Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien-aimés,
C’est en ce premier dimanche de Carême que l’on appelle traditionnellement le dimanche de la tentation que l’on médite sur Jésus qui livre le combat spirituel. J’aimerais revenir avec vous ce matin sur cette question du combat spirituel qui n’est pas souvent abordée en dehors du Carême. Donnons-lui la place qu’il mérite.
A travers ces trois tentations que vous connaissez bien :
- A propos de celle qui suggère de transformer ces pierres en pains, après quarante jours de jeûne on imagine bien que le Seigneur avait faim ; il s’agit donc de tout ce qui est lié au plaisir de la chair.
- La tentation de donner la gloire des royaumes et le pouvoir, c’est à dire la tentation des richesses
- La troisième tentation, celle de se mettre au dessus du Temple de Jérusalem, c’est à dire au-dessus de Dieu, la tentation de l’orgueil
Ces trois dormes de tentation sont celles que nous avons chacun d’entre nous, selon notre niveau et notre âge. L’Évangile se termine par ces mots :
« Ayant épuisé toutes les formes de tentation, le démon le quitta jusqu’au moment fixé. »
Cela signifie qu’au fond, notre combat spirituel va s’encrer autour de ces trois formes de combat intérieur : savoir donner une certaine tempérance au plaisir, savoir accueillir une certaine forme de pauvreté, et savoir acquérir une certaine forme d’humilité face à Dieu. Ces trois tentations ont aussi donné lieu et font écho aux trois vœux religieux :
- le vœu de chasteté : avoir une certaine distance par rapport au corps de l’autre,
- le vœu de pauvreté : accueillir une limite
- le vœu d’obéissance : se reconnaître créature et non pas Dieu.
On comprend bien que notre combat spirituel se situe à ce niveau-là. Et l’on voit bien qu’il y a un tentateur. Qu’est-ce que la tentation ? La tentation c’est le démon – nommé de façon explicite dans les lectures – qui agit sur notre imagination. Il nous fait penser que, si, par exemple, je prends quelque chose qui n’est pas à moi cela va me rendre heureux – pour reprendre la tentation de la richesse, ou plus généralement, il nous fait imaginer que derrière chaque tentation, il y a un appel au bonheur.
Cela revient à demander l’être à l’avoir. C’est demander à l’accumulation des biens un bonheur que seul Dieu peut nous donner.
Il est intéressant de voir que la tentation vient par l’imagination. On entrevoit à travers un ego surdimensionné, ou en se répandant en louanges de soi-même - pour le manque d’humilité et donc l’orgueil – quelque chose de tout à fait agréable et sympathique.
À tel point que, lorsque que j’ai donné un petit enseignement à un groupe de jeunes à Paris sur cette question-là, une jeune fille qui n’avait pas osé poser la question devant tout le monde, s’approche de moi et demande : « Au fond, pourquoi faut-il lutter contre la tentation ? il n’y a pas de mal à se faire de bien, c’est tellement agréable ? ».
Et c’est vrai qu’une des manières d’éviter le combat spirituel, c’est bien de céder à toutes les tentations. On est alors tout à fait tranquille ! Cette question m’a interloqué, car c’était une fille de bonne composition, et elle me disait ne pas voir pourquoi et se méfiait de ce fameux arsenal chrétien de culpabilisation, une manière d’avoir une emprise sur les gens.
Et je crois que cette question mérite que l’on y réfléchisse : pourquoi rentrer dans le combat spirituel ? Est-ce qu’au fond on ne se complique pas la vie ? Est-ce que la vie ne serait pas quelque chose de plus spontané, nous appelant à nous laisser guider par nos désirs au gré de la nature, au gré de nos fantaisies, sans enfreindre la loi ? Le fait d’aimer l’argent, d’aimer les richesses, tout cela n’est pas contre la loi… Le fait de céder à toute forme de plaisir, du moment que l’autre est consentant et que moi-même je le suis, ce n’est pas non plus contre la loi.
Et le fait d’avoir un ego surdimensionné, s’il fallait emprisonner toutes les personnes qui avaient ce souci-là, ce pourrait bien faire la moitié de la population !…
Tout ce ci n’est pas contre la loi : au fond, quel mal je fais ?
J’ai donc réfléchi plus profondément à cette question : pourquoi lutter contre la tentation ?
Au fond, est-ce que l’on ne se complique pas la vie ? Et j’ai alors trouvé la réponse du côté de l’intelligence : l’intelligence est cette part d’infini en nous cette capacité de saisir le réel, jusqu’à la capacité de contempler Dieu, et de se laisser regarder par Dieu.
Dans l’intelligence, il y a quelque chose d’infini. Et dans la tentation, il y a le fait de donner à nos désirs l’infini de l’intelligence. Avec la tentation, il n’y a pas de repos : elle demande toujours plus. Je peux toujours rajouter un zéro à mon compte bancaire, je peux toujours rajouter un plaisir à un autre plaisir, je peux toujours courir après une vaine gloire… il n’y a pas de repos !
Dans la tentation, il y a cette course en avant qui fait que, progressivement, je ne vais pas tellement me recentrer sur moi-même, et me construire, me recueillir… au contraire, je vais m’éparpiller, et découvrir au fond que ce sont les autres, leur regard ou le plaisir, ou l’accumulation des richesses qui me donnent ce que je suis vraiment. Et cela me fragilise.
Or, je crois que d’abord, si le Seigneur a livré le combat spirituel, à nous aussi de le livrer comme disciple du Christ. Je crois aussi que notre intelligence a à accueillir une limite.
N’est-ce pas aussi un écho à la béatitude des pauvres, cette première béatitude qui ouvre et qui résume toutes les autres ? Est-ce que l’on a pas à se mettre dans une attitude d’humilité face à ce qui peut être plaisant, face à ce qui peut nous « caresser dans le sens du poil » ? face aux richesses ? face à notre ego ? Il n’y a rien de mal dans tout cela.
Simplement, est-ce que j’accueille une limite, est-ce que je canalise mon intelligence, est-ce que je la retiens, sachant que si je ne la retiens pas, cela me mène précisément au précipice, à l’image des glissières sur l’autoroute.
Et le Seigneur, en nous montrant ces trois lieu de combat spirituel, nous rappelle que l’on a besoin de canalisation même intérieurement, parce que sinon, cette part d’infini en nous nous pousse à nous répandre jusqu’à nous perdre. Un peu comme un torrent sans berges qui devient un marécage.
Oui, frères et sœurs bien-aimés, en ce dimanche de la tentation, soyons attentifs nous-même à livrer un combat intérieur. Ce n’est bien sur pas d’actualité, ni à la mode ! Au contraire : ce que l’on voit partout, c’est le principe de plaisir qui semble gérer notre société. Mais nous pouvons nous demander si cela nous rend heureux ? c’est là la vraie question ! cela nous rend-il heureux ou cela nous fait-il rentrer dans une logique de toujours plus ? la logique du « tout-de-suite-maintenant » qui nous fragilise et nous perd ?
Il faut demander au Seigneur cette grâce de découvrir quels sont les lieux de combat dans notre propre vie. Parce qu’au fond, les lieux de combat spirituel vont être aussi des lieux de communion avec l’autre.
Et le fait de se répandre, d’aller vers un toujours-plus, tôt ou tard, c’est la personne qui est à mes côtés qui va souffrir, parce que je vais privilégier soit le plaisir, soit l’argent, soit l’ego, je vais privilégier cela à la communion. L’autre va m’imposer une limite, forcément, comme il pense différemment, comme il agit différemment. Il va devenir un obstacle à mon ego, un obstacle à mon accumulation de richesses, un obstacle à mon plaisir…
Au fond, le combat spirituel est une des conditions de la communion, une des conditions de l’amour. Et lorsque l’on rentre dans un chemin d’amour, comme le Seigneur nous le propose – que ce soit dans l’amour matrimonial comme la plupart d’entre vous, que ce soit dans l’amour consacré comme c’est mon cas et celui de religieux et de prêtres - on rentre dans un chemin qui nous signale les dangers à vouloir rendre l’autre semblable à nous-mêmes, à notre image et ressemblance.
Ces trois dangers sont les trois lieux de combat intérieur. À travers ces trois combats intérieurs, à travers ces trois tentations, on découvre que l’on est invités à un amour plus grand, à un amour qui respecte l’autre, et qui sait mettre une distance pour ne pas transformer l’autre en moi-même. C’est toute une vie !
C’est toute une vie parce que, justement, on prend conscience du lieu dans lequel on est plus particulièrement tenté. Sans doutes on est plus attiré par la vaine gloire et les honneurs ; peut-être que c’est plutôt l’argent qui occupe beaucoup de place dans notre vie, et on en parle beaucoup… Ou alors, on est très attiré par les plaisirs, et rien ne nouveau sous le soleil, à plus forte raison avec Internet etc…
« Ayant épuisé toutes les formes de tentation… »
Avez-vous regardé : tous les scandales politiques sont concernés par l’un ou l’autre de ces lieux de combat. Tous les scandales. Et je crois que c’est intéressant de voir que le Seigneur, au fond, nous donne une vraie voie de sagesse. C’est vrai que l’on parle de se restreindre, mais c’est pour avoir un amour plus fort, pour ne pas devenir un marécage mais rester un torrent !
Oui, frères et sœurs bien-aimés : ce n’est tellement pas d’actualité dans notre société de consommation où le combat intérieur que nous avons à livrer est d’autant plus réel. Il est contre soi-même. Mais, dans ce combat-là, nous ne sommes pas seuls. Et je crois que c’est très important : nous nous appuyons sur le Christ.
Comme vous le savez, ce temps de carême est un temps de réconciliation. C’est un temps où les Chrétiens - et spécifiquement les Catholiques - sont invités à recevoir le sacrement du Pardon, à se confesser.
Mais parfois, j’entends des personnes dire : « Mais pourquoi se confesser ? Parce que je suis sûr de recommencer… j’ai menti, et je vais recommencer : raconter une histoire pour attirer l’attention de mes amis ; j’ai critiqué, je sais très bien que j’ai la langue bien (ou mal !) pendue, et que la critique va être à nouveau à la sortie de ma confession ».
Et c’est Saint Benoît qui répond :
« On se confesse parce que l’on vient confier au Seigneur son combat : on fracasse la tentation contre le Christ. »
De même que vous avez, j’imagine pour la majorité d’entre-vous, pris votre douche ce matin. Mais pourquoi la prendre ce matin si vous allez vous salir aujourd’hui et qu’il faut recommencer demain ? Ou encore : pourquoi se laver les mains avant le repas si ensuite elles vont être sales ? Pourquoi comprendrait-on cela pour le corps et mais non pour l’âme ?
Frères et sœurs bien-aimés, nous sommes invités nous-mêmes à relire notre vie en nous demandant : « Où est mon lieu de combat ? Est-ce que je confie au Seigneur ce combat dans le sacrement de la Réconciliation ? ».
Ou alors, est-ce que j’ai assez d’orgueil pour ne pas le sentir…
Je me rappelle quelqu’un qui était venu se confesser et qui disait : « Mon Père, j’ai un gros problème : je ne vois pas où sont mes péchés ».
Je lui ai répondu : « Demandez à votre femme, et vous découvrirez-là une belle liste ! ».
Alors oui, frères et sœurs, demandons assez d’humilité pour reconnaître toutes les fois où l’on a trébuché, où l’on sentait que cela n’allait pas dans un chemin d’amour fort, et l’on s’est laissé allé par l’immédiateté. Demandons au Seigneur qu’Il nous soutienne, et c’est pour cela que l’on vient communier au Corps et au Sang du Christ pour demander une force spirituelle.
Puisse Jésus lui-même nous accompagner dans ce combat et nous faire triompher pour être témoin de l’Évangile là où nous sommes,
Amen !
Référence des lectures du jour :
- Livre du Deutéronome 26,4-10.
- Psaume 91(90),1-2.10-11.12-13.14-15ab.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 10,8-13.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 4,1-13 :
En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors :
— « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
Jésus répondit :
— « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre.
Il lui dit :
— « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit :
— « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit :
— « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui fit cette réponse :
— « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.