Homélie du 3e dimanche du Temps Ordinaire

27 janvier 2025

Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs, la première lecture que nous avons entendue relate une époque relativement peu connue de l’histoire des Hébreux, du peuple Juif. Il est revenu d’exil et voici une cinquantaine d’années qui se sont écoulées depuis ce retour. Après bien des difficultés, le Temple de Jérusalem a été reconstruit après une vingtaine d’années après leur retour avant qu’il ne commence à émerger de terre. Et maintenant, il faut reconstruire les murailles. Esdras et Néhémie s’y emploient…

Et vous avez vu, le peuple est là dans une grande cérémonie, mais il est insatisfait. On est revenu, mais ce n’est pas comme avant. La splendeur de Salomon a effectivement disparu, quelque chose a été perdu, peut-être même l’Espérance elle-même. Le saccage et les ravages qu’a faits Nabuchodonosor, les séquelles de la dévastation du Temple ont marqué profondément les esprits. Le peule est épuisé, quelque chose est vraiment cassé, et il y a comme cette terrible nostalgie d’un antan, d’un passé qui était plus beau.

« L’aujourd’hui » mande de sens, bref, ce peuple et pauvre, et c’est pour ça qu’il est prêt. Il est prêt pour écouter la Parole parce qu’il est pauvre de sens. C’est très bien de reconstruire les murailles de Jérusalem, mais il manque un pan énorme pour se reconstruire intérieurement. Il manque un sens, et ce sens, c’est la Parole qui va pouvoir le donner.

Il va pouvoir écouter cette Parole avec une fraîcheur toute nouvelle, avec un désir qu’il n’a jamais connu parce que la Parole est devenue vitale. CE peuple est affamé, assoiffé de la Parole comme le dit le livre d’Amos :

« Voici des jours, dit le Seigneur, où j’enverrai une famine dans le pays. Non une faim de pain ni de soif d’eau, mais une famine d’entendre les paroles de l’Eternel. »

Qu’en est-il pour nous ? est-ce que nous avons faim et soif de cette parole ? est-ce qu’elle est vitale ? sommes-nous pauvres ou comblés par bien des choses ? Notre vie a-t-elle un sens sans Dieu, sans Sa Parole ?
Cela peut sembler possible dans la sécurité de nos vies, avec nos biens et nos carrières ? N’y a-t-il pas pourtant une béance en nous qui nous permettra d’accueillir cette parole pour ce qu’elle est : une parole qui sauve.

Pour nous qui, pour la plupart, avons baigné dans la Foi chrétienne dès notre enfance, nous faut-il retrouver la détresse infinie de ceux qui ne connaissent pas Dieu et qui se rendent compte à un moment donné du non sens d’une vie sans Lui ?

Je pense à Jacques et Raïssa Maritain, ce couple qui avait connu l’existence de Dieu simplement par ouïe dire et qui suivaient des cours à la Sorbonne qui étaient purement positivistes et où le sens de la vie n’étaient pas évoqués. Ils étaient au bord du désespoir ultime jusqu’à ce qu’ils rencontrent des personnes qui vont les ouvrir à la Parole de Dieu : Charles Péguy, Léon Bois, puis le philosophe Bergson. Et leur âme desséchée va à nouveau connaître cette rosée bienfaisante de la Parole. Raïssa disait :

« Lorsqu’enfin, Jacques et moi, nous prîmes le chemin du collège de France où Bergson enseignait, nous étions aux portes du désespoir. Nous faisions le bilan de tout ce que nos maîtres nous avaient donné comme viatique à nous, ces très jeunes qui attendions d’eux des principes de sens et d’action. Et nous ne tenions dans nos mains que mort et poussière. »

N’oublions pas que nous sommes déjà très riches de connaître cette Parole, et remettons-nous parfois dans cette position de pauvreté de cœur de ceux qui ne connaissent pas Dieu.

Une autre petite anecdote que j’ai déjà citée : quand nous étions en Argentine, nous avions fait une mission dans les hautes montagnes de la Cordillière, il y avait un village particulièrement reculé auquel on arrivait qu’à pied ou en mule, la route carrossable étant à peine achevée. C’était un village vraiment loin de tout, avec lequel aucune communication ne passait, et les habitants se sentaient délaissés, aux marges du monde et de la prospérité, et beaucoup désespéraient et il y avait des problèmes d’alcoolisme. Une petite femme évangélique disait qu’elle méditait tous les jours un verset de la Parole, qu’elle l’apprenait par cœur et que c’est cela qui l’aidait à tenir debout. Pour elle, la Parole était vitale.
C’est la première des choses : la prise de conscience de notre pauvreté est le point d’entre pour accueillir la Parole comme une richesse, comme un viatique.

Deuxième point : si nous continuons la lecture de ce texte de Néémie, il nous est dit que l’assemblée était composée d’hommes et de femmes et de tous les enfants en âge de comprendre. Un peu plus loin, il est dit qu’Esdras le Scribe lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis :

« Les Lévites traduisaient, donnaient le sens et l’on pouvait comprendre. »

Ce ne sont pas des paroles magiques qu’il suffirait de prononcer pour que tout aille mieux, à la manière de formules : plus elles sont ésotériques et incompréhensibles, plus elles nous semblent avoir d’effet, dans la logique de la magie… Ici, il n’en est pas ainsi : cette parole, il faut la comprendre.

Dans ces livres, la Bible est écrite en Hébreux. Le peuple est allé en Mésopotamie, au Royaume de Babylone, il a perdu sa langue maternelle – l’Hébreu - pour apprendre la langue du dominateur qui est l’Araméen. Il ne sait plus parler que cette langue, il a perdu ses racines, c’est pour cela qu’une tradition doit être faite pour qu’il puisse comprendre.
Chers frères et sœurs, voyez l’importance de la traduction qui a tellement marqué l’histoire de l’Église.

Au milieu du Moyen-Âge, on s’est bien rendu compte que les gens ne parlaient plus Latin. Alors, dès l’époque de Saint Louis et grâce à la Réforme, tout est prêt dans les tiroirs du Vatican si l’on peut dire, pour que l’on puisse donner une version en langue vernaculaire de la Bible. Les Protestants s’emparent du projet, et comme on veut se distinguer d’eux, on garde la Bible en Latin et on canonise la Vulgat. Les fidèles comprennent plus ou moins, et il faudra attendre notre vingtième siècle pour qu’à nouveau, cette parole puisse être comprise.

Frères et sœurs, il faut comprendre cette Parole parce qu’elle s’adresse à notre intelligence.

La plupart du temps, lorsque l’on parle de la Bible même à des bons Chrétiens, ce sont des réactions d’incompréhension, comme une fin de non recevoir. Ainsi, la Bible n’est pas aimée parce qu’elle n’est pas comprise. Et la Parole ne peut pas pousser ses racines en nous si elle n’est pas comprise. C’est la parabole du semeur de notre Seigneur dans Matthieu 13 :

« Vous donc, écoutez ce que signifie cette parabole : lorsque qu’un homme écoute cette parole et ne la comprend pas, le Malin vient et enlève ce qui a été semé dans le cœur.
Celui qui, en revanche, a reçu la semence dans la bonne terre est celui qui entend la parole et la comprend. Il porte du fruit, un grain qui en donne cent, un autre soixante, un autre trente. »

Frères et sœurs, nous pouvons nous interroger si nous lisons cette parole, si nous la comprenons et si nous nous donnons les moyens de la comprendre. Peut-elle pénétrer en nous ? Pouvons-nous, à partir de là l’aimer, et ne plus pouvoir nous en passer.

C’est pour cela que je mets à votre disposition un petit feuillet avec quelques moyens pour aimer la Parole. Il vous donne quelques pistes à suivre :

  • Marie-Noëlle Tabut qui commente régulièrement la parole du Dimanche sur un site de la CEF nous permet de manière tout à fait accessible de nous préparer à entendre les lectures du Dimanche sans qu’elle ne reste sans effet. La grâce supplée à nos faiblesses, mais pas à notre paresse et cela nous demande un peu de travail. Chez les Juifs, un grand commandement est celui de l’étude. Quand à nous, les Catholiques, nous étudions très peu la parole, peut-être un peu plus aujourd’hui. Mais n’oublions pas qu’il y a là quelque chose de vital pour la survie de notre Foi.
  • Le Frère Paul-Adrien qui a commencé lui aussi un commentaire jour après jour de la Parole de Dieu dans une lexio divina continue.
  • Il y a aussi un très bon petit site protestant que je vous conseille également : topbible.topchretien.com où les commentaires sont remarquables de simplicité et d’exactitude, avec une portée spirituelle qui nourrit notre cœur.

De nos jours, nous avons beaucoup de moyens gratuits, sachons en profiter !

Une dernière chose : cette parole proclamée par Esdras est traduite directement. Il nous est aussi dit autre chose au verset 9

Néémie le gouverneur, et les Lévites qui donnaient les explications dirent à tout le peule : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu, ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas. »

En effet, à la lecture de la parole, le peuple est en larmes à cause de toute cette nostalgie, des paroles qu’ils ne comprennent plus dans la langue originale.

« Ne pleurez pas, ne prenez pas le deuil… »

Autrement dit, il faut quelqu’un d’extérieur qui puisse interpréter cette parole, qui puisse nous dire quelle est sa fin, à quoi elle tend et à quoi elle vise. Si on fonctionne simplement en circuit fermé avec la Parole de Dieu, on serait tenté de lui faire dire ce que l’on veut , n’importe qui peut prononcer la Parole pour lui faire dire ce qu’il veut, y compris le démon, vous le savez bien : dans l’épisode des tentations, il y utilise la Parole de Dieu, il la pervertit.

Donc, comme le disait notre deuxième lecture aujourd’hui, c’est en Eglise qu’il nous faut lire la Parole authentiquement interprétée. Si l’on va plus loin, si la parole vient du lectionnaire que j’ai sous les yeux, elle vient aussi de tous les événements de votre vie. Pour vous, jeunes mariés, elle vient de votre conjoint, elle vient du pauvre qui est là, ou encore de cette remarque qu’on nous a faite et que l’on aurait aimé ne pas entendre.

A travers tout cela, il faut bien voir que la parole est beaucoup plus large, nous arrive par bien des canaux, et a besoin d’être interprétée, dans tous les cas.

Quand cette parole a pu nous modifier, nous façonner, travailler notre cœur, la figure du Christ va alors se dessiner. Saint Jérôme disait :

« Ignorer le Christ, c’est ignorer les Écritures. »

Et l’inverse est vrai : connaître les Écritures, c’est connaître le Christ, c’est se proposer de l’aimer.

Vous vous souvenez sans doutes que nous fêterons Saint Antoine de Padoue dans quelques temps, c’est si beau !… Il est bien connu pour nous aider à retrouver ce que nous avons perdu, mais c’est un peu limité. Il est aussi appelé dans l’Église le Docteur Évangélique, et particulièrement les Épîtres de Paul. C’est pour cela qu’il est représenté avec la Parole dans les mains, avec l’Enfant-Jésus sur ce livre ouvert. Parce que cette Parole lui a donné le Christ qui ne demande qu’à croître avec lui.

Voilà ce sacrement du Christ qu’est la Parole dont nous ne pouvons nous passer.
Que ce Christ qui aujourd’hui accomplit les Écritures dans l’Évangile de Luc que nous avons lu, qu’Il soit notre Seigneur et notre maître, qu’Il nous enseigne et nous accompagne tout au long de notre vie, Lui qui est né de la Vierge-Marie,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Néhémie 8,2-4a.5-6.8-10.
  • Psaume 19(18),8.9.10.15.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 12,12-30.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 1,1-4.4,14-21 :

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. _C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus. Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région.
Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
‘L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.’
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »