Texte de l’homélie :
Il y a une particularité dans l’Évangile de Saint Luc, et dans les actes des Apôtres dont il est l’auteur, comme vous le savez. Cette spécificité est la que la narration est au jour le jour. Douze fois dans l’évangile qu’il a écrit, dix fois dans les actes. Seulement six fois dans Saint Matthieu, une fois dans Marc, et pas de mention sur « l’aujourd’hui de Dieu » dans Saint Jean…
A Noël, vous l’avez entendu :
« Aujourd’hui, je vous annonce une grande joie : il nous est né un sauveur ! »
« Aujourd’hui s’accomplit le passage de l’Ecriture… »
« Aujourd’hui, le Salut est arrivé à cette maison… » (avec Zachée)
« Aujourd’hui, tu sera avec moi en Paradis » (au Bon Larron)
Il est intéressant de voir cet aujourd’hui qui est comme un fil rouge dans tout l’Evangile de Luc et dans les actes de Apôtres. Plus que d’une dimension temporelle, il s’agit d’une pédagogie que le Seigneur nous donne à travers l’évangéliste. Il nous interpelle sur notre manière d’envisager le temps : voyez vous le temps comme quelque chose qui passe, ou comme quelqu’un qui vient ?
Car le Christ vient, et nous, Chrétiens, nous envisageons le temps, non seulement comme le chronos – le temps du chronomètre, menaçant – mais comme le kaïros, le temps de Dieu, le temps de la révélation, le temps favorable.
Et si Saint Luc répète à l’envi cette notion d’aujourd’hui, c’est qu’ il veut nous dire quelque chose : attention à la manière dont vous envisagez le temps. Découvrez-vous que chaque jour qui passe est aussi le temps favorable ? il est le temps du Salut, le temps de la rencontre.
Aujourd’hui, le Seigneur veut nous donner quelque chose à contempler pour que nous ne soyons pas dans la nostalgie. C’est précisément ce que dénonçait Saint Augustin lorsqu’au quatrième siècle ses auditeurs se plaignaient qu’auparavant, au troisième siècle, les jeunes savaient se comporter mieux qu’à présent où ils ne savent plus se tenir ni où aller… Et il leur répondait :
« Soyez bons et les temps seront bons, soyez saints et les temps seront saints. »
Il y a une manière d’envisager le temps qui est propre aux disciples de Jésus, et c’est justement cette question de l’aujourd’hui.
A cela fait écho la Petite Thérèse de l’Enfant Jésus lorsqu’elle dit :
« Pour aimer, je n’ai qu’aujourd’hui. »
Et lorsque l’on prépare des couples au mariage, il peut y avoir cette tentation, cette oppression d’un engagement à vie, à plus forte raison lorsque l’on voit le temps comme quelque chose de compact, qui vous vient d’une seule traite, comme une entité compacte de cinquante ans de vie commune à affronter. C’est une tentation de rétrécissement du temps qui ne correspond pas à la réalité qui elle, est tout autre : « Je n’ai qu’aujourd’hui pour aimer »…
Et d’aujourd’hui en aujourd’hui, me retournant en arrière, je me dis : « Déjà 10 ans ! », « Déjà 20 ans ! », « Déjà 30 ans ! »… Voilà la manière d’envisager le long terme lorsqu’on est disciple de Jésus. Il s’agit d’envisager le temps dans la manière de faire mémoire…
On le sait, faire mémoire n’est pas la faculté du passé, c’est la faculté du présent. Faire mémoire, c’est rendre présente, rendre aujourd’hui quelque chose qui était hier.
Que faisons-nous au cours de l’Eucharistie si ce n’est faire mémoire de la Passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur ? Et c’est ainsi aujourd’hui Sa présence qui s’invite parmi nous et à laquelle nous communions : Sa présence réelle !
Il est beau de voir que la communion à la présence réelle du Christ dans chaque Eucharistie nous aide à recevoir notre pain quotidien : c’est le pain d’aujourd’hui qui nous est donné et non celui de demain !
Vous vous souvenez-vous du peuple hébreu avec la manne ? certains voulaient en faire des provisions en abondance pour la garder pour le lendemain, et pendant la nuit, la manne pourrissait, car le Seigneur nourrit Son peuple d’aujourd’hui en aujourd’hui.
Ainsi, nous pouvons nous interroger où nous en sommes de vivre ce temps présent, ce carpe diem – du « cueillir le jour », cette notion qui nous vient des Romains : suis-je en train d’habiter pleinement cette journée, ou suis-je dans la nostalgie ou au contraire dans l’anticipation, la projection dans le futur, avec l’idée que demain sera mieux ?
Comme disciple de Jésus, nous accueillons cet aujourd’hui comme une pédagogie de découvrir une grâce, une rencontre dans le temps qui nous est donné.
Tout temps est un temps favorable, car tout temps est une temps habité, et il faut avoir une âme de contemplatif où nous découvrons dans les événements, dans les contre temps, la présence de Celui qui est venu. Alors qu’Il vient de l’Eternité, Il est venu habiter le temps, pour lui redonner toute une dimension.
Alors, frères et sœurs bien-aimés, quand Jésus va se rasseoir et dit :
« Aujourd’hui s’accomplit la parole que vous venez d’entendre… »
Il nous dit : « Moi, je suis l’accomplissement de toute parole, l’accomplissement de ce qui a été dit par les Prophètes dans le passé se réalise aujourd’hui. »
Et lorsque l’on vit en union avec le Christ, on va d’accomplissement en accomplissement, de réalisation en réalisation, d’aujourd’hui en aujourd’hui. Et c’est parce que l’on cueille en chaque jour la grâce qui nous est donnée qu’un jour on se présentera à Lui, au dernier aujourd’hui de notre vie, au moment de notre mort où nous pourrons Le contempler face à face, et entendre :
« Aujourd’hui s’accomplit ta vie dans ce face à face, parce que tu m’as cherché ta vie durant, dans les aujourd’hui de chaque jour. »
Frères et sœurs bien-aimés, cela nous demande une vraie conversion, car il y a cette condensation du temps dont je vous ai parlé qui s’oppose à manière d’envisager chaque jour l’un après l’autre.
Il y a cet activisme qui nous tend des pièges, et qui sont autant de pièges pour l’Amour, à tel point que le Pape Jean-Paul II, dans un très beau texte sur la spiritualité de communion disait :
« Un des obstacles à la communion, avec le perfectionnisme, c’est l’activisme : vouloir mettre dans 24 heures plus que 24 heures. »
Et le Seigneur nous avertit que nous ne sommes plus dans l’aujourd’hui si nous sommes dans cette attitude-là ; nous sommes dans un projection de quelque chose qui n’existe pas, et nous passons à côté de la Grâce qui nous est donnée et que nous pouvons cueillir.
Frères et sœurs bien-aimés, le Seigneur nous demande une conversion profonde à l’écoute de cette parole, parce qu’il a fallu un acte de Foi pour écouter Jésus qui proclame l’Évangile et nous dit qu’il s’agit de l’accomplissement des paroles du prophète Isaïe.
Il a fallu un acte de Foi de la part de ses auditeurs. Il nous faut aussi un acte de Foi pour dire que chaque jour vécu à plein est un jour unique, un jour habité, offert pour nous permettre d’anticiper et d’écouter l’Éternité. C’est ça être Chrétien : c’est goûter dans l’aujourd’hui l’Éternité à laquelle on est appelé, car on est dans ce cœur à cœur avec Dieu, dans ce cœur à cœur avec Jésus qui habite le temps.
Cela signifie aussi que nous devons laisser une place pour le repos. Avoir une attitude contemplative, c’est avoir un regard qui considère le repos. Et ce n’est pas pour rien que Jésus dit cette parole le jour du Shabbat : c’est le jour du repos de Dieu, le jour où il n’est dit aucune parole créatrice dans le livre la Genèse. Dieu fit Shabbat :
« Et le septième jour, Dieu se reposa… »
Il nous faut justement rentrer dans ce repos, et rentrer en ce repos - nous reposer en Dieu - c’est vivre l’aujourd’hui.
Alors, nous pouvons demander cette grâce les uns pour les autres, car cela ne nous est pas naturel, cela ne nous est pas facile, et l’accélération technologique ne nous aide pas en ce sens. On ne s’ennuie plus, on est habitué à toujours être occupés avec nos petits appareils…
Demandons à Jésus qu’Il nous aide vraiment, qu’Il nous transforme intérieurement, pour que nous puissions croire que pour aimer, je n’ai qu’aujourd’hui…
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Néhémie 8,2-4a.5-6.8-10.
- Psaume 19(18),8.9.10.1.
- Première lettre saint Paul Apôtre aux Corinthiens 12,12-30.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 1,1-4.4,14-21 :
Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole.
C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
‘L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.’Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »