Texte de l’homélie :
Le thème de ce dimanche, avec les lectures, c’est l’humilité.
Et l’écriture nous indique que l’humilité est le secret de Dieu, le secret des amis de Dieu, le secret de l’équilibre, bien sûr dont le plus important c’est l’amour, mais que serait un amour qui n’est pas un humble ? Ce serait simplement domination, comme l’envisageait Jean-Paul Sartre, en disant que l’amour est une autre manière de faire la guerre, d’inviter celui qui va être dominé, celui qui va prendre le pas.
Or, il en va tout autrement et, bien sûr, il faut que nous ayons une idée claire de ce qu’est l’humilité. Elle ne ressemble en rien à cette pusillanimité qui est tellement fréquente aujourd’hui chez les chrétiens, vous savez lorsqu’on vous propose de faire quelque chose, on répond non je ne suis pas capable, ça n’est pas possible, etc… ou qui est simplement dérobade.
La grâce de ne pas se regarder soi-même
L’humilité ce n’est absolument pas ça, c’est même-là plutôt une sorte d’orgueil inversé, parce que dans ce cas-là nous nous regardons. Or l’humilité c’est précisément la grâce de ne pas se regarder soi-même.
Vous avez bien Saint-Pierre, invité à marcher sur les eaux, au moment où il se regarde c’est fini, il coule. Mais s’il fixe les yeux sur Jésus, si son regard rencontre celui de Jésus, alors il marche et le Seigneur le soutient, lui fait accomplir d’ailleurs de grandes choses.
Car l’humilité n’est pas contraire aux grandes choses. La reine de l’humilité, la Vierge Marie, elle est dans l’église vraiment l’humble servante, la plus humble, la détentrice de la clé de l’humilité :
« Voici l’humble servante du Seigneur. »
Et pourtant dans le verset suivant, elle n’a pas peur de dire :
« Le Seigneur fit pour moi de grandes choses, toutes les générations me diront bienheureuse. »
Vous pensez sans doutes qu’elle ne manque pas d’air !
Accepter la vérité
Seulement c’est la vérité, car l’humilité, dont le mot vient de l’humus, la terre, cette terre qui est féconde, l’humus c’est la terre où il y a toutes les possibilités de germination, et bien l’humilité est simplement accepter la vérité.
La vérité de ce que nous sommes. Bien souvent c’est notre grande difficulté dans notre vie, dans notre vie de relation, dans notre vie avec nous-mêmes, dans notre vie avec Dieu. Souvent dans nos prières nous n’acceptons pas cette réalité et nous prions Dieu pour que ce soit autrement, suivant nos rêves, on invoque Dieu et on lui demande de faire le rôle de « Deus Ex machina », qui vient combler les trous qu’il y a dans le monde et faire marcher les choses qui ne marche pas pour que ce soit « suivant notre volonté ».
C’est peut-être l’image d’un Dieu tout-puissant qu’on veut s’imaginer et la tentation est grande d’ailleurs d’invoquer Dieu et cette force de Dieu qui va te rétablir, qui va mettre les choses dans l’ordre que nous avons inventé, que nous tirons selon notre lecture des Écritures, mais que nous voudrions que ce soit comme ça et du coup on n’a pas peur même d’invoquer la religion pour la violence, pour imposer notre pouvoir.
L’imitation de Dieu lui-même
Chez Dieu il en est de toute autre manière.
L’humilité est simplement une imitation, une suite de Dieu lui-même.
Vous vous souvenez cette hymne des Philippiens que l’on chante à l’office tous les samedis soir :
« Lui qui était de condition divine, égale à Dieu, il n’a pas saisi comme une proie le fait d’être Dieu, d’être égal à Dieu, mais il s’est dépouillé, il s’est anéanti lui-même en se faisant homme, serviteur, jusqu’à la mort, et la mort de la Croix. »
Il ne va pas aborder, lui le Dieu tout-puissant, et nous les hommes pêcheurs, de haut, nous commandant ce qu’il faut faire, il va nous inviter, nous relever, il va venir dans notre humanité, à côté de nous, à notre place, il va prendre sur nous le péché et nous inviter à grandir.
Dieu, j’allais dire, ne fait pas abstraction de notre faiblesse, du mal, des péchés qui sont en nous, mais il ne se laisse pas limiter par elles. Car notre réalité c’est celle de notre faiblesse, mais c’est celle aussi de la beauté de la création, du geste créateur dans lequel Dieu nous a fait naître et pour Dieu ça n’est pas aboli, et nous savons bien que si nous voulons vivre un peu de ce message de l’Évangile, de la charité, d’« aimez-vous les uns les autres », nous avons besoin de nous voir et de voir les autres non pas simplement avec nos blessures, avec nos péchés, avec le mal, mais aussi avec le poids de gloire, avec le dessin bienveillant dans lequel le Seigneur nous a appelé, qui est d’être comblé des bénédictions spirituelles, d’être des images de son Fils, de reproduire en nous cette vie et cette gloire du Fils.
Et dans les relations fraternelles, je vous le disais, nous sommes appelés à voir, à accueillir la présence de Dieu aussi dans l’autre. En nous aussi, sans se faire d’illusion sur ce que nous sommes.
C’est parce que nous sommes pécheurs qu’il est venu, qu’il nous a aimé, qu’il est venu à nous et pour nous relever.
Faire fructifier es dons que nous avons reçu de Dieu
Alors cette humilité elle demande d’accepter notre réalité et de découvrir aussi les dons que le Seigneur a faits à chacun d’entre nous pour que nous puissions les faire fructifier.
Vous savez bien cette humilité du Seigneur dans l’hymne des Philippiens que je vous citais tout à l’heure, à cause de cette anéantissement, à cause de ce dépouillement, à cause de ce fait de coller à notre réalité :
« C’est pourquoi Dieu l’a exalté au-dessus de tout nom. »
Ce « c’est pourquoi », c’est lui qui est important. Cette acceptation de notre condition à la fois de pécheur et comme dirait le pape François, de pécheur pardonné, de pécheur aimé, relevé par le Seigneur, nous ouvre des horizons absolument extraordinaires.
On voit comment cela fructifie dans la vie des saints qui peuvent porter du fruit et du fruit en abondance. Vous savez et bien que dans l’Évangile nous sommes tous appelés à porter, à notre mesure, suivant notre espèce comme le dirait le texte le de la Création, pour chaque créature vivante, que nous puissions porter un fruit infini, un fruit de gloire.
Cette humilité nous est montrée aussi ici dans le texte de l’Évangile de saint Luc avec cette histoire de place.
Je suis toujours quelque peu chagriné quand les gens viennent me voir et que dans les groupes les personnes se posent la question « quelle est ma place ? »
Quelle est ma place dans la famille, quelle est ma place dans mon couple, quelle est ma place dans ma communauté, quelle est ma place dans ma paroisse… en sentant que nous risquons souvent de vouloir, nous rêvons de prendre une place.
Mais qu’est-ce que le Seigneur indique ici ? Ça n’est pas seulement une question de politesse, une question de savoir-vivre comme l’avait déjà annoncé les livres de sagesse qui ont des passages à peu près similaire à celui-ci, mais ici chez Saint-Luc, c’est un passage qui parle des noces et quand on parle des noces, c’est tout de suite les noces du Royaume, les noces de l’Agneau, c’est-à-dire de notre entrée dans le Royaume.
Si nous voulons ravir notre place, la prendre, inventer le personnage dont nous rêvons et auquel nous devons accéder, nous ne sommes pas dans la logique du Seigneur car les dons du Seigneur nous nous les prenons pas, nous sommes appelés à les recevoir.
Vous vous souvenez de ce vieil adage :
« Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? »
Tout ce que nous sommes nous l’avons reçu. Il n’y a qu’une chose peut-être qui nous est propre, c’est notre péché, le mal que nous sommes capable de faire. Mais tout le reste, notre vie, notre tempérament, nous l’avons reçu, c’est sculpté bien sûr dans notre histoire, mais cela nous est donné, donné comme un don de Dieu.
Vous me direz oui mais ma vie, mais la vie de notre monde c’est le tohu-bohu, c’est le chaos, oui mais l’œuvre du Seigneur ce n’est pas de faire de nous des idoles, des belles sculptures, l’œuvre du Seigneur c’est de nous créer de nous recréer. Vous vous souvenez dans la Genèse, quand on parle du chaos originel, à l’Esprit Saint qui volette, qui plane au-dessus des eaux. En araméen il y a un verbe qui dit "il couve ». Il est porteur de la Parole de Dieu, qui vient de mettre de l’ordre pour faire une création belle et quand on parle de la création de l’homme et de la femme on dit même que c’est très beau, très bon.
Et notre vie, nous la recevons, on aimerait bien une autre vie, mais nous avons la nôtre.
Et si nous la recevons, nous recevons en même temps la grâce, le regard du Seigneur, ce regard d’espérance, ce regard de grâce, ce regard d’amour du Seigneur. Alors nous allons nous relever, le Seigneur va nous constituer
Petit à petit. C’est tout le rôle de notre vie intérieure, de notre vie spirituelle, du combat spirituel de notre vie, pour que nous nous laissions façonner, non pas suivant la logique du monde mais suivant la logique du Seigneur, qui nous appelle à partager sa grâce et sa gloire.
Faire la volonté de Dieu
Dans la deuxième petite parabole qui est donnée, on appelle ces petits récits des paraboles justement parce que ça parle du Royaume, on va au cœur de l’Évangile : quand tu donnes un dîner n’invite pas tes amis, ceux qui peuvent te rendre. Ce n’est pas une histoire, je vous le disais au début, de politesse. Invite ceux qui ne peuvent pas te rendre.
Avec cela on est au cœur de l’Évangile, au cœur de la catéchèse fondamentale de Jésus sur la montagne, qui s’ouvre par les Béatitudes, avec ce très beau texte qu’on a le mercredi des Cendres : "quand tu pries, quand tu jeûne, quand tu fais l’aumône".
Cela prend toute notre vie de relation : le jeûne la relation avec nous-mêmes, l’aumône la relation avec les autres, la prière la relation avec Dieu."Ne le fait pas suivant le regard des hommes", ne le fais pas pour la galerie, ne le fais pas pour te constituer une place, mais fais-le parce que en conscience tu sais que c’est bien de le faire.
C’est tout notre travail intérieur pour ne pas faire les choses en fonction du jugement des autres, en fonction des louanges ou des critiques des autres, mais le faire parce que c’est la volonté de Dieu, parce que c’est le désir de Dieu, c’est le désir de gloire du Seigneur pour nous.
Et bien quand tu donnes un déjeuner, une réception, un festin, n’invite pas tes amis mais invite les pauvres les estropiés, les boiteux, les aveugles. Ces quatre catégories de personnes sont traditionnellement dans la Bible les gens exclus, soit par leurs conditions de handicap, soit parce qu’ils sont mal pris dans la vie, les pauvres, c’est ceux qui sont exclus. Cela remonte à une vieille malédiction de David quand il a pris la ville de Jérusalem, les pauvres, les boiteux, les aveugles avaient été exclus du Temple, du coup de la communauté et même de la ville de Jérusalem à certains moments.
Le Seigneur dit « si tu donnes à ceux qui ne peuvent recevoir alors tu seras comme le Seigneur », alors tu seras bâtisseur du Royaume, alors tu seras avec un cœur « doux et humble » comme le dit la petit antienne de l’Alléluia, tu pourras vraiment partager, être acteur du Royaume.
Demandons au Seigneur, demandons à Marie, de grandir dans cette humilité, d’apprendre à recevoir le don de Dieu et à le faire grandir avec la grâce de Dieu, pour que nous puissions réaliser pleinement notre vie chrétienne, notre vie humaine.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Ecclésiastique 3,17-18.20.28-29.
- Psaume 68(67),4-5ac.6-7ab.10-11.
- Lettre aux Hébreux 12,18-19.22-24a.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 14,1.7-14 :
Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient.
Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit :
— « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi.
Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : “Cède-lui ta place” ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place.
Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : “Mon ami, avance plus haut”, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi.
En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé. »Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité :
« Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour.
Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »