Texte de l’homélie :
« Un homme avait deux fils… »
Dans son Porche du Mystère de la deuxième vertu, Charles Péguy parle abondamment de cette parabole de la Miséricorde et il dit combien elle nous touche :
« De toutes les paroles de Dieu, c’est celle qui a éveillé l’écho le plus profond. C’est la seule que le pécheur ne fait taire dans son cœur.
Ainsi, elle accompagne l’homme dans ses plus grand débordements.
C’est elle qui enseigne que tout n’est pas perdu.
Il est un trésor de Dieu quand le pécheur s’éloigne dans les ténèbres grandissantes, quand les ténèbres croissantes voilent ses yeux.
Il est un trésor de Dieu qu’il ne jettera point aux ronces de la route.
Cette parole est un trésor qui accompagne. Les autres paroles de Dieu n’osent pas accompagner l’homme dans ses plus grand débordements, mais en vérité, celle-ci est une dévergondée : elle tient l’homme au cœur en un point qu’elle sait et ne lâche point. »
Et cette parabole que nous appelons « de la Miséricorde », il l’appelle Parabole de l’Espérance.
Il y a peu de temps, nous avons appris avec l’année de la Miséricorde – alimentée et couronnée par l’encyclique du Pape François – à nous identifier à la brebis perdue, ou au fils perdu et retrouvé, tel qu’il est représenté par Rembrandt accueilli sur le sein de cet homme maternellement paternel.
Mais, à y regarder de plus près, ce n’est pas d’abord ce que le texte veut nous dire. Bien entendu, toute la prédication, tout l’être de Jésus sont miséricorde. Mais, dans ce texte, le fils prodigue est juste un faire-valoir.
Dans ces trois paraboles, l’enseignement - la pointe comme disent les exégètes – c’est la joie partagée par tous. Pas seulement par le bénéficiaire de la Miséricorde, mais par tous. Et ce que Jésus est en train de faire c’est de parler aux Pharisiens et aux scribes : Il parle aux « gens bien » suivant la religion, aux gens qui ont des principes et suivent les normes, non pas des gens qui se sentent impeccables (car ils savent bien qu’ils ont besoin de Miséricorde car on ne peut pas accomplir pleinement les 613 préceptes, qu’il reste toujours dans le cœur de l’homme un peu de culpabilité), mais des gens qui essayent d’effectuer des sacrifices et de suivre des moments de jeûne afin de se présenter devant Dieu.
Mais Jésus veut aller plus loin. Alors qu’Il mange avec les pécheurs, les autres sont là à récriminer alors qu’il faudrait se réjouir.
Que nous ne perdions pas de vue cette leçon de l’Évangile. On le voit bien au commencement de l’Évangile, alors que Jésus mange avec les pécheurs, et toute cette assistance composée de pauvres et de pécheurs l’écoute, et les autres récriminent.
Jésus nous raconte cette histoire pur nous montrer qu’Il veut les ramener tous dans le troupeau. Et la fin de cette histoire est ouverte : on ne sait pas ce que le fils va faire en fin de compte. Quant à nous, nous sommes invités à nous poser la question : « Et nous ? qu’allons-nous faire ? »
C’est donc un appel aux gens de bien, non un appel à se contenter de sa propre bonté, mais ne pas simplement, comme on l’avait déjà entendu précédemment dans le chapitre précédent : gagner sa place, tirer le meilleur parti,
Comme Jésus nous l’a enseigné au chapitre 14 en prenant l’image de l’invitation à une noce, ce qui est au centre de l’Église, de l’Évangile, de l’Humanité, c’est le pauvre et le pécheur qu’il faut chercher, auprès de qui il faut courir, se laisser émouvoir, pour reprendre les termes des trois paraboles qui nous ont été données, afin de saisir, de comprendre le cœur du moindre désir du retour au Seigneur et de le favoriser, non pas pour que l’autre rentre dans nos pensées, mais pour qu’il puisse rentrer dans la vie.
Alors, regardons de près cet homme qui avait deux fils et l’histoire qui en découle : apparemment tout sépare ce « bon fils » qui est resté à la maison exploitant la propriété du père, et cet aventurier, ce « raté » qui a cassé la baraque et qui a jeté à son père « tu es mort pour moi »… Pourtant, au fond, ils ne se distinguent pas tant que ça : regardons cela d’un peu plus près.
- le fils cadet veut être autonome, il s’en va ; il ne veut pas être un fils ; le fils aîné, lui, se comporte finalement en mercenaire, en serviteur, en esclave, mais pas en fils ; il traite son père comme un employeur car il fait tout pour gagner sa vie, non pas en gagnant de l’argent : le père est la vie et se donne tout entier, et par lui nous apprenons qu’elle est échange.
- le cadet, lui a l’expérience du don : il a donné toute sa fortune. Pour l’aîné, tout lui est du et il n’a pas compris que la fête était aussi pour lui.
- l’aîné reproche au cadet ce qu’il est en train de faire : le cadet quitte la maison et lui refuse d’y rentrer…
- le cadet revendique l’héritage et l’aîné ne veut pas manger le veau gras…
Ainsi, on peut remarquer que les rôles s’inversent : le cadet redevient fils, alors que l’aîné montre qu’il ne l’a jamais été. L’aîné s’exclue du don de son père.
Aussi, nous sommes invités non seulement à recevoir la miséricorde, mais à la donner et à devenir nous-mêmes miséricorde. C’est bien ce que nous montre Paul lorsqu’il parle de cette miséricorde : il nous apprend à ne pas désespérer du pécheur en se présentant lui-même comme le plus grand des pécheurs, le premier des pécheurs, lui à qui il a été fait miséricorde…
Et quand nous désespérons, n’avons-nous pas à nous mettre en route comme la femme avec ce grand soin qu’elle a de chercher ou le berger avec sa façon d’approcher la brebis sans l’effrayer, de peur qu’elle n’aille plus loin.
Dans la conversion de Paul, il y a ces moyens évoqués dans les actes de Apôtres comme la prière et les sacrifices, notamment ceux d’Étienne, à sa prière jusqu’au don de sa vie…
Ainsi, nous sommes invités à donner notre vie - non comme les « gens de bien », ces Pharisiens et ces scribes – à défendre ce qu’ils veulent sauver. Dans la première lecture, nous avons heureusement ce passage de l’idolâtrie par excellence, ce peuple qui s’est représenté Dieu par la force, celle du jeune taureau. Ils défendent ce Dieu et le matérialisent, mais Moïse ne l’entend pas et il le sent et le déclare : c’est le grand péché, la grande division, car la vie de Dieu n’est pas à défendre. Ce ne sont pas des valeurs à défendre mais plutôt ce courant de vie qu’il faut faire passer.
Il faut apprendre à aimer les pauvres, à aimer les pécheurs et à partager avec eux pour leur donner la vie de Dieu afin qu’ils puissent tourner les yeux vers le Seigneur, se tourner vers Lui tout entiers et recevoir la vie en plénitude.
Demandons au Seigneur de devenir nous-mêmes miséricordieux et de savoir nous réjouir d’être invités à servir les pauvres, à partager et à inviter les pauvres au festin du Seigneur,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Exode 32,7-11.13-14.
- Psaume 51(50),3-4.12-13.17.19.
- Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 1,12-17.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 15,1-32 :
En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ?
Quand il l’a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !”
Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. »Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ?
Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !”Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
« Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.” Et le père leur partagea ses biens.
Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.
Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !
Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”
Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.
Le fils lui dit : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”
Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer.
Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.
Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.
Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”
Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !”
Le père répondit : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »