Texte de l’homélie :
Les plus grandes choses se passent au moment du sommeil
Les plus grandes choses dans la Bible se passent au moment du sommeil. En effet, c’est intéressant de voir que dans la première lecture par exemple, c’est Abraham qui reçoit une alliance avec le Seigneur alors que lui-même dort.
« Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux s’empara d’Abraham.
Une sombre et profonde frayeur le saisit. »
Et c’est là que le Seigneur passe comme un brasier fumant au milieu des animaux disposés pour le sacrifice, signe de cette Alliance que le Seigneur scelle avec Abraham.
Mais il y a aussi un autre sommeil au tout début de la Bible : le sommeil d’Adam. Adam qui découvre qu’il est fait aussi pour l’alliance lorsque Ève, son épouse, est tirée de son côté.
Il y a aussi un sommeil dans l’évangile que nous venons d’entendre. Quand Pierre est endormi et qu’il se réveille, surpris de frayeur. Et, lorsqu’on analyse les textes dans leur contexte original, c’est le même mot dont il s’agit pour désigner le sommeil de Pierre, celui d’Adam et celui d’Abraham. Pierre est pris de frayeur : il était endormi et il voit Jésus resplendissant.
Nous pouvons rajouter un autre exemple de sommeil : Jésus qui s’endort sur la Croix. Les auteurs spirituels parlent du « sommeil de la mort », au lieu de dire « mourir sur la croix »….
C’est à ce moment-là que se passe la grande victoire de l’Amour avec la Résurrection. Les plus grandes choses se passent au moment du sommeil, sans compter tous les songes, et il y aurait là aussi beaucoup à dire…
Mon propos n’est pas de vous inviter à prolonger votre nuit, même si pour certains elle a été un peu courte ! Même si l’homélie est parfois une invitation à une certaine somnolence… J’espère que ce ne sera pas le cas, ou plutôt, j’espère que Dieu parlera avec puissance lors de cette méditation. Non pas par ma bouche, mais parce qu’il parlera à votre cœur… ! Car, comme le dit le psaume :
« Dieu bénit son bien-aimé quand il dort. »
Cela veut dire que les plus grandes choses dans notre vie nous échappent. Cela dépasse notre entendement, nous n’en avons pas la conscience.
Au moment même ou nous ne maîtrisons pas le cours de notre existence
En effet, dans le sommeil, il y a un abandon de nous-mêmes, on se remet dans une attitude de disponibilité, de vulnérabilité. On dit : « Ne réveille jamais celui qui dort », parce qu’il y a quelque chose de mystérieux : cette personne qui dort est complètement vulnérable, elle n’est pas sur sa défensive, n’est pas en train de calculer pour savoir si les difficultés viennent de droite ou de gauche. Elle est abandonnée, dans cette attitude de disponibilité, d’offrande, d’accueil. Elle refait ses forces.
Je trouve beau que les plus grandes choses dans la Bible se passent quand l’homme ne peut plus rien, c’est à dire dans le sommeil. Alors que le monde nous pousse au contraire à l’activisme, même en matière spirituelle, en matière d’évangélisation, de transmission de l’évangile : on est beaucoup poussés à nous renouveler par la Nouvelle Évangélisation, dans ses méthodes, on essaie de développer - et c’est normal, je crois qu’il faut le faire.
Nous aussi, en communauté, nous faisons des tas de propositions pour toucher le cœur des jeunes, puisque c’est notre vocation de serviteurs de Jésus et de Marie d’évangéliser les jeunes, d’éduquer la foi des jeunes.
Mais c’est beau de voir qu’au fond, le Monde est d’abord dans la main de Dieu. C’est bien de se le redire. Il ne dépend pas de nos plans pastoraux, de notre capacité d’initiative, de notre imagination, de notre créativité, de notre quantité de travail.
Dieu est à l’œuvre
Lorsqu’on accompagne quelqu’un au plan spirituel, on est surpris, comme simples témoins, de l’œuvre de Dieu dans la personne. Dieu est à l’œuvre, comme une graine qui est plantée, dit le Seigneur. Que l’homme soit éveillé ou endormi, la graine fera son chemin, et ensuite se transformera en arbre.
Oui, ayons assez de foi pour découvrir le Royaume de Dieu à la manière de cette graine plantée, ce royaume de Dieu qui progresse, parce que les temps sont toujours des temps favorables. Les temps que nous habitons sont toujours ceux de l’intervention de Dieu. Et Dieu intervient dans notre histoire, nous le croyons aussi avec la tradition de la première Alliance des juifs : nous croyons à un dieu qui intervient dans l’Histoire.
« La grâce de Dieu précède notre action. »
Ce n’est pas l’occasion ou la justification d’être paresseux. Non, c’est simplement ne pas tomber dans cette course en avant, dont nous ne sommes pas exempts, nous comme Église. Dans cette course en avant du « toujours plus » de faire, de croire que j’existe parce que je fais, parce que « y’a du nombre ».
N’ayons pas peur d’être peu nombreux
Y’a du nombre, je suis content, y’a du nombre en face de moi, autour de moi. Et d’abord ceux qui ne sont pas venus, c’est bien de leur faire mémoire.
J’aime bien la réflexion de Jean-Paul II, face à un cardinal, lors des JMJ de Rome, avec une multitude de jeunes devant lui. Le cardinal, voulant faire un compliment, se réjouissant :
— « Avez-vous vu le nombre, très Saint-Père ? »
— Et lui de répondre : « Ce n’est pas le nombre, c’est le signe qui importe ».
Oui, il est important, parfois, de faire nombre pour nous soutenir, pour voir qu’on n’est pas tous seuls - vous jeunes, dans vos collèges, dans vos aumôneries, vous êtes bien souvent seuls croyants, seuls pratiquants, et c’est bien de vous réunir. Mais rappelez-vous que vous êtes d’abord signes, et le signe est toujours peu nombreux, pour que, justement, ce soit Dieu qui agisse. Il est signe d’un autre. sa valeur n’est pas en lui-même, il est signe de celui qui travaille la terre et le cœur de l’homme à la manière d’un ferment.
Rappelons-nous cela, frères et sœurs bien-aimés, dans une société où il ne reste pas beaucoup de place pour la vie contemplative, c’est-à-dire la vie où l’on apprend l’émerveillement. On s’émerveille face à la Création, face au visage de l’autre, face aux réalisations humaines quand elles correspondent au bien commun, face à l’œuvre de Dieu. Il n’y a plus beaucoup de place pour une certaine vie cachée. Dans cette société qui gave plus qu’elle ne nourrit, nous voyons bien une grande peur de l’agenda vide : il faut faire quelque chose, il faut que ce soit occupé.
Et c’est important dans l’éducation, par exemple que l’enfant s’ennuie, parce que de l’ennui va naître une initiative, un jeu, une créativité. Alors que s’il est gavé toujours de choses à faire, avec son petit écran en face de lui et ses pouces qui s’agitent à toute vitesse, où est la créativité ?
L**a nécessité de la contemplation…
Il y a besoin d’une dimension contemplative dans nos vies. Une dimension où l’on est simplement chez soi, on habite son lieu, sa chambre, sa maison : on est en présence de Dieu.
Et cela rejoint un deuxième point dans la vie contemplative : c’est la dimension de la prière qui a à voir avec le sommeil. Non pas que j’invite ceux qui sont dans la prière à somnoler - même si lorsque nous, les frères, nous sommes à l’oraison à 7h30 du matin, on peut douter de cette fragile limite entre sommeil et prière - mais la prière, comme le sommeil, laisse à Dieu l’initiative. C’est cela qui est difficile dans la prière, qui m’est difficile comme religieux dans la prière. Parce que ce n’est pas moi qui ai l’initiative.
Là, j’ai l’initiative de vous parler, de rencontrer des jeunes, j’ai l’initiative tout au long de ma journée. Mais quand je suis dans la prière, c’est le Saint-Esprit qui a l’initiative de la rencontre. Ce n’est pas à force de techniques de respiration, comme on peut entendre par-ci par-là, on se met dans un état de respiration, comme si c’était le fruit d’une technique. Non. La rencontre est d’abord une grâce. C’est gratuit. Le signe de la grâce, c’est que c’est gratuit. Tu n’as aucun mérite.
Le fait que le Seigneur se donne sur l’autel en sacrifice et que ce soit le Corps et le Sang du Christ qui soient là, présents sur l’autel, ce n’est pas le fruit de notre mérite, ni du mérite du prêtre. Comme dit le curé d’Ars :
« Ce peut être le dernier des prêtres, quand il consacre au nom de son ordination, le Seigneur lui obéit. Il y a une grâce. »
… et de la gratuité
On n’est plus habitué au rythme de la Grâce, aux choses gratuites. Nous sommes dans une société de plus en plus marchande. Dans sa dernière encyclique, texte si solennel, Benoît XVI parle de la réalité économique, c’est une encyclique sociale. Il dit une chose assez étonnante :
« Dans notre monde, qui est fait d’échanges et de marchandages, d’échanges d’argent, il faut qu’il y aie une place pour la gratuité à l’intérieur même de cette société marchande. »
Parce qu’il faut qu’il y ait une place pour la Grâce, car la grâce laisse la place au plus pauvre, à celui qui ne peut pas rentrer dans cet activisme. Parce qu’on voit bien que le train dans lequel on va, c’est le train des forts, de ceux qui ont la santé, l’intelligence, la formation, le pep’s, le dynamisme, le train des winners… Et tous les autres ? Et tous les autres, ils restent sur le quai ??
On ne peut pas vivre dans une société comme ça. Dans la grâce, tous sont appelés. Parce que ce n’est pas proportionnel à mon action. C’est le principe de la grâce.
Chers jeunes qui êtes là en retraite, vous pouvez demander des grâces au Seigneur dans cette messe. Soyez actifs par votre prière en suppliant des grâces. Lorsque vous viendrez communier au Corps du Christ, vous pouvez demander que Dieu agisse dans votre vie et dans la vie de ceux que vous aimez, et que vous portez dans votre prière et votre cœur.
Cela demande une révolution copernicienne. Vous savez que Copernic a dit :
Il faut comme un décentrement de nous-même. Il faut croire que c’est d’abord Dieu qui agit, et non pas nous qui agissons et Lui qui suivrait cahin-caha.
Oui, frères et sœurs, alors que nous voyons Jésus transfiguré par grâce - Il fait resplendir Sa divinité devant Pierre, Jacques et Jean, les apôtres les plus proches – pourquoi fait-il cela ? Pourquoi reçoit-on des grâces ? Pour aller témoigner après, pour soutenir notre intelligence, notre volonté, pour nous donner des forces. Mais parce que nous avons d’abord pris conscience qu’il y a une rencontre. Et les apôtres qui étaient là aux pieds de Jésus sur le Mont de la Transfiguration n’oublieront jamais ce moment. Et cela les aidera à suivre le Christ jusqu’au dernier moment.
Rentrons dans un autre rythme, qui est le rythme de Dieu. Laissons-Le agir dans notre vie. Peut-être une des résolutions de la retraite que vous faites pourrait être tout simplement :
« Seigneur, je veux que tu agisses dans ma vie, je veux te laisser faire. »
Alors vous verrez le Seigneur, peut-être pas transfiguré, parce que ce n’est pas l’habitude et que Dieu agit dans la Foi, mais vous verrez le Seigneur à l’œuvre en vous et autour de vous,
Amen.
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 15,5-12.17-18.
- Psaume 27(26),1.7-8.9abcd.13-14.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 3,17-21.4,1.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 9,28b-36 :
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.
Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus :
« Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent.
Et, de la nuée, une voix se fit entendre :
« Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! »Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.