Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien-aimés,
On imagine quelquefois que, le jour de la Pentecôte, les apôtres ont reçu une sorte de potion magique qui les a dopés pour partir évangéliser le monde. Il y a certainement quelque chose de vrai.
En effet, dans l’évangile de saint Luc, Jésus avait dit à ses apôtres :
« Demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » (Lc 24, 49)
Avant Son départ à l’Ascension, Jésus leur a fait cette promesse :
« Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 8)
Le risque est d’insister sur une attitude un peu volontariste des apôtres pour aller annoncer la Bonne Nouvelle. Or il y a deux autres maillons qu’il ne faudrait pas trop escamoter : d’une part, il y a des manifestations assez extraordinaires qui attirent l’attention des gens. Ici, ils se mettent « à parler en d’autres langues ». A d’autres moments, ils font des guérisons. D’autre part, les apôtres publient les merveilles de Dieu et notamment la résurrection de Jésus.
Ce matin, je voudrais méditer avec vous sur le premier effet de la Pentecôte qui consiste à publier les merveilles de Dieu.
Le matin de la Pentecôte, le premier don que les apôtres reçoivent est celui de la louange. On comprend d’ailleurs assez bien combien la louange est un élément essentiel pour l’évangélisation : si vous vous émerveillez devant Dieu, vous serez plus convaincants auprès des gens que si vous n’êtes pas contents du bon Dieu !
La mission chrétienne consiste d’abord à révéler à nos frères la beauté et la bonté de Dieu.
En ce jour de la Pentecôte, nous pouvons demander la grâce d’être renouvelés dans la grâce de la louange. Car la promesse de Jésus d’envoyer l’Esprit-Saint ne concerne pas seulement les apôtres mais à chacun d’entre nous (Ac 1, 4 ; Jn 14).
Ce matin, je vais m’arrêter sur trois aspects de l’action de l’Esprit-Saint qui permettent d’entrer dans la louange. Chacune des lectures proposées par l’Église en ce jour attire notre attention sur l’un ou l’autre des aspects.
Tout d’abord, l’Esprit-Saint nous aide à nous décentrer de nous-mêmes pour nous émerveiller devant Dieu ; ensuite l’Esprit-Saint nous donne une attitude filiale à l’égard de notre Père du Ciel ; et enfin, l’Esprit-Saint est ce Paraclet qui nous aide à persévérer dans la louange quand nous sommes confrontés au mal.
La louange, c’est se décentrer de soi pour s’émerveiller devant Dieu (1re lecture)
La Pentecôte est l’anti-Babel. Il suffit de voir de quoi parlent les constructeurs de Babel et de quoi parlent les apôtres à la Pentecôte. Les premiers se disent entre eux :
« Allons ! bâtissons une ville, avec une tour dont le sommet soit dans les cieux.
Nous travaillerons à notre renommée, pour n’être pas dispersés sur toute la terre. » (Gn 11, 4)
Ces hommes sont animés par une volonté de puissance. Ils veulent se faire ’une réputation’, ils recherchent leur propre gloire.
A la Pentecôte, les apôtres proclament en revanche ’les grandes œuvres de Dieu’. Ils ne pensent pas à travailler à leur renommée mais à celle de Dieu ; ils ne cherchent pas à s’affirmer personnellement, mais à affirmer Dieu. C’est pour cette raison que tout le monde les comprend.
Dieu est revenu au centre ; la volonté de puissance a fait place à la volonté de servir, la loi de l’égoïsme à celle de l’amour.
Le jour de la Pentecôte, les apôtres ne se mettaient pas au centre ; ils n’étaient pas dans la posture de vouloir tout maîtriser ; ils étaient dans une attitude de réceptivité confiante.
Je pense que pour recevoir la grâce de la Pentecôte, nous avons besoin d’adopter cette même attitude. _ Les apôtres ne sont pas tant occupés à l’ouvrage de leurs mains, à ce qu’ils vont construire qu’à l’œuvre de Dieu. L’homme contemporain a sans doute l’esprit trop occupé par ce qu’il va créer pour s’ouvrir à ce que Dieu a fait et veut faire encore pour lui…
La louange, c’est l’inverse de l’égocentrisme où tout gravite autour de nous, de nos projets, de notre volonté… La louange suppose de se décentrer de soi pour rencontrer Dieu. Il y a une profonde gratuité de la louange. Dans la louange, nous nous tournons vers Dieu de manière désintéressée. Les fruits de la louange nous sont donnés comme par surcroît : on s’occupe de Dieu, Il s’occupera bien de nous (cf Mt 6, 24-24). La louange n’est pas un marchandage avec Dieu.
L’Esprit de Dieu est l’inspirateur de ces merveilleuses louanges que sont les Psaumes et nous en avons un bel exemple dans le psaume qui a été choisi pour cette messe. Il faudrait pouvoir lire ce psaume 103 ( 104 ) en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les œuvres de Dieu.
Un fruit essentiel de cette attitude est que cela rapproche les gens. À Babel, tout s’est terminé dans la confusion et la division. Et c’est ainsi quand l’homme est à la recherche de sa propre gloire.
Au Cénacle au contraire, des étrangers ont commencé à se comprendre. La louange ne nous rapproche pas seulement de Dieu ; elle rapproche les gens entre eux.
Le matin de la Pentecôte, la peur a cédé la place à l’assurance, à la parrhésia si présente dans les Actes des Apôtres. Et de ce fait les apôtres ne se renferment plus sur eux-mêmes ; ils n’ont pas peur de communiquer, de dire ce qui habite leur cœur.
Comme le dit saint Jacques avec son réalisme habituel, la louange ne peut pas jaillir dans un climat de critique et de médisance :
« La langue nous sert à bénir le Seigneur notre Père, elle nous sert aussi à maudire les hommes, qui sont créés à l’image de Dieu. De la même bouche sortent bénédiction et malédiction.
Mes frères, il ne faut pas qu’il en soit ainsi. Une source fait-elle jaillir par le même orifice de l’eau douce et de l’eau amère ? » (Jc 3, 9-11)
La bouche ne doit pas être occupée par la malédiction, la médisance, la critique.
Ouvre mes lèvres que j’ai fermées par la médisance, le jugement, le mal commis, la violence, les paroles amères, …
La louange va de pair avec une attitude d’enfance spirituelle (2e lecture)
Lors de la Pentecôte, les Apôtres firent une expérience bouleversante de l’amour de Dieu, ils se sentirent inondés par l’amour, comme par un océan. C’est ce qu’affirme saint Paul lorsqu’il dit :
« L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5, 5)
Tous ceux qui ont fait une forte expérience de l’Esprit Saint confirment cela. L’Esprit-Saint nous fait expérimenter l’amour de Dieu. Le premier effet produit par l’Esprit Saint lorsqu’il vient sur une personne est de la faire se sentir aimée de Dieu d’un amour infini, rempli d’une immense tendresse.
« L’Esprit Saint intercède pour nous en des gémissements inexprimables. » (Rm 8, 26)
Il console en attestant à notre esprit que nous sommes vraiment enfants de Dieu. La louange va de pair avec un certain abandon entre les mains de Dieu (cf. Ps 37, 3-5) :
« Compte sur le Seigneur et agis bien, habite la terre et vis tranquille, mets dans le Seigneur ta réjouissance : il t’accordera plus que les désirs de ton cœur.
Remets ton sort au Seigneur, compte sur lui, il agira. »
Dans la deuxième lecture, saint Paul a une expression très forte pour parler de l’Esprit-Saint. Il invite les Romains à être « sous l’emprise » de l’Esprit-Saint.
Voulez-vous être sous l’emprise de l’Esprit-Saint ou de la chair ? En ce jour de la Pentecôte, les apôtres tombent littéralement sous l’emprise de l’Esprit-Saint ! C’est l’Esprit-Saint qui nous convainc que nous sommes enfants de Dieu, que nous sommes aimés de notre Père du Ciel.
« Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions ’Abba !’, c’est-à-dire : Père !
C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » (Rm 8, 15-16)
La louange permet de renouveler notre relation avec Dieu. Chaque matin je peux dire :
« Bénis le Seigneur, ô mon âme, et du fond de mon être son saint nom… Il te couronne d’amour et de tendresse, il rassasie de biens tes années et comme l’aigle se renouvelle ta jeunesse » (Ps 103)
La louange a du mal à coexister avec une forme de rationalisme ; elle implique une certaine simplicité. La louange suppose une forme d’enfance spirituelle. Ceux qui ne veulent pas sortir du rationalisme ne pourront pas avoir accès à la louange.
J’aime bien une réflexion du pape François à ce sujet :
La louange n’est pas un déni du mal (évangile)
La louange est différente de la « pensée positive » (dans le style : Pensez positif — vivez heureux !). Regarder uniquement le bon côté des choses, c’est souvent un moyen d’échapper à la réalité de celles-ci. Quand nous louons Dieu, nous le remercions non pas malgré notre situation, mais pour notre situation telle qu’elle est. Nous n’essayons pas d’éluder nos difficultés ; au contraire, Jésus nous montre la façon de les vaincre. La louange ne nous empêche pas de voir la réalité mais nous la fait voir avec espérance.
Derrière la louange, il y a un profond regard de foi : Dieu est plus puissant que le mal. Dieu veut notre bien. La louange est une profession de foi en la toute-puissance de Dieu qui sait tirer un bien du mal.
Comme le dit saint Paul :
« Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (Rm 8, 28)
La louange est un acte de foi en Jésus vainqueur de la mort et du péché.
Dans l’Évangile, nous parle de l’Esprit-Saint comme du Paraclet. Le Paraclet, c’est le défenseur, l’avocat, le médiateur, l’intercesseur. A la différence des avocats tels que nous les connaissons aujourd’hui, le Paraclet ne parle pas à notre place. Il est auprès de nous pour nous soutenir mais ne se substitue pas à nous. L’action de l’Esprit Saint est de « témoigner ». C’est une action intérieure, « immanente », qui se développe dans le cœur des disciples. Il nous aide à voir la victoire de l’amour de Dieu dans un monde blessé.
Louer Dieu en toutes circonstances ne veut pas dire fermer les yeux sur les difficultés. L’Esprit Saint Paraclet prend le contre-pied de Satan, l’Accusateur (Ap 12, 10) qui cherche à nous décourager.
Saint Bernard décrit très bien cette œuvre de l’Esprit-Saint dans les apôtres :
Ils ne fuient plus, ils ne se cachent plus par crainte ; à présent ils déploient plus d’énergie à prêcher qu’ils n’en déployaient naguère à s’enfuir. Cette transformation, qui est l’œuvre du Très-Haut, apparaît clairement dans Pierre, le prince des apôtres ; hier effrayé à la voix d’une servante (Mt 26,69), il est maintenant inébranlable sous les menaces des grands prêtres.
« Ils s’en allèrent du Grand Conseil, dit l’Écriture, tout joyeux d’avoir été dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus » (Ac 5,41).
Et pourtant, voici peu, alors qu’on amenait celui-ci au Conseil, ils avaient pris la fuite et l’avaient abandonné. »
Cette force leur fait surmonter leur peur, leur appréhension.
En conclusion, chers frères et sœurs, faisons nôtre, et avec une intensité particulière, l’invocation de l’Église elle-même : Veni, Sancte Spiritus ! Une invocation si simple et immédiate, mais dans le même temps extraordinairement profonde, jaillie avant tout du cœur du Christ.
En effet, l’Esprit est le don que Jésus a demandé et demande constamment au Père pour ses amis ; le premier et principal don qu’Il nous a obtenu avec sa Résurrection et Son Ascension au Ciel. (…)
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Actes des Apôtres 2,1-11.
- Psaume 104(103),1ab.24ac.29bc-30.31.34.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 8,8-17.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 14,15-16.23b-26 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements.
Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous.Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé.Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »