Texte de l’homélie
Frère et sœurs,
Comme vous êtes tous des experts de la liturgie dominicale, vous avez du remarquer dans ces textes un évangile particulier dans lequel il est question de fratrie, de fraternité, de famille et de vie éternelle. Comme nous approchons de la fin de l’année liturgique, nous sommes invités à méditer sur ce qu’est le paradis pour nous : la vie éternelle, la vie après la mort, la vie avec les Saints…
Je voudrais méditer avec vous sur ces paroles d’aujourd’hui. La première lecture nous présente sept frères, des héros du peuple d’Israël, qui, par leur martyre – un peu plus d’un siècle avant la venue du Christ, il est intéressant de le savoir – et par la Foi de leur mère qui priait, ont su témoigner étonnamment de leur espérance en la résurrection des morts. Venez donc vous aussi vers Lui avec cette espérance-là. Ce n’est certes pas facile…
Quand à l’Évangile, s’il s’agit également d’une fratrie de sept frères, cette histoire se révèle à nous comme une invention, plutôt invraisemblable d’ailleurs, racontée par des Sadducéens qui sont les prêtres juifs de l’époque, qui voulaient prouver à Jésus que la Résurrection n’existe pas. On peut se demander s’ils se moquent de lui en essayant de Lui faire croire qu’il y avait un quelconque amour pour cette belle-sœur…
La posture de ces Sadducéens me fait penser à l’attitude de beaucoup de nos contemporains, qui, par d’innombrables raisons – comme des soucis, des difficultés, des manque de Foi et des influences – cherchent à prouver à leurs proches qu’après la mort, tout est fini. Cela arrive parfois dans nos familles. J’ai vécu cela récemment à un enterrement : quelqu’un me disait que c’était le « terminus » !
Il y a aussi la notion de réincarnation qui est assez à la mode, cela ne vous a pas échappé.
Enfin, pour les plus parfaits, les « élus », il y a une certaine façon de voir le Paradis comme une sorte de multiplication des plaisirs humains divers et variés…
Il y aura beaucoup de choses à dire sur la manière de voir le Paradis. C’est vrai pour nos contemporains, certes, mais nous pouvons aussi nous poser la question :
D’un côté, il a ce texte qui nous révèle que la vie des martyres est immensément féconde. Cette histoire de fidélité au Seigneur me rappelle le témoignage un peu plus proche de nous des sept frères de Tibhirine, illustré dans le film magnifique « Des hommes et des dieux ». Le revoir nous permet de comprendre un peu mieux le lien qu’il peut y avoir entre vie éternelle, fécondité et fraternité.
A l’inverse, l’Évangile déplore une situation stérile et sans descendance. Imaginons la photo de famille que cela ferait au Ciel : une belle demoiselle entourée de sept jeunes époux en smokings de luxe… Quel sorte de bonheur cela permet-il d’entrevoir ?
Voyons comment Jésus répond aux Sadducéens : Il renvoie toujours à la liberté de chacun. Et Il nous interroge ce matin sur la manière dont nous souhaitons que nos vies soient fécondes jusqu’au delà de la mort : en tant que famille, religieux, prêtre. Comment expérimentons-nous cette question ?
A ce sujet, la parole de Dieu est très claire : tout d’abord, les martyres d’Israël qui sont pour nous des témoins et qui ont vécu avant Jésus-Christ, sont honorés par le peuple d’Israël ni en raison du nombre des enfants ni en raison du prestige humain ou des discours que l’on peut faire sur la vie éternelle. Ils le sont uniquement par leur vie. Ils subissent le martyre, mais n’oublions pas que vivre sa vie au quotidien est aussi une façon de donner sa vie à un dieu vivant. Cela signifie que pour Lui, la vie humaine n’est ni une fin, ni une défaite, mais un passage, une entrée dans une plénitude de vie. C’est à la fois quelque chose de tout nouveau qui commencera au moment de notre mort : dans une continuité, mais dans une totale nouveauté.
En répondant aux Sadducéens, Jésus les met en face d’une évidence, celle de leur propre contradiction. Le dieu qu’ils adorent n’est-il pas le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? C’est donc bien un dieu contemporain : compagnon des trois patriarches mais aussi de tout homme, et ceci de génération en génération.
Dieu est un dieu vivant et contemporain de chacun d’entre nous. Et aujourd’hui, Il va Se révéler de façon particulière à Hippolyte et à Claire à travers cette première communion. Il est un Dieu vivant, par Jésus.
Donc, si nous sommes Chrétiens, nous pouvons nous interroger sur le regard que nous posons. Savons-nous qu’ici, maintenant, au milieu de nous, à travers la Sainte Hostie ou par le simple prêtre que je suis, se tient Le Vivant, Le Ressuscité qui nous a révélé cette Vie Éternelle. Par Sa Parole que nous avons entendue aujourd’hui, Il nous rejoint dans nos histoires les plus compliquées mais aussi les plus joyeuses pour les éclairer, pour les illuminer, pour nous accompagner si nous le voulons… Par le don de Sa chair et de Son sang que nous allons revivre tout à l’heure au moment de la consécration, Il cherche à S’unir à nous pour nous changer un petit, nous transfigurer. Par le don de la fraternité et du sacrifice de la messe, Il nous engendre davantage, non pas en fils habillés tout de luxe, mais en fils et en fille de Dieu, quelque soit notre vocation.
Henri de Lubac, théologien français contemporain disait cette phrase qui peut nous aider :
Bien sûr, c’est bien d’être là où Dieu nous a mis, mais le lieu par excellence, c’est la Sainte Messe. C’est le cadeau que Dieu nous fait chaque dimanche où nous pouvons apprendre à célébrer, à développer ensemble ce chemin, à nous réjouir de tous les fruits éternels que le Saint Esprit nous donne. Ce sont dès maintenant des expériences de Vie Éternelle : plus je grandis en bonté, plus je grandis en patience (ça commence tout petit), plus je continue à être un homme de paix et de joie, ça ne peut que grandir, jusqu’à éclater en plénitude quand nous serons au Ciel.
Comme vous le savez, nous ne sommes pas parfaits et à la messe, Jésus vient pour nous purifier, pour nous pardonner de tous nos manquements, de nos discours stériles – comme ceux des Sadducéens – de toutes nos pertes de temps, c’est si facile dans notre société – jusqu’à perdre du sens. Et Jésus nous appelle à revenir vers Lui, à Lui confier nos difficultés. Il nous conseille de ne pas trop conceptualiser les choses, surtout pour ce qui est de la vie après la mort.
On le voit plus particulièrement chez les jeunes, la Foi est un apprentissage du regard. Et l’on peut arriver à voir ici bas à travers les choses sensibles des choses plus grandes encore. On peut voir à travers une pauvre dame âgée avec son chapelet ou l’émerveillement d’un enfant le jour de sa première communion la puissance de vie du Ressuscité, plus fort que la mort.
C’est un double regard à demander à Jésus : celui de Jésus sur nous, un regard d’amour absolu :
« Il la regarda et il l’aima. »
C’est aussi le cas de Jean, et de nous sur Jésus :
« Il vit et il crut… »
On sait bien qu’il n’a rien pu voir en tant que tel, à part le tombeau vide. Mais en réalité, il a vu la splendeur de Jésus en chemin.
Frères et sœurs, il me semble que l’expérience de la vie éternelle que nous pouvons recevoir dans notre cœur ce dimanche est bien une expérience de fécondité et de bonheur et nous pouvons déjà apprendre à la vivre et cela passe par la qualité de notre regard. Cela commence déjà entre nous, entre parents, entre enfants, entre frères. Que de regards plus ou moins fuyants parce que l’on a peur, que l’on ne croit pas assez, on ne voit que ce qui va pas à cause des déformations, et cela empêche le Seigneur de Se manifester dans Sa plénitude sur cette terre.
Lorsqu’un regard d’amour s’échange entre amis, il y a toujours une sorte de révélation qui se manifeste, quelque chose de plus grand parce que c’est partagé, un chemin à la fois visible – par ces regards échangés que l’on voit – et à la fois invisible.
Être regardé et regarder sont des choses qui font exister, cela permet d’entrer en communion, et c’est ce que Jésus essaye de faire avec nous à travers Sa parole.
Frères et sœurs, c’est bien une grâce à demander aujourd’hui, et à faire fructifier dans nos vies où que nous soyons, que nous soyons seuls, mariés, prêtre, frère, enfant ou plus âgé. Nous avons à apprendre à regarder et à se laisser regarder par Jésus. Il est toujours avec nous, compagnon de notre route.
Le premier lieu pour Le retrouver est le temps d’adoration, c’est important d’en prendre dans le silence, de méditer la Parole, c’est là où apprend à regarder Jésus et à se laisser regarder.
C’est aussi là que l’on apprend à se laisser regarder entre nous, c’est un peu plus compliqué, c’est vrai, et à aller au delà des indifférences, des suspicions, et à employer ce regard des tout petits qui ont ce regard d’émerveillement à la suite de Marie. Il y a aussi ce regard assez fou, à la suite des Saints, ainsi que celui du pardon. C’est important. Nous avons beaucoup de regards manqués chaque jour, et il faut tout de suite revenir à la confession pour que Jésus nous délivre de tout ce qui nous empêche de vivre cette espérance pour qu’un jour au Ciel cela éclate en plénitude.
Oui, il y a un lien entre ce qu je vis aujourd’hui et ce que je vivrai un jour au Ciel.
Que Marie, porte du Ciel, qui est au milieu de nous en ce matin – et le fera toujours – puisse intervenir dans notre vie pour que nous puissions ouvrir notre regard, nos yeux aux splendeurs de la Parole, aux splendeurs de la vie, comme dit le psaume, en attendant son plein accomplissement le jour de notre mort terrestre, le moment le plus important de notre vie.
Merci à Claire, merci à Hippolyte, merci à chacun d’entre vous, frères et sœurs, parce que j’ose le dire, vous êtes aujourd’hui pour moi de splendides clins d’œil de la vie éternelle.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Deuxième livre des Maccabées 7,1-2.9-14.
- Psaume 17(16),1ab.3ab.5-6.8.15.
- Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 2,16-17.3,1-5.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 20,27-38 :
En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent :
— « Maître, Moïse nous a prescrit : ‘Si un homme a un frère qui meurt en laissant une épouse mais pas d’enfant, il doit épouser la veuve pour susciter une descendance à son frère.’
Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi.
Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Jésus leur répondit :
— « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection.
Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur ‘le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.’
Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »