Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien-aimés, les 3 lectures de ce jour nous présentent trois hommes – Isaïe, Paul et Pierre – qui ont vécu une expérience spirituelle forte : la vision dans le Temple, la chute sur le chemin de Damas, la pêche miraculeuse. Ils sont été subitement mis en présence de Dieu lui-même.
Comme eux, nous sommes appelés à rencontrer le Dieu vivant. Le but n’est pas d’avoir de belles idées de Dieu mais de le rencontrer. Cela a été déterminant pour leur vocation.
Je vais méditer avec vous autour de trois réalités très présentes en particulier dans l’évangile de ce jour : foi, crainte, vocation.
Foi – Poser un acte de foi – confiance
Jésus demanda à Simon :
« Avance au large (Duc in altum), et jetez les filets pour prendre du poisson. »
Simon lui répondit :« Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets » (cf. Novo Millenio Ineunte)
Voir les difficultés
Lorsque Jésus demande à Pierre de jeter les filets, la première réaction de Pierre est de voir toutes les difficultés qui s’opposent à la demande de Jésus. Il est fatigué car il a travaillé toute la nuit et en plus il n’a rien pris de la nuit. Son expérience de la pêche lui fait dire qu’il a toutes les chances de ne rien attraper en jetant les filets en plein jour.
L’attitude de Pierre est souvent aussi la nôtre lorsque Jésus nous demande quelque chose : nous commençons par voir les obstacles. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire quelque chose de mal : la foi ne va pas contre la raison ; elle ne demande pas de faire des choses insensées. Mais la foi va au-delà de la raison comme le dit si bien la parole du prophète Isaïe :
« Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre autant ses chemins sont élevés au-dessus des nôtres et ses pensées au-dessus de nos pensées. » (Isaïe 55, 9)
Jamais Jésus ne nous demande quelque chose de mal mais il nous demande souvent des choses qui – au premier abord – nous déconcerte. Ici, au pire, ce sera fatiguant et inutile. L’aide d’un conseiller ou d’un père spirituel est précieuse pour nous aider à discerner si cela vient bien de Dieu.
Se laisser arrêter par la sagesse humaine
La compétence professionnelle de Pierre aurait même pu en quelque sorte se retourner contre lui. En effet, il aurait pu répondre à Jésus : « excuse-moi, toi tu es charpentier ; tu n’y connais pas grand chose à la pêche ; c’est moi qui suis pêcheur ».
Notre compétence ou notre sagesse nous rendent souvent moins souples pour obéir à Dieu. C’est sans doute pour cela que Jésus s’est exclamé un jour :
« Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » (Lc 10, 21-24 ; cf. Mt 11)
C’est aussi ce qu’exprime saint Paul avec force :
« Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu. » (1 Co 1)
Pour nuancer cela, Jésus ne condamne pas du tout l’intelligence. Il y a des gens très intelligents qui sont très souples entre les mains de Dieu. Il y a aussi des gens qui ne sont pas du tout intellectuels mais qui sont complètement fermés à la sagesse de Dieu. L’important est cette ouverture à la sagesse de Dieu qui nous dépasse infiniment.
La confiance en Jésus
La deuxième réaction de Pierre est très belle :
« Sur ta parole, je vais jeter les filets… »
A vrai dire, il y a eu des préliminaires : Pierre avait entendu Jésus prêcher. Cela avait déjà disposé son cœur à un a priori favorable à la parole de Jésus (« sur ta parole »). Pierre ne s’arrête pas à ses raisonnements humains ; il fait confiance à Jésus. Pierre a dû s’avancer au large. Il a accepté de perdre pied. Il est sorti de sa zone de confort comme on dit quelquefois. Il a accepté d’être dans une situation de vulnérabilité. Comme le disait très bien Benoît XVI au début de l’année de la foi :
Il est clair que si nous attendons de tout comprendre, de tout maîtriser, pour poser des actes de foi, nous risquons fort de ne jamais avoir la foi. Il faut consentir à ne pas tout comprendre, à ce que Dieu nous dépasse. Je crois pour comprendre.
« Credo ut intelligam, non intelligo ut credam. »
Crainte : Dieu nous dépasse infiniment
Prise de conscience de la sainteté de Dieu
Isaïe, Paul et Pierre ont la même réaction devant cette irruption de Dieu dans leur vie ; tous trois ont une même conscience de la sainteté de Dieu et de l’abîme qui nous sépare de lui. Et leurs expressions se ressemblent beaucoup : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur », dit Pierre. Saint Pierre prend brusquement conscience de son état de pécheur. C’est un peu comme le faisceau d’une lampe qui nous fait voir soudain toutes les poussières suspendues dans l’air. Isaïe disait :
« Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! »
Pourtant ce ne sont pas des gens scrupuleux et rabougris.
La crainte de Dieu
La crainte de Dieu n’a rien à voir avec la peur de Dieu. La peur, il n’y a pas besoin de la demander : elle vient toute seule ! La crainte de Dieu n’est pas spontanée : c’est le respect de Dieu, et même plus encore, c’est le sens de la grandeur de Dieu, la reconnaissance de sa transcendance, le sens du sacré, la prise de conscience de la distance qui nous sépare de Dieu. Cela apparaît très bien dans la première lecture du prophète Isaïe :
« Saint, Saint, Saint le Seigneur, Dieu de l’univers. Toute la terre est remplie de sa gloire. »
Dire que Dieu est « Saint », au sens biblique, ce n’est pas faire référence au péché dont Dieu est exempt ; c’est dire qu’il est le Tout Autre. Ce n’est pas fortuit que nous reprenions ces paroles d’Isaïe au moment où nous entrons dans la prière eucharistique en chantant le Sanctus.
La crainte est aussi la prise de conscience de la disproportion entre ce que nous pouvons faire et ce que Dieu a fait. Saint Paul en parle très bien :
« C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos actes, il n’y a pas à en tirer orgueil. » (Ep 2, 9-10)
Dieu se fait proche lorsque nous acceptons de ne pas mettre la main sur lui. D’ordinaire, dans la Bible, il y a toujours cette parole de la part de Dieu : « ne crains pas »… Pour Isaïe, la parole n’est pas dite mais elle est remplacée par un geste très suggestif : un des séraphins, un de ceux qui, justement, proclament la sainteté de Dieu, va accomplir le geste qui purifie l’homme, qui comble le fossé, qui permet à l’homme d’entrer en relation avec Dieu :
« L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche… »
Manière de dire que c’est Dieu qui prend l’initiative de se faire proche de l’homme ; ce fossé qui nous sépare de Dieu, c’est Dieu lui-même qui le comble.
La crainte de Dieu est un don de l’Esprit Saint que nous invoquons lorsque nous chantons le Veni Creator" Cela nous met dans une attitude juste à l’égard de Dieu et va de pair avec le don de piété qui nous donne de percevoir la proximité de Dieu.
Saint Paul, écrivant à Timothée, laisse à son tour éclater sa reconnaissance, tout en dévoilant la pédagogie divine à l’œuvre dans ces interventions :
« Le Christ Jésus m’a pardonné pour que je sois le premier, en qui toute sa générosité se manifesterait » 1 Tm 1, 16)
Lorsque Thérèse de Lisieux découvre la petite voie en interrogeant la Parole de Dieu, elle s’écrie elle-aussi :
« Ô mon Dieu, vous avez dépassé mon attente et moi je veux chanter vos miséricordes. »
Vocation
L’expérience de Dieu, incontournable pour la vocation
L’expérience de Dieu qui nous dépasse infiniment est fondatrice pour s’engager dans une vocation. Cela peut se passer dans la prière comme Isaïe, à la vue d’un signe comme saint Pierre dans l’Évangile, mais aussi de manière totalement imprévue comme saint Paul sur le chemin de Damas. La vocation suppose une rencontre particulière avec Dieu.
La crainte de Dieu, fondatrice pour la vocation
On peut faire un lien entre la crainte de Dieu et la vocation. Dans la vocation, on se dit : « qui suis-je pour être appelé ? ». On se sent indigne comme saint Paul. La vocation ne se situe pas dans un simple prolongement de la nature. La générosité ne suffit pas pour avoir la vocation ; la vocation se fonde sur un appel de Dieu. La vocation ne consiste pas d’abord à offrir notre générosité au bon Dieu pour en quelque sorte venir à sa rescousse.
Paradoxalement, c’est au moment où saint Pierre dit à Jésus « éloigne-toi de moi » que Jésus l’appelle. A Pierre qu’il vient de rassurer, le Seigneur Jésus précise :
« Désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
L’initiative vient toujours de Dieu même si certaines fois, il commence par nous faire éprouver un besoin de sorte que nous puissions dire comme Isaïe : « envoie-moi ». Quelle délicatesse de Dieu qui respecte notre liberté :
« J’entendis la voix du Seigneur qui disait : ’Qui enverrai-je ? Qui sera notre messager ?’ Et j’ai répondu : ’Me voici : envoie-moi !’ »
Quelque part, notre vocation doit toujours nous surprendre. Nous nous rendons compte alors de notre chance immense d’être choisis par Dieu. Désormais, ils savent à la fois que cette mission les dépasse complètement mais aussi que la grâce de Dieu ne leur fera pas défaut :
« Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Cultiver la crainte, la « différence de potentiel »
Il s’agit d’entretenir cet émerveillement et cette crainte. Une image peut nous aider à percevoir la nécessité de cette crainte, c’est la différence de potentiel qui est requise entre deux bornes pour qu’il y ait de l’électricité. Sans cette différence de potentiel, pas d’énergie. Sans la conscience vive de notre distance de Dieu, pas d’énergie dans notre vie spirituelle. Cela devient le calme plat.
Nous sommes invités à cultiver en quelque sorte cette différence de potentiel dans la prière. Car pour saint Pierre, son expérience de Dieu lors de cette pêche est fondatrice mais elle n’est pas définitive. Il y aura d’autres moments délicats. On peut penser à l’annonce de la passion et de la mort de Jésus ; à ce moment déterminant à la fin du discours du Pain de vie dans l’évangile de saint Jean :
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6)
Au moment de la passion où Pierre renie ; et même bien plus tard dans cet épisode du Quo Vadis que la tradition rapporte.
Conclusion
Revenons au point de départ : si Pierre n’avait pas fait cette démarche de foi, cet Evangile s’arrêterait au verset 4. Mais heureusement sa foi a permis la suite. Il y a au moins 3 fruits : tous ces poissons qu’il attrape ; une connaissance plus profonde de Jésus car il l’appelle « Seigneur » (mieux encore que les poissons, Pierre découvre plus profondément qui est Jésus) ; Enfin Pierre reçoit une lumière sur sa vocation :
« Désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Demandons à la Vierge Marie de nous aider à poser des actes de foi. Cela nous ouvre tellement d’horizons dans notre vie !
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 6,1-2a.3-8.
- Psaume 138(137),1-2a.2bc-3.4-5.7c-8.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 12,31.13,1-13.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 5,1-11 :
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon.
Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.