Éléments pour une spiritualité du travail
24. Rôle particulier de l’Eglise
Etant donné que le travail dans sa dimension subjective est toujours une action personnelle il en découle que c’est l’homme tout entier qui y participe, avec son corps comme avec son esprit, indépendamment du fait qu’il soit un travail manuel ou intellectuel. Il faut l’effort intérieur de l’esprit guidé par la foi, l’espérance et la charité, pour donner au travail de l’homme concret le sens qu’il a aux yeux de Dieu Si l’Eglise considère comme son devoir de se prononcer au sujet du travail du point de vue de sa valeur humaine et de l’ordre moral dont il fait partie, elle voit en même temps qu’elle a le devoir particulier de former une spiritualité du travail susceptible d’aider tous les hommes à s’avancer grâce à lui vers Dieu,
25. Le travail comme participation à l’oeuvre du Créateur
Comme dit le Concile Vatican II, « pour les croyants, une chose est certaine : l’activité humaine, individuelle et collective, le gigantesque effort par lequel les hommes s’acharnent à améliorer leurs conditions de vie, correspond au dessein de Dieu. L’homme, créé à l’image de Dieu, a en effet reçu la mission de soumettre la terre et tout ce qu’elle contient, et en reconnaissant Dieu comme Créateur de toutes choses, de lui référer son être ainsi que l’univers : en sorte que, tout étant soumis à l’homme, le nom même de Dieu soit glorifié par toute la terre »(27). L’oeuvre même de la création est présentée sous la forme d’un « travail » accompli par Dieu durant « six jours »(28) et aboutissant au « repos » du septième jour. Chaque jour de la création s’achève par l’affirmation : « Et Dieu vit que cela était bon L’homme doit imiter Dieu lorsqu’il travaille comme lorsqu’il se repose, étant donné que Dieu lui-même a voulu lui présenter son oeuvre créatrice sous la forme du travail et sous celle du repos. Il est fondé à voir dans son travail un prolongement de l’oeuvre du Créateur, un service de ses frères.La conscience de participer par le travail à l’oeuvre de la création constitue la motivation la plus profonde pour l’entreprendre dans divers secteurs
26. Le Christ, l’homme du travail
Cette vérité d’après laquelle l’homme participe par son travail à l’oeuvre de Dieu lui-même, son Créateur, a été particulièrement mise en relief par Jésus-Christ, ce Jésus dont beaucoup de ses premiers auditeurs à Nazareth « demeuraient frappés de stupéfaction et disaient : "D’où lui vient tout cela ? Et quelle est la sagesse qui lui a été donnée ? … N’est-ce pas là le charpentier ?" »(40). En effet, Jésus proclamait et surtout mettait d’abord en pratique l’« Evangile » qui lui avait été confié, les paroles de la Sagesse éternelle. Pour cette raison, il s’agissait vraiment de l’« évangile du travail » parce que celui qui le proclamait était lui-même un travailleur, un artisan comme Joseph de Nazareth. Il appartient au « monde du travail » ; il apprécie et il respecte le travail de l’homme ; on peut même dire davantage : il regarde avec amour ce travail ainsi que ses diverses expressions, voyant en chacune une manière particulière de manifester la ressemblance de l’homme avec Dieu Créateur et Père. L’Eglise a toujours proclamé ce dont nous trouvons l’expression contemporaine dans l’enseignement de Vatican II : « De même qu’elle procède de l’homme, l’activité humaine lui est ordonnée. De fait, par son action, l’homme ne transforme pas seulement les choses et la société, il se parfait lui-même. Il apprend bien des choses, il développe ses facultés, il sort de lui-même et se dépasse. Cette croissance, si elle est bien comprise, est d’un tout autre prix que l’accumulation de richesses extérieures… Voici donc la règle de l’activité humaine : qu’elle serve au bien authentique de l’humanité et qu’elle permette à l’homme de développer et de réaliser sa vocation dans toute sa plénitude »(79).
27. Le travail humain à la lumière de la croix et de la résurrection du Christ
Tout travail, qu’il soit manuel ou intellectuel, est inévitablement lié à la peine. Le Livre de la Genèse exprime ce fait de manière vraiment pénétrante en opposant à la bénédiction originelle du travail, contenue dans le mystère même de la création et liée à l’élévation de l’homme comme image de Dieu, la malédiction que le péché porte avec lui : « Maudit soit le sol à cause de toi ! Avec peine tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie »(81). Cette peine liée au travail indique la route que suivra la vie de l’homme sur la terre et constitue l’annonce de sa mort : « A la sueur de ton front tu mangeras ton pain jusqu’à ce que tu retournes à la terre car c’est d’elle que tu as été tiré… »(82). La sueur et la peine que le travail comporte nécessairement dans la condition présente de l’humanité offrent au chrétien et à tout homme qui est appelé, lui aussi, à suivre le Christ, la possibilité de participer dans l’amour à l’oeuvre que le Christ est venu accomplir(85). Cette oeuvre de salut s’est réalisée par la souffrance et la mort sur la croix. En supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié pour nous, l’homme collabore en quelque manière avec le Fils de Dieu à la rédemption de l’humanité. Il se montre le véritable disciple de Jésus en portant à son tour la croix chaque jour(86) dans l’activité qui est la sienne. Dans le travail de l’homme, le chrétien retrouve une petite part de la croix du Christ et l’accepte dans l’esprit de rédemption avec lequel le Christ a accepté sa croix pour nous. Dans le travail, grâce à la lumière dont nous pénètre la résurrection du Christ, nous trouvons toujours une lueur de la vie nouvelle, du bien nouveau, nous trouvons comme une annonce des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle »(88) auxquels participent l’homme et le monde précisément par la peine au travail. Par la peine, et jamais sans elle. D’une part, cela confirme que la croix est indispensable dans la spiritualité du travail ; mais, d’autre part, un bien nouveau se révèle dans cette croix qu’est la peine, un bien nouveau qui débute par le travail lui-même, par le travail entendu dans toute sa profondeur et tous ses aspects, et jamais sans lui. Dans ces réflexions consacrées au travail de l’homme, nous avons cherché à mettre en relief tout ce qui semblait indispensable, étant donné que, grâce au travail, doivent se multiplier sur la terre non seulement « les fruits de notre activité » mais aussi « la dignité de l’homme, la communion fraternelle et la liberté »(91). Puisse le chrétien qui se tient à l’écoute de la parole du Dieu vivant et qui unit le travail à la prière savoir quelle place son travail tient non seulement dans le progrès terrestre, mais aussi dans le développement du Royaume de Dieu auquel nous sommes tous appelés par la puissance de l’Esprit Saint et par la parole de l’Evangile !