqu’elle était en camp de concentration : dans cette situation pour le moins extrême, elle se posait la question suivante :

« Comment allons-nous faire pour retisser des liens avec les Allemands ?
Comment allons-nous faire pour nous rapprocher à nouveau, car l’on sait bien qu’aucune guerre ne dure l’éternité, et que toutes les guerres ont des solutions politiques… »

Lorsqu’il vous arrive d’être blessé, mis de côté ou même anéanti, je trouve qu’il est intéressant d’être dans cette démarche. Toute proportion gardée en regard de ces fait historiques tragiques, soyons capables de nous interroger sur comme tisser à nouveau un lien.
L’expérience m’a montré que les personnes qui ont le plus de difficulté à avoir un contact avec les autres, ce sont celles qui ont le plus de besoin de communion. Et en même temps, elles sont si maladroites dans leur manière de manifester la communion et de rentrer en contact avec les autres, que ce soit par la colère, par la violence ou par des paroles inconsidérées.

Donc, ce chemin intérieur de pardon rend à nouveau possible la communion. Et c’est ce que Jésus nous dit :

« Tend l’autre joue ! »

Qu’est ce que cela veut dire ? Cela signifie : « Montre un autre visage ! montre une autre part à celui qui t’a blessé ! » Cela ne peut se faire seulement que par la grâce de Dieu, seuls nous en sommes incapables. C’est le cœur à cœur avec Jésus dans l’Eucharistie, dans la prière, dans la Parole qui nous permet de tendre une autre joue, de montrer un autre visage un autre regard, alors qu’en moi, je sais qu’il y a tout un océan de violence et de colère qui se déchaîne.

Oui, frères et sœurs bien-aimés, l’évangile de ce dimanche est un évangile absolument central dans la vie chrétienne. Et, si nous n’avons pas d’ennemis, c’est un peu comme si nous ne pouvions pas vivre l’Évangile… Mais, la vie est ainsi faite que nous sommes tous concernés : nous avons ont blessés par quelqu’un, et c’est autant de lieux offerts pour être disciples de Jésus, sinon, vaine est notre Foi.

« C’est à cela que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples. »

C’est quelque chose dont nous avons tant besoin. Notre société attend ce message de pardon, de réconciliation, tout en étant en vérité. Et après toute cette période d’Apartheid – pour ce qui est de l’Afrique du Sud – c’est sous l’autorité de Desmond Tutu qu’il y a eu toute une démarche que l’on appelle Vérité et Réconciliation : chacun venait dire ce qu’il avait vécu, chacun venait avouer ses fautes, et une amnistie a été possible. Grâce à cela, on recommence à vivre ensemble : on ne peut pas rester pendant des années avec cette blessure, même si elle est terrible. Mais ce qui existe au plan politique est plus difficile à vivre au plan personnel. Des personnes vivent avec un ressentiment vieux de 10, 20 ou 30 ans au sujet d’un père, d’une mère, d’un frère ou d’une sœur, toujours avec l’émotion et la colère du premier jour… On ne peut pas rester comme ça, car c’est comme une plaie qui saigne, que l’on gratterai en permanence et qui ne serait pas cicatrisée.
Seul le baume du Saint-Esprit, le cœur à cœur avec Jésus nous permettront d’avancer, de nous construire, de nous reconstruire. Voilà la bonne nouvelle : nous pouvons être vainqueurs du mal par le bien, avec la règle d’or :

« Faire aux autres ce que l’on voudrait que les autres fassent pour nous. »

Cela nous dépasse tellement, car nous avons parfois des blessures très profondes, mais, y a-t-il un autre chemin ?

« Vers qui irions-nous, Seigneur ? »

Alors, nous pouvons demander cette grâce les uns pour les autres. Que le cœur de pierre se transforme en cœur de chair, que ce qui est mort en nous puisse vivre à nouveau, que ce qui est colère et violence en nous puisse être apaisé, pour que nous soyons les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Premier livre de Samuel 26,2.7-9.12-13.22-23.
  • Psaume 103(102),1-2.3-4.8.10.12-13.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,45-49.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,27-38 :

En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples :
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.

Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »