Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Vous avez vu qu’en ce début de l’Avent, le prêtre change d’ornements et revêt la chasuble violette. C’est la même que celle qu’il revêt au moment du Carême car c’est le signe de la conversion. Pourtant, la symbolique du Carême diffère de celle de l’Avent. Dans l’Avent, il s’agit d’une conversion joyeuse car on attend l’Enfant qui vient dans la crèche, on attend le Seigneur qui vient à notre rencontre. Une grossesse est un moment joyeux !
D’une autre façon, la question de la joie habite aussi toute période du Carême.
Mais, la conversion de l’Avent a ceci de particulier qu’elle nous fait vivre le « déjà » et le « pas encore ». Cela signifie qu’il y a une tension dans la vie chrétienne : le Royaume de Dieu est déjà là, il est déjà au milieu de nous. Selon les mots de Jean Le Baptiste :
« Vous n’avez pas reconnu celui qui est au milieu de vous… »
Mais nous sommes aussi dans la période où nous ne sommes pas encore dans la plénitude du Royaume. Nous souhaiterions qu’elle soit déjà effective dans notre vie présente, tant notre monde est bouleversé et malade. Nous vivons donc dans le « pas encore », et Jésus l’exprimait ainsi :
« Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde. »
Et l’on voit cette tension à l’intérieure même du passage d’Évangile que nous venons d’écouter. Il y a d’abord le rappel historique, avec cette question assez importante de situer à quel moment se situe le ministère de Jean-Baptiste. Il y a aussi l’avenir qui y est évoqué :
« Les montagnes seront abaissées, les ravins seront comblés, les chemins rocailleux seront aplanis… »
Dans la ministère de Jean Baptiste, il y a aussi cette tension entre les deux. Vous le savez, il a été mis en prison après avoir dénoncé l’attitude d’Hérode et il y a eu un moment d’incertitude.
Vous rappelez-vous aussi de ce moment où il envoie des messagers à Jésus pour Lui demander :
« Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »
Il y a aussi quelque chose de tourmenté dans le vie de Jean-Baptiste : on suppose qu’il fait partie des Esséniens, cette communauté radicale dans sa manière d’agir établie à cette époque, on le retrouve dans ses paroles :
« Voici que la cognée est à la racine des arbres. Convertissez-vous ou vous périrez tous ! »
Il y a ce côté très prophétique : on voit bien que Jean-Baptiste est une charnière entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Et on le sait bien, dans un porte, la charnière souffre car c’est elle qui supporte tout le poids et la tension. Il est le dernier prophète de l’Ancien Testament, et de notre côté, comme c’est Lui qui annonce le Christ, il nous fait passer dans la nouvelle alliance.
Ce fait d’être la charnière, d’être entre le « déjà » et le « pas encore », Jean-Baptiste l’a vécu dans sa propre vie, dans sa chair, avec des moments de doutes. Lui qui pensait à un retour du paradis terrestre, comme le faisaient les Juifs qui attendaient le Messie, attendait un paix radicale, une communion entre tous les hommes, l’abondance de biens et que rien ne manque à personne, que la justice soit partout pareille, voici le paradis terrestre qu’ils espéraient tous…
Jean-Baptiste voyait la vie de Jésus s’avancer et le Paradis ne venait toujours pas. Les Juifs sont dans le reproche à ce sujet là : « Votre Messie, où est-il ? Est-ce que depuis 2000 ans cela va beaucoup mieux ? »
Si ce n’est que ce n’est pas cette réalité là que nous attendons. Et vous prenez conscience que renoncer au paradis terrestre est loin d’être simple. On aimerait que la paix règne dans ce monde et vivre une plénitude, on voudrait vivre en communion dans ce monde. La réalité d’hier et du passé, depuis le péché originel, et jusqu’à nos jours est bien autre. C’est un monde qui est bouleversé, mais à la fois, c’est un monde qui est habité. Et la grande différence avec l’Ancien Testament.
Non, nous n’attendons pas un nouveau paradis terrestre, nous savons que, sur cette terre, il y aura toujours des injustices et des inégalités, de la famine, des maladies et des guerres… Nous le savons, mais notre regard est planté dans les Cieux. Et il faut accepter de vivre cette incomplétude. C’est une chose délicate comme Chrétien que tendre à la fois vers cette plénitude promise dans le Royaume de Dieu, tout en constatant tellement de manques, de difficultés et d’injustices dans notre monde, et de tenir les deux en même temps.
Le désir du Royaume de Dieu ne nous désengage pas pour autant de cette terre : nous avons aussi notre part à prendre pour rendre ce monde plus fraternel et plus juste. Mais, nous savons que de toutes les manières, nous n’arriverons pas à une plénitude, que ce monde sera toujours bouleversé.
Il en est de même dans nos vies : on souhaiterait une plénitude d’amour dans nos familles, dans le couple et avec les belles-familles, et à plus forte raison au moment de Noël… On voit bien que c’est un moment qui n’est pas toujours facile à vivre car c’est là que toutes les tensions, les manques de communications et les incompréhensions ressurgissent en cette période.
Il est alors utile de se rappeler que Dieu Lui-même a voulu s’incarner pour dire que ce monde vaut la peine d’y vivre. Ainsi, c’est à nous en tant que Chrétiens d’être attentifs à ce moment là que nous vivons, d’accueillir les tensions quelles qu’elles soient. On le sait bien, il n’y a qu’après la mort que nous ne serons soumis à aucune tension, mais c’est bien dans ce monde que le Seigneur a voulu habiter. Et pour cette raison, c’est un monde que nous avons à aimer.
La figure de Jean-Baptiste est très touchante car c’est le cousin de Jésus. Il est Son aîné, mais il a cette attitude de grande humilité. On dit qu’il est le Saint Patron des maîtres des novices : il indique le chemin à toutes celles et ceux qui veulent découvrir le Christ.
Ainsi, pour chacun d’entre nous, le temps de l’Avent est un temps important parce qu’il nous redonne l’Espérance. Vous faites bien la différence entre espoir et espérance ? Pour ce qui est de l’espoir, ce serait par exemple qu’il fasse beau demain en Picardie, c’est un espoir humain. L’Espérance est spirituelle car elle se tourne vers les promesses de Dieu.
Et c’est cette espérance dans les promesses de Dieu qui nous fait agir dans le quotidien, car nous croyons qu’Il séchera toutes les larmes de nos yeux,
La très belle encyclique du Pape Benoît XVI sur l’Espérance nous rappelle l’urgence de l’implication des Chrétiens dans ce monde. C’est bien parce que nous sommes mus par l’espérance d’un plénitude que nous pouvons accueillir ici bas une béance, une incomplétude. C’est parce que nous avons cette confiance et cette espérance qu’un jour, dans l’au-delà, le Seigneur viendra combler tous nos désirs.
Alors oui, c’est un temps de conversion, joyeuse, mais aussi de frottements entre le « déjà » et le « pas encore », et il n’est pas si simple à vivre quand on le vit sérieusement.
C’est la joie de l’Espérance, de cette fécondité qui est le salut par excellence, par la venue du Christ Lui-même.
C’est aussi le temps de voir les défauts qui sont en nous, les fragilités que nous portons, de celles des autres. Et parfois, on peut se décourager et c’est pour cela que l’Avent nous est donné pour reprendre courage, pour reprendre des forces.
Parfois, on entend ces mots dans la liturgie :
« Ne vous laissez pas abattre ! »
Et on le voit bien avec le prophète Baruck, le scribe de Jérémie, et cette période pendant l’exil qui fut si difficile pour le peuple Hébreux. Jean-Baptiste cite Isaïe et qui redonne confiance :
« Viendront des jours où le Seigneur viendra habiter sa propre terre. »
Alors oui, comme Chrétien, nous avons une responsabilité de porter haut cette espérance. Plus personnellement, nous avons aussi cette responsabilité de ne pas laisser notre joie être entamée par les difficultés de la vie quotidienne, dans les relations professionnelles, familiales ou matrimoniales, on voit bien qu’il y a là des lieux de tension. Et justement, le Seigneur nous dit de reprendre force et de planter notre regard dans les Cieux, pour devenir des témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Baruch 5,1-9.
- Psaume 126(125),1-2ab.2cd-3.4-5.6.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 1,4-6.8-11.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 3,1-6 :
L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.
Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète :
« Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ; et tout être vivant verra le salut de Dieu. »