Texte de l’homélie
Lorsque l’on commente un passage de l’Évangile, il est toujours bon de le resituer dans son contexte. Nous sommes au début du ministère de Jésus, Lui qui a passé la nuit en prière, qui a choisi et qui les enseigne. Avec ce passage que l’on appelle le discours sur la montagne, ou encore le texte des Béatitudes, nous sommes dans une formation pédagogique.
Deux évangiles différents nous rapportent ce discours sur la montagne : chez Saint Matthieu, il s’agit d’une série de neuf béatitudes, alors que chez Saint Luc –que nous venons de lire – nous avons entendu quatre béatitudes et quatre malédictions.
Bien souvent les prédicateurs insistent davantage sur les béatitudes, sans doutes par malaise avec les malédictions. En effet, notre mentalité contemporaine n’aime pas trop maudire, la malédiction associée au Christ n’est pas tellement intuitive. Et c’est justement sur ces quatre malédictions que j’aimerais méditer avec vous.
Comment faut-il comprendre les malédictions de l’évangile de Saint Luc ?
Tout d’abord, il faut remarquer qu’il n’y a pas que dans ce passage des béatitudes que le Christ prononce des malédictions. Par exemple, vous vous rappelez sans doutes de ce passage lorsqu’Il s’adresse aux Pharisiens :
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous fermez à clef le royaume des cieux devant les hommes. Vous-mêmes, en effet, n’y entrez pas, et vous ne laissez pas entrer ceux qui veulent entrer ! »
Il faut cependant comprendre la malédiction comme étant une parole de vie, et non pas une parole de mort. Pour prendre un exemple contemporain, imaginons quelqu’un qui roulerait à 130 km/h sur une route départementale, la Bible en dirait en langage rabbinique : « Malheur à toi qui roules sur ne route départementale à 130 km/h, tu mourras ! »
Si la personne sur la route entend la malédiction 10 km avant un obstacle, elle va ralentir. Mais si elle continue d’agir de la sorte, ce sera forcément l’accident !
Au fond, à travers une malédiction, le Seigneur met en garde et dénonce des attitudes et des manières de procéder mortifères. « Attention, si tu continues d’agir de la sorte, ce sera le crash dans ta vie personnelle, pour ta vie de couple, pour ta vie professionnelle ou spirituelle… »
Parfois, nous recevons des avertissements intérieurs que nous ne sommes pas dans le bon chemin, mais il y a une forme de surdité. C’est ce que l’on appelle les motions du Saint-Esprit : il y a en nous comme des warnings qui s’allument et qui signalent ce qui n’est pas en place. Mais il y a cette sorte de fermeture que les quatre malédictions dénoncent comme étant quatre surdités, quatre manières mortifères de procéder.
Et en dénonçant ces processus de mort, le Seigneur invite à choisir la vie.
Vous le savez, en Hébreu le mot « parole » se dit dabar qui signifie aussi « événement ». C’est donc dans ce sens là qu’il faut les comprendre : si je n’écoute pas ces voix intérieures, si je néglige ces événements qui surgissent comme des avertissements, je risque de rester sourd et ne pas accepter que le Seigneur me parle pour essayer de me détourner d’une attitude mortifère pour choisir la vie.
En quoi les malédictions prononcées par Jésus dans le discours sur la montagne dénoncent-elles des attitudes mortifères ?
« Malheur à vous, les riches… »
Il ne s’agit pas de dénoncer des personnes qui sont riches car Jésus avait des amis riches mais plutôt de dénoncer l’argent comme une idolâtrie. Cela signifie que l’on ne voit que par rapport à ce prisme, on ne laisse pas une place ouverte par rapport à d’autres réalités qui nous permettraient d’accueillir le réel et d’accueillir Dieu dans son réel, on ne voit plus que par le prisme de l’argent…
« Malheur à vous quand on dit du bien de vous … »
A travers ça, le Seigneur nous dit :
Ouvrez-vous à une autre réalité, à autre chose. Et même si on vous critique – ce qui peut arriver lorsqu’on est un disciple de Jésus - cela peut vous ouvrir le cœur car vous accepterez qu’il y a des personnes qui ne pensent pas du bien de vous. Et le fait qu’il y ait des personnes qui ne pensent pas du bien de nous nous permet de rester dans une certaine humilité. »
En effet, ces autre malédiction reprennent chacune une forme de toute puissance.
« Malheur à vous qui êtes repus, vous aurez faim… »
Ces quatre formes de malédictions dénoncent des manques d’accueil de l’altérité, que l’autre soit autre que moi, que je laisse une place pour quelque chose qui n’est pas satisfait. L’autre n’a pas à me combler, les choses matérielles n’ont pas à me combler. De même, la nourriture n’a pas à me combler : remplir toutes les interstices de désir que je peux avoir est mortifère.
Et en même temps il est intéressant de voir que les quatre béatitudes et les quatre malédictions sont symétriques : la première béatitude et la première malédiction est au présent, et à chaque fois elles abordent la question de l’argent, de la faim, des pleurs et du regard des autres. Cette symétrie est utilisée par le Seigneur pour renforcer sa pédagogie. On est au début du ministère de Jésus et Il enseigne Ses apôtres. Il leur dit d’être attentifs car en regard d’une béatitude, il y a une malédiction, que lorsque l’on contemple une béatitude, il y a une mise en garde en creux qui nous est lancée, de manière à ce que l’on puisse changer de direction si on en a prise une mauvaise, évitant ainsi d’être prisonnier d’un certain aveuglement et d’une certaine surdité. _Cet aveuglement intérieur nous empêche d’accepter la mise en garde qui nous est faite de la part du Seigneur, renforçant une attitude d’enfermement sur nous-mêmes.
Il est intéressant de découvrir cette pédagogie que le Seigneur donne à Ses disciples. Il nous la délivre de façon différente car Il nous invite ainsi à l’humilité, à se laisser questionner dans notre manière d’agir, à accueillir la limite comme une invitation à un au-delà, à un ailleurs et à une communion.
Et dans l’Eucharistie que nous célébrons, nous sommes au cœur même d’une pédagogie. Dans la manière que Jésus a de Se rendre présent à travers la fragilité de l’hostie, nous découvrons la manière dont nous-même nous avons à nous comporter face au réel : accueillir le réel, être à l’écoute du réel.
Vous le savez, le premier commandement est celui d’écouter :
« Écoute Israël, le Seigneur est ton Dieu, le Seigneur est un. »
Le premier commandement est le fait d’écouter. Et la surdité, le non-accueil du réel, l’enfermement sur soi, c’est l’autre nom du péché.
C’est ainsi que la malédiction est source de vie, c’est une parole qui appelle à vivre.
Le pire n’est pas la malédiction, c’est l’absence de parole. « Diction » est de la famille de « parole » signifie que le Seigneur nous dit quelque chose. L’absence de parole c’est certainement ce qui est le plus mortifère. Je vous renvoie à Caïn et Abel : Caïn qui entraîne son frère à l’extérieur et l’emmène aux champs, se précipite sur lui et le tue, sans aucune parole. L’absence de parole est une certaine forme de violence.
La malédiction étant une parole qui met en garde, elle a le pouvoir de faire descendre la violence, elle permet de détendre la relation, qu’elle soit une mise en garde ou une correction fraternelle. C’est même vrai dans le couple, car nous avons tous un angle mort dans notre manière d’agir, il y a une forme de surdité en chacun de nous, car c’est ce qui caractérise le péché originel, et cela a des conséquences dans les relations avec nos proches.
C’est pour cela que l’on commence la célébration eucharistique par l’écoute de la parole de Dieu. Et il est intéressante de voir que la malédiction qui est parole aide à faire baisser la violence, elle permet une communion, une écoute de l’autre et du réel.
Puissions-nous être attentifs dans notre manière d’agir comme disciple de Jésus à choisir la Vie et à nous laisser interpeller par les béatitudes et les malédictions que nous venons d‘entendre,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Jérémie 17,5-8.
- Psaume 1,1-2.3.4.6.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,12.16-20.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,17.20-26 :
Jésus descendit de la montagne avec eux et s’arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon.
Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara :
« Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous.
Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés.
Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.
Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme.
Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation !
Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim !
Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez !
Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous !
C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »