Homélie du 7e dimanche du Temps Ordinaire

25 février 2025

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs, Jésus ne nous propose pas quelque chose de doucereux, très consensuel Il y va fort !

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. »

La barre est haute !
Pour commenter ce passage d’Évangile, je voudrais commencer par dire quelque chose sur l’ennemi. Ensuite j’aimerais mieux comprendre pourquoi Jésus nous demande une démarche aussi radicale. Et enfin comment s’y prendre pour vivre une telle parole d’Évangile : le sommet semble tellement haut ! Il faut sans doute quelques étapes pour nous lancer dans cette ascension.

Quels sont nos ennemis ?

La gamme des ennemis est très large. Il y a d’abord celui qui m’est hostile, qui me hait, me maudit, me calomnie, dit du mal de moi sur mon dos, qui me prend mes affaires et me frappe…

Mais, sans aller plus loin, il y a aussi toutes ces personnes vis-à-vis de qui nous avons du ressentiment, que l’on évite. Ce sont les gens dont on pense que la vie serait plus simple s’il n’étaient pas là ! Ils ne sont pas de notre côté mais dans le camp adverse !
Il y a toutes ces personnes avec qui la relation est difficile parce qu’ils viennent toucher quelque chose en nous qui nous fait réagir.
Il y a tous ces gens qui ne nous ont rien fait de mal mais dont la présence nous met mal à l’aise, nous dérange, voire nous insupporte.

Jésus nous invite clairement à ne pas suivre nos réactions instinctives, à ne pas nous laisser guider par nos impressions désagréables. On ne peut entrer dans la vie spirituelle tant qu’on ne veut pas aller plus loin que ces impressions, tant que l’on en reste prisonniers de nos réactions naturelles.

Un trait distinctif des disciples de Jésus

C’est tellement important que Jésus en fait un trait caractéristique de ses disciples. C’est ce qui nous identifie comme « fils du Très-Haut » (Lc 6, 35), les fils de notre Père qui est dans les cieux, nous distingue des païens :

« Car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » (Mt 5, 45)

C’est une ligne de démarcation claire entre « monsieur tout le monde » et le disciple de Jésus : Aimer ceux qui nous aiment, tout le monde peut le faire, les pécheurs aussi le font.

« Si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » (Mt 5, 47)

Les disciples de Jésus ont une manière caractéristique de lutter contre le mal

L’évangile de ce jour nous plonge dans la réalité. Comme le disait Benoît XVI :

« Pourquoi Jésus demande-t-il d’aimer ses ennemis, c’est-à-dire un amour qui dépasse les capacités humaines ? En réalité, la proposition du Christ est réaliste car elle tient compte du fait que dans le monde il existe trop de violence, trop d’injustice, et que par conséquent on ne peut dépasser cette situation qu’en lui opposant un plus d’amour, un plus de bonté. Ce ‘plus’ vient de Dieu : c’est sa miséricorde, qui s’est faite chair en Jésus, et qui seule peut ‘déséquilibrer’ le monde du mal vers le bien, à partir de ce monde petit et décisif qu’est le cœur de l’homme. » (18 février 2007)

Accepter de vivre l’évangile de ce jour nous fait basculer dans le monde surnaturel, un monde de miséricorde, de non-jugement, de pardon. La vie chrétienne, la vie à la suite de Jésus, consiste précisément à prendre les moyens de Jésus pour lutter contre le mal, pas les moyens que nous suggère notre nature blessée. Il s’agit de prendre sur soi, un peu comme Jésus a pris sur lui nos péchés.
C’est contre-intuitif car nous avons l’impression de nous faire avoir.

Dès l’ancien Testament, la Parole de Dieu nous montre cette attitude. La première lecture (1S 26) nous montre la belle attitude de David à l’égard de Saül. D’ailleurs Saül, dans ses moments de lucidité sait le reconnaître :

« Tu es plus juste que moi ; car tu m’as fait du bien, et moi je t’ai fait du mal. » (1 S 24, 17)

On peut penser aussi à l’admirable histoire de Joseph dans la Genèse (Gn 37-42). Déjà dans l’Exode, c’est l’attitude que Dieu demande à son peuple :

« Quand tu rencontreras, égaré, le bœuf ou l’âne de ton ennemi, tu devras le lui ramener. Si tu vois l’âne de celui qui te déteste crouler sous la charge, tu ne le laisseras pas à l’abandon mais tu lui viendras en aide. » (Dt 23, 4-5)

La caractéristique du disciple de Jésus, c’est son attitude dans l’adversité. Soyez vainqueurs du mal par le bien. Les apôtres Pierre et Paul sont bien d’accord. Voici ce que dit Saint Paul :

« Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien. » (Rm 12, 21)

Et saint Pierre :

« Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l’insulte pour l’insulte ; au contraire, invoquez sur les autres la bénédiction, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin de recevoir en héritage cette bénédiction. » (1P 3, 9)

Cela suppose de croire vraiment que Dieu s’occupe de nous

Il y a pléthore d’apophtegmes des Pères de l’Église à ce sujet. Par exemple :

« Un jour, un frère vint voir un ancien et lui dit : ‘Abba, un frère m’a fait du tort, et je veux me venger.’ L’ancien lui répondit : ‘Prions ensemble.’
Ils se mirent à prier, et l’ancien dit : ‘Seigneur, nous n’avons plus besoin de Toi, car nous nous chargeons nous-mêmes de rendre justice’
En entendant ces paroles, le frère tomba aux pieds de l’ancien et pleura, disant : ‘Pardonne-moi, Abba, je ne veux plus me venger !’ »

Aimer ses ennemis suppose de remettre vraiment sa vie entre les mains de Dieu, d’avoir foi en son amour pour nous. Cela implique de vivre avec Dieu.
Le fait de savoir que notre vie est dans la main de Dieu nous aide à marcher sur un fil sachant qu’il y a un filet en dessous. On ne prend pas le beau risque d’aimer si on a trop peur de se perdre pour toujours. Cela suppose aussi la foi en un au-delà.

Jésus nous donne deux motivations, l’une positive et l’autre négative…

D’un côté, Jésus nous annonce une récompense pour nos actes bons ; d’un autre côté, nous pourrons bénéficier d’une grande indulgence pour nos actes mauvais.

La motivation positive :

« Votre récompense sera grande et vous serez les fils du Dieu très-haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. »

Vivre l’amour des ennemis nous introduit dans une intimité particulière avec Dieu. La merveille que découvrent ceux qui obéissent à l’idéal chrétien de douceur et de pardon, c’est la transformation profonde qui s’introduit en eux : parce qu’ils ont ouvert la porte à l’Esprit de Dieu, celui-ci les habite et les inspire de plus en plus ; et, peu à peu, ils voient s’accomplir en eux la promesse formulée par le prophète Ézéchiel :

« Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. » (Ez 36, 27)

La motivation négative :

« La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous. »

Le fait d’avoir été bon avec les autres invite Dieu à être bon avec nous. La miséricorde est une manière de racheter nos fautes.

Une vraie récompense nous est donnée :

« Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. » (Lc 6)

Un Apophtegme des Pères de l’Église l’illustre bien :

« Un frère vivant dans un monastère menait une vie relâchée, mais il ne jugeait jamais personne.
À sa mort, les frères virent son âme enlevée par les anges et furent troublés.
Ils dirent à un ancien : ‘Comment se fait-il que Dieu l’ait accueilli alors qu’il n’était pas un modèle ?’
L’ancien répondit : ‘Il n’a jamais jugé personne. Dieu lui a appliqué la même mesure : Il ne l’a pas jugé non plus’. »

Il va de soi que ce n’est pas une invitation à avoir une vie relâchée mais à être particulièrement attentif à ne pas juger les autres.

Les différentes étapes ; comment faire ?

Cela peut nous sembler à juste titre un tel sommet que nous voudrions fractionner un peu le parcours. En suivant l’évangile du jour, je vous propose de fractionner en quatre cette marche trop haute.

Il est intéressant de voir les différents verbes utilisés dans ce passage d’évangile :

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. »

Jésus commence par ce qui est le plus exigeant. Nous pouvons prendre la gradation dans le sens inverse pour parvenir à aimer nos ennemis : d’abord prier pour eux ; puis leur souhaiter du bien ; puis non seulement leur souhaiter mais leur faire du bien. Pour finalement les aimer.

Prendre de la hauteur dans la prière

La prière, regarder vers Dieu, nous aide à nous dé-focaliser de ce qui nous blesse. On se décolle de la situation ; on arrête d’être obnubilé par le mal.
Cette première phase peut être une certaine prise de distance. Il est intéressant de voir ce que fait Jésus à la nouvelle de la mort de Jean-Baptiste :

« A cette nouvelle, Jésus partit de là dans une barque, pour se retirer à l’écart dans un lieu désert. » (Mt 14, 13)

L’Ecclésiaste dit :

« Au jour du malheur, réfléchis. » (Ecclésiaste 7, 14)

Dans le Psaume 72 (73), il est intéressant de voir l’attitude de celui qui est confronté à l’injustice :

« Moi, je suis toujours avec toi, avec toi qui as saisi ma main droite. » (23)

Il prend en quelque sorte refuge auprès de Dieu pour voir la situation plus paisiblement.

Lorsqu’on est blessé par quelqu’un, la première réaction naturelle est souvent la colère, le ressentiment ou la tristesse. Mais la prière permet de déposer cette souffrance devant Dieu et d’ouvrir notre cœur à une autre perspective.
Les Pères du désert disent que lorsqu’on prie pour quelqu’un qui nous fait du mal, c’est notre propre cœur qui est purifié en premier. Contempler Jésus nous aide à sortir de l’enfermement de la haine, du ressentiment.

« Le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. » (1 P 2, 21)

On peut faire une liste des choses positives. Il faut arrêter les griefs qui nous confirment dans notre ressentiment. Quand une liste de griefs est très longue, cela montre que cela a beaucoup mouliné dans la tête pour confirmer la rancœur. C’est très mauvais signe.

Souhaiter du bien

Cela suppose déjà d’arrêter de souhaiter du mal, de vouloir se venger. Mais cela va beaucoup plus loin. On se met du côté du bien. Même si pour l’instant, cela reste au niveau du souhait.

Pourquoi souhaiter du bien à cette personne ? Un regard de foi nous montre que Dieu aime cette personne ; Jésus a livré sa vie pour elle ; il désire qu’elle aille au paradis.
C’est tout un travail sur nos pensées ; il s’agit d’avoir des pensées de bénédiction plutôt que de malédiction :

« Invoquez sur les autres la bénédiction, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin de recevoir en héritage cette bénédiction. » (1 P 3, 9)

Cela a un effet rétroactif :

« En entrant dans la maison, saluez ceux qui l’habitent. Si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle. Si elle n’en est pas digne, que votre paix retourne vers vous. » (Mt 10)

Souhaiter du bien aux autre attire sur nous la bénédiction de Dieu !

Faire le bien

Il s’agit de poser des actes concrets. Faire le bien peut rester encore un peu extérieur. Cela peut être encore un peu à contrecœur. Mais ce n’est pas de l’hypocrisie. C’est un pas encore important. Il est toujours important de ne pas rester enfermé dans sa tête.

Faire du bien, cela peut être un sourire, une parole de paix un service rendu sans attendre de retour.
Une simple parole peut faire beaucoup de bien. Nous savons bien la marche énorme qu’il y a entre le fait de penser du bien de quelqu’un et de le lui dire.

« Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire : en agissant ainsi, tu entasseras sur sa tête des charbons ardents. 21 Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. » (Rm 12)

Cela reprend un proverbe :

« Si ton ennemi a faim, donne-lui du pain à manger ; s’il a soif, donne-lui de l’eau à boire ; 22 ce sont des braises que tu places sur sa tête, et le Seigneur te le rendra. » (Pr 25)

Aimer l’autre

Il ne s’agit pas d’un amour affectif, mais de vouloir sincèrement le salut et le bonheur de l’autre. L’amour ici n’est pas un sentiment naturel, mais une décision spirituelle qui découle des étapes précédentes.
Quand on arrive à cette étape, on est libre intérieurement, car on ne laisse plus la haine ou la rancune nous enfermer.

L’amour effectif est vraiment une grâce qui nous est donnée. Cela nous distingue vraiment des païens :

« Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. » (Lc 6, 32)

Le témoignage de nombreux saints peut nous aider.

Chers frères et sœurs, j’espère ne pas avoir trop intellectualisé les choses. En effet, c’est un évangile que l’on comprendra en le vivant ! Maintenant, je vous propose donc deux minutes de silence pour que vous puissiez identifier un ennemi (mortel ou véniel !) puis de voir où vous en êtes de ces pas à son égard : prier, vouloir du bien, faire du bien, aimer.

Que la Vierge Marie vous aide dans cette démarche,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Premier livre de Samuel 26,2.7-9.12-13.22-23.
  • Psaume 103(102),1-2.3-4.8.10.12-13.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,45-49.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,27-38 :

En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.
Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »