Texte de l’homélie :
« Laissant tout, ils le suivirent. »
Chers frères et sœurs,
La liturgie de l’Église nous propose trois visages qui ont ceci de particulier : la radicalité de leur réponse. Tous les trois font l’expérience de se retrouver en face du Dieu Saint, le Kadoch, littéralement le « tout autre ». La toute puissance de Dieu se présente à eux comme une totalité, comme la totalité des désirs du cœur de l’Homme, de leur désir. Tel un feu dévorant, le Tout Autre vient comme embrasser leur cœur et leurs attentes, non pour les détruire bien sur, mais bien au contraire pour les purifier comme on purifie l’or, pour lui donner toute sa valeur. Pour qu’ils se reconnaissent et deviennent eux-mêmes le Tout Autre.
Cette conversion invite et impose une totalité, comme une réponse unique et sans détour de la vocation au bonheur.
Les figures de la Bible qui répondent à l’appel de Dieu
Le premier, Isaïe, fait l’expérience du Dieu Saint, le Dieu de l’Univers en face de qui toute la Terre est remplie de Sa gloire. Et là, une réponse sans appel :
« Moi je serai ton messager : envoie-moi. »
Puis, la deuxième personne, Saint Paul, le persécuteur de l’Église, « l’avorton », qui se retrouve en face du Seigneur sur le chemin de Damas et est terrassé devant la totalité du Christ. Il se constitue esclave du Seigneur, débiteur envers les grecs et les barbares pour leur offrir tout son être, annonçant au monde la bonne nouvelle qui est : « Puissance de Dieu pour le Salut de celui qui croit ».
Enfin, le troisième personnage : Saint Pierre, le pêcheur, qui a autorité sur les autres barques : celle de Jean et de Jacques, les fils de Zébédée. Il est visité par la présence toute aimante du Christ. Cette totalité qui lui demande de se risquer à avancer au large, là même où il était en échec, toute la nuit. Dans une radicalité déconcertante, face à la totalité des poissons rassemblés dans leur filet, ils laissent tout et le suivent.
Isaïe, Paul et Pierre font tous les trois l’expérience de la toute puissance et de la toute bonté de Dieu. Cette totalité de Dieu qui se rassemble en un seul cœur, une seule âme et une seule réponse de foi : le désir qui habite le cœur de tout homme.
L’image de la pêche tout aussi forte que celle du Bon Pasteur
Certes, nous avons l’habitude de voir Christ utiliser l’image du Bon Pasteur qui rassemble en un seul troupeau les brebis dispersées et errantes et sans berger. Aujourd’hui, c’est une autre image qui nous est donnée avec celle du pêcheur qui va rassembler, repêcher lui-même dans un seul filet tous les poissons de la Création, signe de l’humanité toute entière : l’universalité.
Permettez moi de revenir sur cette pêche miraculeuse :
La mer, un environnement périlleux :
Tout d’abord, le lac de Génésareth, que l’on associe aux eaux de la mer : si les Phéniciens ou les grecs étaient des peuples de marins, il n’en est pas ainsi pour les Israélites. Ils éprouvent devant les eaux comme un sentiment d’impuissance formidable : elle est impossible à dompter, cette eau si terrible quand elle se déchaîne, elle qui menace tous les marins ainsi que les populations côtières. Aussi, les eaux de la mer demeurent le lieu démoniaque où vont se précipiter – on s’en souvient dans Saint marc – tous les porcs ensorcelés des Gérazéniens.
Elle est le signe, dans la tempête, des éléments déchaînés d’une création dés-harmonisée et désordonnée, coupée de son créateur.
Et enfin, elle est le lieu qui reçoit en son fond le péché, en son tréfonds, des hommes qui sont venus se laver, se purifier et se convertir par le baptême de Jean le Baptiste. Rappelons que le Christ va prendre la peine de le visiter par son propre baptême, Lui qui a aussi été immergé, comme pour venir rechercher dans le tréfonds des eaux tout le péché, toute cette saleté humaine, pour les rassembler sur son propre corps, corps qui sera offert en sacrifice sur la Croix et être présenté au Père. L’Homme en est ainsi dégagé pour toujours.
Jésus se sert de cette eau pour parler de Son Père :
L’enseignement du Christ sur le rivage, depuis la barque, est le signe de Celui qui domine les eaux, Celui qui est au-dessus des eaux, au dessus des monstres et du péché. Il est tantôt Celui apaise les flots déchaînés, tantôt Celui va sauver l’Homme de ces flots impétueux, tantôt Celui qui va rassembler tous ces poissons hors de l’eau pour les mettre dans la barque.
L’acte de foi de Pierre :
Jésus va pousser Pierre à un acte de confiance « Va au large », là même où la pêche de toute la nuit, de toute sa recherche, a été stérile. Mais plus encore, l’expression dit : « Conduis au large ». Saint Pierre est vu là comme chef, celui qui a autorité sur ses collègues pêcheurs. Il est appelé a embrasser la plénitude de la foi avec l’audace de celui qui va chercher ceux qui sont perdus dans les eaux de la mort, pour les en sortir, et après, pour les conduire et les mener à bon port. Il a l’audace et la grâce de quitter la sécurité du rivage, pour aller chercher ceux qui se sont égarés. Pierre, lui, a besoin de temps. Il a besoin de paraboles et de signes pour comprendre. Il lui faut cette pêche impossible, un miracle, pour le faire tomber à genoux dans la posture du suppliant, au pieds de son seigneur, pour se reconnaître indigne d’une telle mission.
Sa vie en est transformée :
Car ses yeux s’ouvrent à la fois sur la toute puissance de Dieu, sur la totalité du cœur du Christ et sur son propre état intérieur d’homme que son péché rend incapable, impuissant devant la toute pureté divine. On retrouve là, toute l’indignité d’Isaïe que nous avons constaté dans la première lecture :
« Éloigne-toi de moi, je ne suis pas digne, car je suis un homme pécheur. »
Mais le cœur de Pierre n’est pas encore totalement à l’unisson, il lui faudra le temps de la miséricorde, il lui faudra goûter au pardon du Seigneur lorsqu’il l’aura renié. Mais il n’empêche que le chemin qu’il va faire sur ses mers intérieurs va l’apaiser jour après jour, et le rendre disponible à l’appel du Seigneur. Lui, le Dieu très bon, va le rassurer et lui préciser :
« Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Il est sous-entendu : « …que tu arracheras aux grandes eaux de la mort. » Le mot grec manifeste bien plus fortement « Tu les prendra vivants ». Ce qui signifie qu’il les arrachera clairement au péché. Songeons à la détresse de celui qui se noie. Qu’avec le filet, ce filet unique qu’est l’Église – l’image peut sembler enfermante mais elle est belle, des hommes soumis aux eaux de la mort seront sauvés par l’Église. Dieu nous veut absolument vivants, cela lui est indispensable, et à n’importe quel prix, jusqu’au sacrifice de son propre fils.
Pierre deviendra notre guide sur les eaux impétueuses :
Et si l’on pousse l’image encore un peu plus loin : Saint Pierre sera ce pêcheur certes, mais bien plus qu’un pêcheur, il sera ce roc, ce rocher que tant de personnes, dérivant dans la mer, perdus, cherchent à atteindre de leurs mains désespérées. Ce roc sur lequel l’Église sera bâtie, tel un asile pour les hommes désorientés dans les eaux déchaînées qui les malmènent, comme un lieu de repos, comme un port, pour s’abriter dans une mer agitée, comme un phare bâti sur un piton rocheux pour ceux qui ont perdu tout sens de repère, toute direction pour conduire leur navire. La réponse de Pierre est sans appel :
« Laissant tout, ils le suivirent. »
La simplicité scripturaire nous renvoie à une sorte d’évidence de réponse, telle est la foi de Pierre, certes encore inachevée, tel est aussi l’acte de foi que nous sommes appelés à poser. Parce que Simon est devenu tout-autre – au point même de recevoir au autre nom, celui de Pierre. Il pourra être le témoin de cette autre vie à laquelle il vient d’être initié, vie de disciple du Christ, vie de fils de Dieu et non plus d’esclave du péché.
Alors, frères et sœurs, implorons la miséricorde du Seigneur pour nous-mêmes. Que le Seigneur nous accorde les grâce nécessaires, et du temps s’il Lui plait, celui dont nous avons besoin pour tout quitter pour le suivre. Que nous jouissions ainsi de la joie et de la paix de ceux qui désirent répondre pleinement à l’appel de tout quitter. Ainsi nous serons dans la totalité de Dieu, au cœur même de nos engagements et de notre devoir d’état.
Que la Vierge Marie, la « femme totale » qui a su se donner toute entière au bon désir du Bon Dieu, nous accompagne sur ce chemin de conversion. Dieu veut nous sauver, Dieu veut sauver tous les hommes pour qu’aucun ne se perde. Dieu veut nous libérer des tourments de ce monde. Dieu, pour cela, passe par nous pour tout donner. Dieu a besoin des nous, de toute notre personne,
Amen.
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 6,1-2a.3-8.
- Psaume 138(137),1-2a.2bc-3.4-5.7c-8.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,1-11.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 5,1-11 :
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.Quand il eut fini de parler, il dit à Simon :
— « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »
Simon lui répondit :
— « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant :
— « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon.
Jésus dit à Simon :
— « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.