Homélie du 4e dimanche du Temps Ordinaire

4 février 2019

« Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. »

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Texte de l’homélie :

Vous le savez peut-être, l’Evangile de Luc a quelque chose de particulier par rapport aux autres récits évangéliques. C’est que, par douze fois, il est fait mention de ce petit mot « aujourd’hui ». Vous vous en souvenez, quand on a entendu l’annonce aux bergers pendant la messe de Noël :

« Aujourd’hui, il nous est né un sauveur ! »
« Aujourd’hui s’accomplit le passage de l’Ecriture… »
« Aujourd’hui, je veux demeurer chez toi » (avec Zachée)
« Aujourd’hui, le Salut est entré dans cette maison… »
« Aujourd’hui, tu sera avec moi en Paradis » (au Bon Larron)

Par douze fois, Saint Luc mentionne l’aujourd’hui. Saint Luc étant l’auteur des Actes de Apôtres, et par dix fois, il répétera ce même mot, alors que Saint Matthieu ne le nomme que six fois, Saint Marc deux fois, et il n’apparaît pas dans l’Evangile de Saint Jean.
Mais, il est intéressant de savoir que cet « aujourd’hui » de Dieu, ce temps de Dieu n’est pas accueilli, alors que c’est une bonne nouvelle : l’accomplissement d’une prophétie…
On peut ainsi se demander pourquoi cette parole n’est pas accueillie. Il y a deux raisons à cela :

  • La temporalité
  • La familiarité.

La temporalité

Certains ne vivent pas dans cet aujourd’hui. C’est comme s’ils voulaient bien croire à une prophétie, mais qu’elle ne se réalise pas, ou qu’elle se réalise plus tard…
Ils disent : « N’est-ce pas le fils du charpentier ? » c’est à hier qu’ils font référence, ils ont des souvenirs de Jésus enfant, mais ils ne sont pas dans le moment présent. Ils ne sont pas dans l’ici et maintenant de Dieu, et c’est un vrai obstacle pour accueillir la parole de Dieu et la recevoir comme une bonne nouvelle…

La familiarité

Cette familiarité nous est rapportée en détail par Saint Matthieu : ils « savent » :

« Ses frères Jacques et Alphée ne sont-ils pas parmis nous, ainsi que ses sœurs ? »

Nous entendons la parenté de Jésus : « frère et sœur » au sens de l’Orient, c’est à dire cousin, cousine, voisin, tout ce qui fait l’entourage d’une famille…

Ils croient connaître Jésus, ils sont familiers de Lui. Il est chez Lui, à Nazareth, là où Il a grandi, et cette familiarité fait que l’on arrive pas à changer de regard sur Jésus.

C’est aussi cette familiarité qui a comme tendu des pièges à Naaman le Syrien. Vous connaissez ce récit de sa guérison miraculeuse ?
Il était, comme on le dirait ici, le chef d’état major des armées, le général en chef de l’armée syrienne, donc un des plus grands personnages du Royaume, et il était atteint de lèpre. Et la servante de son épouse, une fille des Hébreux, indique au maître d’aller en Samarie :

« Il trouvera là un prophète pour le guérir… »

Il s’en va donc avec un lettre du Roi, qui l’envoie ensuite au prophète. Et celui-ci, sans sortir de sa maison, lui fait dire :

« Va te baigner sept fois dans le Jourdain. »

Et Naaman pense qu’on se moque de lui et de sa condition supérieure, lui le général en chef de l’armée syrienne, un des royaumes les plus puissants d’alors…
Il croit savoir, lui, comment faire pour guérir de la lèpre. Il pensait que le prophète allait sortir de sa maison, au moins par respect, pour l’accueillir, qu’il impose les mains sur la partie infectée…
Et il lui dit simplement : « va te plonger 7 fois dans le Jourdain », n’est-ce pas une plaisanterie ?

« N’ai-je le et les rivières de Damas dans mon pays pour venir me plonger dans les eaux d’Israël ? »

Et un de ses serviteurs lui dit :

« Si le prophète t’avait demandé quelque chose de difficile, ne l’aurais-tu pas fait ? »

Et avec humilité, il se plonge sept fois dans la Jourdain et en ressort guéri. Il a été lui aussi tenté par cette familiarité trop grande, « il savait », tout comme les auditeurs de Jésus qui « Le connaissaient ». Et ainsi, rien de nouveau ne pouvait surgir de cette parole, puisqu’on « Le connaissait déjà »…

Tous tentés par ce piège

Temporalité et familiarité excessive avec le Seigneur sont aussi des pièges pour nous : on croit savoir comment Dieu agit, on pense connaître déjà les plans du Seigneur.
Faisons un test : si je vous dis :
— « Aujourd’hui, vous allez recevoir une grâce »
Vous me répondrez :
— « Oui, mais la grâce de Dieu est en tout temps et en tout lieu ! » et ce que vous direz est vrai…
Vous allez raisonner comme des « sachant », des personnes qui ont entendu des choses…
Mais, je vous le dis : « Aujourd’hui, une grâce du Seigneur va vous être donnée ! » : saurez-vous accueillir cet aujourd’hui ? savons-nous nous laisser déplacer intérieurement ? accueillons-nous cette nouveauté, quelque chose que l’on avait pas prévu dans la manière de se réaliser, comme Naaman le syrien, ou dans cette parole extraordinaire de Jésus qui lit le livre d’Isaïe, le livre messianique :

« Je suis venu adresser la bonne nouvelle aux pauvres…
Aujourd’hui s’accomplit cette parole ! »

Oui, frères et sœurs bien-aimés, nous sommes aussi tentés par cette temporalité que l’on accepte pas, ce vivre le temps présent, et une excessive familiarité avec le Seigneur qui ne nous laissent pas voir la transcendance, qui ne nous laisse pas accueillir une manière nouvelle que Dieu veut prendre pour nous rejoindre.
Cette question du temps est certainement un obstacle à l’amour, car si l’on voit le temps comme une condensation - et on voit parfois cette difficulté pour les couples de s’engager qui anticipent avec inquiétude la perspective de toute une vie de fidélité avec l’allongement de la durée de la vie – on a une mauvaise appréciation de la temporalité.
Sainte Thérèse d’Enfant Jésus nous donne la bonne mesure de la temporalité :

« Pour aimer, je n’ai qu’aujourd’hui ! »

Et d’aujourd’hui en aujourd’hui, vous retournant et faisant mémoire, vous pouvez vous dire : « déjà 10 ans ! déjà 20 ans ! déjà 30 ans !… »
La manière de concevoir le temps pour le Chrétien n’est pas la manière que les autres ont. Nous, nous concevons le temps comme un présent, comme une rencontre. Ce n’est pas quelque chose qui passe, c’est quelqu’un qui vient. Et parce que le temps est chaque jour une rencontre, il est chaque jour une grâce. C’est le sens de ce carpe diem chrétien, ce cueillir le jour qui fait que notre vie a un relief différent de ceux qui n’ont pas la Foi.
Pour tous, le temps passe, certes, mais il n’est pas vécu de la même manière. Et de le même façon, cette familiarité excessive avec le Seigneur, nous qui sommes ici, pratiquants, venus en retraite pour vous ressourcer auprès du Seigneur, nous avons cette tentation de « savoir », nous nous sentons comme « ceux qui savent comment Dieu va agir… »

Alors, il faut nous laisser « déplacer ». Et qu’est-ce qui fait que l’on peut réconcilier temporalité et familiarité sans exclure la nouveauté de Dieu ? c’est l’humilité, celle de la petite servante, la petite esclave de l’épouse de Naaman, celle des serviteurs de Naaman qui lui disent d’obéir au prophète, l’humilité de Naaman lui-même qui accueille et suit cette demande inattendue de la part de l’homme de Dieu…

Accueillir le temps avec humilité

L’humilité nous donne le vrai poids du jour, de l’accueillir vraiment comme un grâce. Elle nous donne le vrai poids de grâce qui habite la parole de Dieu, cette dimension de transcendance, qui va au-delà même de ce que nous pouvons imaginer.
Cette charité qui demeure, comme le dit Saint Paul, a cette condition-là :

« L’amour prend patience. »

Il nous faut avoir une manière de concevoir le temps qui n’est pas celle de tout le monde, mais qui est au contraire le lieu d’une rencontre, d’une prise de conscience que Dieu vient vraiment habiter notre présent.

C’est ce que nous allons demander au Seigneur : une attitude de Foi pour voir comment Il agit dans notre vie, nous laisser déplacer et sortir de notre zone de confort, et d’acquérir cette attitude juste d’envisager le temps et les personnes,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Jérémie 1,4-5.17-19.
  • Psaume 71(70),1-2.3.5-6ab.15ab.17.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 12,31.13,1-13.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 4,21-30 :

En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient :
— « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit :
— « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire :
“Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »

À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.
Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.