Chers frère et sœurs,
Nous sommes dans le monde et la situation internationale ne peut pas nous laisser indifférents. Vous savez sans doutes que le 31 mai prochain, le Saint Père proclamera une journée de prière. Il se rendra auprès d’une statue de la Vierge que le pape Benoît XV avait fait installer à Rome durant la première guerre mondiale. Cette statue lève le bras pour faire cesser la guerre, pour demander à la violence de cesser.
L’Évangile, nous appelant avec une telle force à l’unité, raisonne aussi avec cette actualité. C’est ce dont manque le monde aujourd’hui : on voit que les camps se durcissement, les oppositions s’affermissent, chacun érige son camp comme celui du Bien…
C’est le moment où jamais de se souvenir de la vocation de l’Église, cette Église que nous sommes, que nous constituons. Comme le dit le Concile :
« L’Eglise est à la fois signe et moyen de l’union avec Dieu signe, mais aussi de l’unité de tout le genre humain. »
L’Église est ce ferment d’unité et elle agit comme un contre poids à l’histoire profane de bruit et de fureur pour construire cette communion. Plus les nations s’éloignent, se divisent et se combattent, plus nous avons à vivre de ce mystère d’unité.
Mais comment faire ? Il nous faut justement commencer par notre environnement immédiat.
Agir dans notre environnement immédiat
Tout d’abord, nous pouvons agir à travers notre vie quotidienne envers nos proches : à l’école, au travail, dans notre famille. Il nous faut croire que qu’il y a une interaction entre notre manière de vivre et l’état du monde, que les ponts que nous construisons, les pardons que nous demandons ou accordons sont des gestes politiques, c’est-à-dire qu’ils agissent sur l’état du monde.
Soyons en sûrs, la politique n’est pas seulement aux mains de nos gouvernements. Il y a quelques décennies, après la deuxième guerre mondiale, le Cardinal Daniélou signait un opuscule qui s’appelle L’Oraison, problème politique. Ô combien la paix domestique et quotidienne est aussi un problème politique et a un impact politique…
Ainsi, je voudrais voir avec vous ce qui risque de nous entraîner dans l’éloignement des cœurs et dans la violence. Elle est à la portée de notre main, nous le savons bien.
La première cause est sans doutes l’éloignement : l’éloignement dans nos familles, dans nos paroisses et nos communautés, l’éloignement entre les nations. On le voit bien, un éloignement culturel devient source d’opposition et de conflit. Et entre nous, les différences légitimes de tempéraments, de culture et de classe sociale deviennent aussi des menaces et comme des bombes à retardement au cœur de la vie commune.
Naissent naît incompréhensions et nous avons besoin de plus communiquer pour ne pas absolutiser notre manière d’être et d’agir, comme s’il n’y en avait qu’une seule envisageable ! Nous avons tous plus ou moins cette tendance, et cela a des conséquences désastreuses.
Perdons nos illusions : il nous faut communiquer pour que les distances entre les personnes, entre les nations soient vaincues.
Que c’est difficile pour un parent de parler à l’ado rebelle, on a bien envie de l’affronter ou de baisser les bras. Il peut aussi être difficile pour une belle-fille de parler à sa belle-mère… _ Dans chaque situation que ce soit, il nous faut garder le contact et dégager le chemin, faire le pas, le premier pas, et à force d’emprunter ce chemin, il devient plus praticable… Cela devient presque comme un habitude, une bonne habitude !
Voici comment combattre l’éloignement qui peut aboutir à ces oppositions.
Il y a aussi un autre point que l’actualité internationale met en relief d’un manière aiguë, c’est le jeu des alliances. Ce qui est impressionnant dans la lapidation d’Etienne, c’est qu’autour de lui, se forme un cercle bien construit, bien organisé, chacun à la même distance. Tous sont unis tacitement contre Etienne. C’est cet aspect du mal organisé que l’on voit dans le monde.
Et comment cela se passe-t-il de notre côté ? Les petites altercations que nous avons, nous en faisons part à d’autres, car nous cherchons inconsciemment des alliances. Il nous arrive aussi de prendre partie. C’est ce qu’il se passe avec Hérode et Pilate qui deviennent tous deux alliés amis contre le Christ. Tout un réseau se met en place, et on le sait bien, la violence, s’amplifie quand elle se communique. Cette socialisation du mal est terrible. C’est ce que Jésus appelle « le monde ».
En Grec, le mot « monde » est très beau : cosmos. Cela signifie aussi le beauté, repris pour nommer la cosmétique.
Dans ce monde, il y a une organisation. Le mal se structure, s’organise et se justifie par les échanges que l’on peut avoir les uns avec les autres.
Dans les salles de classe, des clans se forment. Dans les familles aussi, dans des communautés ou des paroisses. Ce sont des mondes qui s’opposent et se justifient dans leurs postures.
Pour lutter contre cela, il nous faut assumer une certaine solitude. Il faut bien sûr savoir parler du mal qui affecte, bien sûr, en parler pour éviter qu’il ne nous écrase, mais savoir aussi se taire quand il nous a atteint pour qu’il ne se diffuse pas.
J’aime entendre cette parole du Christ quand Il dit :
« Je suis venu apporter un glaive sur la terre. »
Je pense qu’il faut l’entendre en ce sens qu’Il est venu briser les clans et mauvaises solidarités, et nous ramener à une solitude qui sera le germe de la Paix.
Cela est vrai aussi pour les couples qui se préparent au mariage : si vous êtes appelés à vous marier, combien il est important que vous sachiez aussi retrouver cette solitude, cette union avec Dieu, sans chercher trop vite une consolation lorsque vous êtes en conflit, une justification auprès de vos parents ou de vos amis… Soyez seuls d’abord, assumez, et ensuite, la paix pourra revenir.
Ainsi, je suis frappé que les grands artisans de paix ont été des hommes seuls. Ils étaient souvent menacés, parfois exécutés ou assassinés. On l’ignore parfois, mais l’histoire rapporte beaucoup de ces chemins de vie.
Lors d’un voyage que j’ai fait au Liban il y a quelques temps, j’ai eu l’occasion d’échanger sur le sujet de l’opposition entre Musulmans et Chrétiens. Et j’ai appris qu’en 2009, un s’est mis en place pour choisir ensemble une unique date de fête nationale pour Chrétiens et Musulmans. Et elle fut placée au 25 mars, le jour de l’Annonciation. Ils se sont mis d’accord pour fêter leur pays ce jour-là, pour le chômer et se tourner vers Marie. Dans chacun des camps, les partisans de cette fête ont été conspués, menacés par un groupe terroriste notamment à Tripoli, mais ils ont tenu bon, il sont abouti à établir cette fête.
N’ayons pas peur de trouver cette solitude qui est parfois synonyme de menace, mais qui sera gage de notre liberté, de la présence de l’Esprit.
Un autre point qui menace cette entente, c’est la dureté, cette rigidité qui nous fait camper sur nos positions : « je suis très bien comme je suis ! », comme si on voulait absolutiser son caractère. Au contraire, si l’on accepte de changer, c’est que l’on admet que ce que l’on était avant n’était pas l’idéal, et il faut beaucoup d’humilité pour le reconnaître. Refuser de bouger montre certes que l’on a du caractère, mais est-ce du « bon caractère » ?
Un autre risque dans cette dureté de caractère est de ne pas entendre la parole qu’il y a derrière le cri. Si la personne avec laquelle je vis crie, je le disqualifie parfois car cela m’assourdit et me témoigne de sa violence, et je ne veux pas aller au-delà. C’est aussi un trait de dureté.
Etienne, lui, commence par le pardon :
« Pardonne-leur ! »
Il n’entre pas non plus dans cette logique de la victime, qui est un autre trait de dureté : on me fait du mal donc je me ferme et je n’attends que des excuses. Ce n’est pas juste non plus.
Il nous arrive d’aller d’un pôle à l’autre, entre agresseur et victime…
Dernier obstacle à la paix : le désespoir. Il ne dit pas forcément son nom, mais il nous convainc que le monde est fichu. Pourquoi m’en préoccuperai-je puisqu’il se désintègre ? Je n’ai qu’à faire mon Salut sur ma petite île déserte et cela me suffira, je m’en vais cultiver mon jardin.
C’est la grande tentation aujourd’hui pour les Chrétiens, notamment en France. Ils ne se voient plus représentés dans le paysage politique qu’est le nôtre. C’est alors la décision de divorcer d’avec le monde, et l’on développe une forme d’étanchéité. Mais en en empruntant ces chemins, nous désertons notre mission de Chrétien.
Il nous faut revenir aux grandes contemplations que nous offre aujourd’hui l’écriture pour pouvoir surmonter ce désespoir. Il nous faut regarder le Christ comme vainqueur, comme Seigneur, comme Celui qui dirige l’histoire Alpha et Oméga. Le monde ne Lui échappe pas, il est dans Sa main. C’est la grande contemplation d‘Étienne qui regarde le Christ à la droite du Père. Cette contemplation lui donne cette paix et lui permet d’aller jusqu’au bout de son martyr, dans la paix.
Vous l’avez compris, chers frères et sœurs, l’enjeu de pouvoir établir la paix autour de nous sans tomber dans tous ces pièges est énorme. C’est un enjeu pour notre sainteté, pour celle de nos proches. Nous savons bien que lorsqu’il y a un climat de conflit, le péché prolifère.
La paix suscite la sainteté.
C’est aussi un enjeu pour la paix dans notre monde : le Seigneur permet que chacune de nos initiatives pour la paix ait une répercussion à un niveau plus large et plus haut.
La Vierge Marie était au milieu des disciples. Au Cénacle, Elle faisait unité de leur cœur pour que sur eux descende l’Esprit de Paix. Qu’Elle soit au milieu de nous pour établir nos cœurs et le monde dans cette paix,
Amen
Références des lectures du jour :
- Livre des Actes des Apôtres 7,55-60.
- Psaume 97(96),1-2b.6.7c.9.
- Livre de l’Apocalypse 22,12-14.16-17.20.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 17,20-26 :
En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi : « Père saint, je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi.
Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. »