Texte de l’homélie :
Cette petite histoire que Jésus raconte, nous la connaissons ! mais, elle nous a toujours paru un peu terrible :
« Il y a un grand abîme entre vous et nous… »
Et toute cette intercession que peut faire cet homme riche n’a pas de pouvoir, elle reste sans impact. Dans la même idée, la première lecture, avec le prophète Amos qui se scandalise de la richesse de certains et de la poursuite du bien-être, cette quête à avoir toujours plus, de bien manger, d’avoir les meilleurs morceaux, que ce soit pour la musique, le vin, les parfums, tout ce qui fait l’agréable de la vie…
Il dit une phrase essentielle :
« Ils ne se tourmentent plus du désastre d’Israël. »
Ils sont devenus aveugles ; ils ne savent plus voir leurs frères, comme le dit Isaïe, leur propre chair…
Que ce soit Jésus, que ce soit le prophète Amos, ils disent :
« Si vous continuez à ne vivre que pour vous-mêmes, à ne vivre que pour votre intérêt, vous allez à la ruine. »
Si vous nous ne vivons que pour construire notre petit confort, cette perte n’est pas qu’individuelle : c’est tout le pays qui va à la ruine.
De fait, leurs paroles se sont accomplies : le royaume du Nord, celui d’Israël, a été rayé de la carte, ses habitants ont tous été envoyés en déportation.
Et après, lorsque Jésus se lamente sur Jérusalem qui ne sait pas accueillir la parole de Vie, on se rappelle la destruction de la ville sainte en 70 ; et comme si cela ne lui suffisait pas, elle fût complètement rasée en 135.
Nous, avec la télévision, en marchant dans la rue, nous voyons la pauvreté, le désastre vécu par notre propre chair, nos frères en humanité, qu’ils soient dans notre pays, migrants ou à l’étranger. Mais, nous sommes tellement dans cette recherche de la sécurité – comme il est dit dans le livre d’Amos, mais aussi dans nos campagnes électorales qui se font sur ce thème-là – elle nous flatte, elle est notre moteur, et elle rapportera des voix.
Est-ce vraiment notre raison de vivre : d’assurer notre propre vie, celle de nos proches ? ou est-ce cette parole du Seigneur, cette visite du Seigneur, cette manière dont Il nous invite à de vivre de cet amour qu’Il nous donné, de cette miséricorde.
Mais malheureusement, même s’il y a tout cela, il y a un effet anesthésiant, et on se dit : « Qu’est-ce que je peux, moi ? »
Vous allez à Paris, dans les grandes villes, et vous voyez beaucoup de gens dans la rue, des SDF, exactement comme Monsieur Lazare, ici, avec des ulcères, des maladies… et vous vous dites : « Qu’est-ce que je peux faire ? ».
Et cet homme riche, savez-vous pourquoi il n’a pas de nom ? C’est parce que c’est un peu chacun d’entre nous, pour que nous puissions nous y reconnaître.
Au font, qu’est-ce qui est reproché à cet homme riche ? N’est-ce pas son aveuglement, sa fermeture du cœur : il ne voit pas, il ne se laisse pas émouvoir, il ne se laisse pas mettre en mouvement. Bien entendu, nous nous laissons anesthésier si nous pensons : « Je ne peux pas à moi seul résoudre tous les problèmes de tous les migrants, tous les problèmes de tous les SDF de la Terre… », et ce n’est peut-être pas cela que Jésus nous demande. Mais, Il nous demande une seule chose :
« Ne ferme pas ton cœur. »
Tu peux toujours, quand tu vas à Paris, en ville, faire tes courses, réserver quelques pièces à celui qui mendie, sans juger de ce qu’il va en faire – comme si nous utilisions toujours notre argent correctement !…
Évidemment, si nous pensons qu’il nous faut tout résoudre, nous dormirons, et nous ne ferons rien, et nous irons à notre propre ruine, et personnellement, et communautairement, ainsi de même pour tout le pays.
Pourtant, ce riche a bon cœur – et nous avons bon cœur ! – et même très bon : une fois qu’il a compris qu’il était mal pris, il pense à sa famille, à ses frères – tout comme nous ferions – mais, cela ne suffit pas.
Aux JMJ de Cracovie, le Pape a interpellé les jeunes sur le ton de ces lectures :
Sortez de derrière vos tablettes et prenez des chaussures de marche et même avec des crampons, pour avancer sur des chemins même difficiles. »
Car, à quoi nous engage l’évangile ? comme le dit bien le résumé des Béatitudes que nous avons chanté au début de cette célébration : Si je cherche toute ma vie à uniquement poursuivre ce qui peut me combler, ce qui peut me satisfaire, ce qui me plait toujours à moi, et que j’arrange la réalité, je ne découvrirai pas la vraie vie. Je pourrai peut-être très bien, entouré de richesses, mais la vie ne sera pas présente et je n’aurai pas transmis le goût la vie à ceux qui sont autour de moi.
Jésus nous apprend à regarder l’autre, à rejoindre, à aimer l’autre. Pas en tant qu’objet de satisfaction, mais pour qu’il grandisse, pour que nous puissions avoir ensemble la joie de la vie qui circule à l’intérieur de l’un et de l’autre, qu’il puisse grandir, qu’il puisse donner son fruit, qu’il puisse exprimer ses dons, faire de la place…
Et cela nous demande de savoir nous effacer. Si nous cherchons toujours ce qui nous plaît, nous ne pourrons pas rencontrer Dieu. C’est ce que nous disent ces textes.
Vous souvenez-vous de ce que Jésus dit ?
« Si tu veux me suivre, renonce à toi-même,
Prends ta croix et suis-moi. »
Ce sont aussi des paroles que nous en voulons pas entendre, que l’on ne comprend pas très bien, comme un ordre qui nous serait donné, vu de l’extérieur et désagréable, et cela ne nous convient pas.
Ce que Jésus demande, c’est de nous ouvrir, de rentrer en relation, de revêtir les sentiments qui sont dans le Christ, de tendre compassion, de bonté, de bienveillance, de communion, de s’intéresser à l’autre, de sortir de notre lit d’ivoire, comme le dit Amos, de notre tour d’ivoire…
Nous ne rencontrerons pas Dieu ! Même si nous sommes pieux, même si nous allons à la messe et faisons nos prières, la Parole de Dieu n’aura pas de force, elle ne sera pas efficace et vivante. Car il faut qu’Elle soit vivante dans notre cœur, qu’elle nous pousse à nous transformer.
Si je ne fais que ce qui me plaît, je prierai Dieu pour qu’Il écarte de moi ce qui m’est désagréable. Or, Dieu n’est pas ce magicien qui va nous faire un monde qui nous arrange, où tout sera bien. C’est ce qu’attendait tout le peuple d’Israël au cours de son histoire : un sauveur, un général de Gaulle, une Jehanne d’Arc.
Il demande simplement que nous sachions affronter les difficultés.
Et la Croix nous rappelle que Jésus est venu aussi dans notre monde tel qu’il est, et qu’Il ne choisit pas. Il traverse les joies humaines, Il traverse aussi les souffrance, et même les pires, mais, Il est là, Il est avec nous et veut transformer notre cœur.
J’ai un ami qui souffre d’un cancer très avancé, et me disait l’autre jour :
« Finalement, avec mon cancer, je découvre quelque chose de nouveau : j’apprends à être attentif à la souffrance des autres. »
Il aurait pu être fermé sur sa propre souffrance, mais, elle lui permet au contraire de s’ouvrir, de s’intéresser aux autres.
Et le Seigneur nous conduit sur ce chemin, pour que nous puissions porter le Royaume. Il est là , avec nous.
La prédication de Jésus est tout à fait intéressante car, à cette époque, dans les milieux juifs, il y avait le même genre d’histoire avec un riche et un pauvre ; et le pauvre s’en sortait bien car il était vertueux, et le riche, lui, était plein de péchés. Ici, on ne nous dit rien de tel. Jésus ne va pas jusque là.
Car, dans ce monde bouleversé, malade, égoïste, refermé sur lui-même, Il vient annoncer cette présence du Père, cette simplicité de l’Amour de Dieu : apprendre à aimer, à s’ouvrir à l’autre, qui nous demande de nous quitter nous-même, d’ouvrir nos yeux, mais qui est tellement enraciné dans notre cœur qui a besoin d’être désensablé de ses mauvais habitudes et son propre intérêt.
Alors, demandons la grâce de sortir de nous-mêmes : que pouvons nous faire pour ne pas être centrés sur notre sécurité, sur notre confort, pour nous intéresser à l’autre…
Lorsque je parlais du SDF, si je n’ai pas de pièce à lui donner, parce que j’ai déjà tout donné, je peux toujours lui adresser un mot, un sourire, prendre un peu de temps, pour rendre le monde plus humain, parce que, ton frère, c’est ta propre chair.
Nous n’irons pas tous seuls au Ciel, mais, nous irons ensemble !
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Amos 6,1a.4-7.
- Psaume 146(145),6c.7.8.9a.9bc-10
- Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 6,11-16.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 16,19-31 :
En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens :
« Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui.
Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
— “Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”
Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
Abraham lui dit :
— “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !”
— “Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
Abraham répondit :
— “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »