Texte de l’homélie
Frères et sœurs bien-aimés,
Voilà une parabole un peu surprenante ! De quoi s’agit-il ? D’un gérant, un homme malhonnête, qui dilapide les biens de son maître – peut-être s’en met-il dans les poches – il fait preuve de mauvaise gestion, fait des erreurs de calcul, puis, renvoyé, il se demande ce qu’il va faire.
Il prend alors la décision de remettre les dettes, d’être généreux avec l’argent des autres, de son maître en particulier, concernant des sacs de blé et litres d’huile…
Et je me demande si cette parabole ne parle pas en fait de toutes nos relations bloquées, où il n’est pas forcément question d’argent. C’est peut-être autre chose que le Seigneur veut nous dire.
Il y a souvent des blocages de relation dans cette parabole : entre le gérant et le maître, c’est bloqué car il est renvoyé. C’est aussi le cas du gérant face à lui-même : « je ne suis pas digne, je suis paresseux, je ne sais pas travailler la terre », il a même honte de mendier son pain…
Il ne cherche pas à se justifier, il accepte cet état de fait. C’est un rapport à lui-même qui est complexe.
Il y a aussi la relation de ceux qui doivent de l’argent au maître, c’est aussi compliqué : 100 barils d’huile, cela représente une somme, 100 sacs de blé, ce n’est pas rien. Et ces ingrédients évoqués dans la Bible sont ceux avec lesquels on peut faire du pain, et on peut vivre. Il est question dans ce texte de ceux qui sont pris à la gorge dans la vie quotidienne.
Au fond, ne s’agit-il pas là d’un mode d’emploi pour les situations qui paraissent sans issue ?
Quel procédé louable ce gérant utilise-t-il ?
Comment ce gérant que le Seigneur loue procède-t-il ?
Il commence par introduire du neuf dans la relation avec les autres. Il commence d’abord par ceux sur lesquels il a un pouvoir, c’est à dire les débiteurs de son maître : il leur remet leurs dettes. Est-ce que l’expression « remettre les dettes » ne nous rappelle pas quelque chose ?
« Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés… »
Voici un bel exemple de remise de dette : il rend ainsi possible une vie en rendant aussi le pain par les litres d’huile et les kilos de blé. Il y a quelque chose de nouveau qui advient dans cette relation de débiteur qui était dans l’impasse.
Et en faisant ça, il voit qu’il fait du bien. Ce n’est pas par pureté d’intention, ce n’est pas ère Thérésa… c’est un calcul pour être accueilli plus tard, car il a remis la dette et que grâce à lui, il a fallu payer moins.
On le sait bien, l’argent intervient dans les relations. Avant de venir rejoindre cette assemblé, nombre d’entre vous sont allés chez le boulanger échanger du pain ou des croissants contre de l’argent, vous avez alors valorisé son travail, ce qu’il fait de sa vie en étant boulanger. On le sait. L’argent peut aussi mettre en relation deux ou plusieurs personnes, plusieurs entités, c’est un lien.
Ainsi, il est intéressant de voir que, quand c’est bloqué, il y a peut-être des possibilités d’introduire de la nouveauté. Cela peut permettre à la vie de circuler à nouveau.
Comment nourrir à nouveau cette relation ?
Comment permettre au pain d’être fait ?
Et cette citation de l’huile et du blé – la farine – n’est pas sans nous rappeler un texte de l’Ancien Testament. C’est le prophète Élie qui a l’intuition de partir dans une ville du nom de Sarepta. Il arrive devant une maison habitée par une veuve et son fils. C’était un temps de sécheresse comme jamais Israël n’en avait jamais connu : il n’y avait pas de moisson, rien n’était plus possible. Et il demande un peu de pain à cette veuve qui lui dit :
« Il me reste un peu d’huile et de farine. Nous allons faire du pain pour mon fils et moi, puis nous allons mourir. »
Voici une autre situation fermée : le lien mère-fils bloqué. Elle qui était veuve, elle avait déjà du faire le deuil de son mari. Était-il mort de la sécheresse ? on n’en sait rien. Et face à cela, le prophète Élie dit :
« Jarre d’huile ne s’épuisera pas, pot de farine ne s’épuisera pas… »
Et sur ces mots, il fait un miracle qui permet de revivifier le lien, et de redonner à cette veuve et à son fils le possibilité de revivre à nouveau une affection, de pouvoir vivre, tout simplement.
Comment redonne-t-on plus de vie à nos jours ?
Comment le faire si ce n’est en remettant les dettes, en pardonnant ?
- Parfois, les relations sont tellement blessées qu’il n’y a pas d’avenir possible, et c’est une grande tristesse. C’est intéressant par exemple de voir que Jésus n’a pas sauvé la relation avec Judas. On voit qu’une fois qu’il a pris la bouchée de pain, il part. Et Jésus lui dit :
« Ce que tu dois faire, fais-le vite. »
Et il part dans la nuit. C’est ce que dit l’Écriture, au moment de la Sainte Scène. Et si l’on y regarde de plus près, on réalise que le rôle de Judas, parmi les Apôtres, c’est celui d’intendant, il gérait la bourse commune…
Ainsi, je me suis pris à divaguer : et si cette parabole était adressée à Judas comme une dernière chance ? Une amitié est à nouveau possible avec toi, regarde ce gérant malhonnête, toi qui est chargé de la bourse commune ?
Mais, il y a eu un enfermement, et parfois, il y a des relations qui, dans ce monde, sont définitivement plongées dans la nuit. C’est une tristesse, mais ils ne peuvent plus voir la lumière du jour, et il faut en faire le deuil. C’est ce que Jésus a fait le deuil de sa relation avec Judas, malgré ses tentatives d’approche.
L’importance de renoncer au Paradis terrestre
Et il est important de faire mention de cela : en effet, il nous faut renoncer à une communion parfaite entre les personnes humaines ici bas. Nous renonçons à un Paradis terrestre, et c’est important de dire qu’il y a des situations qui, malgré nos efforts, ne pourront pas bénéficier de la lumière. Et de savoir distinguer que, dans cette impasse, une once de clarté arrive par une fenêtre qui s’ouvre. C’est ce qu’a fait le gérant malhonnête : il a eu de l’imagination pour la relation. Et si on faisait les choses autrement ?
Et donc, même s’il n’a pas correctement valorisé l’argent de son maître - les autres lui payaient moins – les autres pouvaient revivre et faire du pain.
Et lui-même qui était bloqué et avait honte, non pas d’entourlouper son maître mais de mendier, et le fait de redonner vie à l’autre lui a redonné vie à lui aussi : il a un regard sur lui-même beaucoup plus valorisé et valorisant.
Cet événement le valorise car le maître remarque ce qu’il a fait et le donne en exemple aux autres : avec l’argent malhonnête, il a permis que la vie advienne à nouveau, que les liens puissent être revivifiés, il a permis que une espérance – pour les débiteurs et pour lui-même.
Il est intéressant de nous questionner. Les uns et les autres, nous avons parfois des difficultés dans les relations, et il nous faut nous demander comment introduire une nouveauté, comment faire qu’il y ait un déplacement dans le rôle de chacun.
Et c’est la même chose dans notre relation avec le Seigneur et avec nous-même : comment rendre possible une lumière, éclairer à nouveau le lien, guérir le lien.
Comment guérir un lien et rendre la lumière à une relation ?
Comme nous l’avons dit plus tôt, la question de l’argent renvoie au lien. Et nous devons nous demander si nous le mettons comme maître ? car s’il est un mauvais maître, c’est un excellent serviteur ! Et c’est à nous de choisir si nous le mettons comme serviteur de la communion, et il est possible de faire énormément de bien avec les richesses, ou bien me sert-il à être dans la toute puissance ?
Vous savez que l’argent fait partie des trois toutes puissances que le Christ a vaincues dans la tentation : celle du pouvoir (des richesse), du plaisir (de la chair), et celle de l’esprit. Il a vaincu ces toutes puissances qui sont en nous. Et chacun d’entre nous, nous sommes plus ou moins sensibles à telle ou telle autre forme d’orgueil.
Et, alors que le démon Lui demandait de transformer ces pierres en pains, le Seigneur lui répondait d’écouter d’abord la Parole de Dieu, c’est celle qui nourrit le lien :
« L’homme ne se nourrit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Ton lien avec le Seigneur va être nourri, va ruisseler sur les différents liens, relations, amitiés, redonner une chance à l’amitié qui pouvait être blessée, redonner une chance à cette rencontre de libertés, car l’autre aussi a sa part.
Et il est intéressant de dire ce qui peut nous opposer, bloquer des relations, nous fragmenter intérieurement comme ces trois toutes puissances qui sont en nous, comme les plaisirs désordonnés, les richesses du pouvoir et de l’esprit.
Quand on voit les choses avec humilité, quand on est mis dans une situation de faiblesse, comme ce gérant, on peut comme lui se découvrir pauvre et devenir inventif. Cette parabole est vraiment extraordinaire.
Et c’est la même chose au sujet de la toute puissance de l’esprit : il y a des personnes qui sont très brillantes et qui veulent asservir les autres, les dominer. Et c’est en nous tous ! Mais, quand ils sont mis dans une situation de vulnérabilité, voient-ils leur intelligence comme un lieu de communion ?
Ainsi, ces grandes blessures que le Christ a affrontées dans les tentations, celle qui sont en nous avec ce désir de toute puissance, à la recherche du bonheur par ce chemin là alors que ça nous emmène dans des impasses et dans la nuit, Jésus vient revisiter cela. Il nous invite à laisser une place à l’amitié, à rendre possible une relation qui a été blessée.
Remets les dettes, et tu verras bien comment ça bouge. Réintroduis du neuf ! Ce n’est pas en répétant toujours le même style de réactions que l’on va introduire du neuf. Ce n’est pas en mettant du même que l’on aura du neuf, c’est évident.
« À vin nouveau, outres neuves ! »
Ayons l’audace de faire bouger les choses afin que tout bouge ensuite, et que l’Espérance puisse renaître, si l’autre le veut. C’est cette grâce que nous demandons au Seigneur alors que nous nous approchons de la table eucharistique avec humilité.
Lui aussi s’approche de nous avec humilité avec ce pain et ce vin. Puissions-nous nous laisser toucher et avoir une charité inventive,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Amos 8,4-7.
- Psaume 113(112),1-2.5-6.7-8.
- Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 2,1-8.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 16,1-13 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : “Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.”
Le gérant se dit en lui-même : “Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.”
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier :
— “Combien dois-tu à mon maître ?”
Il répondit :
— “Cent barils d’huile.”
Le gérant lui dit :
— “Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.”
Puis il demanda à un autre :
— “Et toi, combien dois-tu ?”
Il répondit :
— “Cent sacs de blé.”
Le gérant lui dit :
— “Voici ton reçu, écris quatre-vingts.”
Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. »Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande.
Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ?
Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ?Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »