Texte de la conférence
Le coût personnel est considérable allant jusqu’à plusieurs mois ou années d’arrêt. Le BO est encore mal connu et reconnu, difficile à être diagnostiqué comme maladie professionnelle. En France, seules quelques dizaines de cas sont reconnus comme incapacitants.
Le coût social est aussi très lourd. Plus de la moitié des journées de travail perdues étaient dues au stress professionnel. Or le stress est une de causes du BO mais pas la seule.
Qu’est-ce qu’un burn-out
En Anglais, cela signifie « griller », « s’user », « s’épuiser ». C’est une technique utilisée dans l’aérospatiale pour décrire l’état des réservoirs de kérosène largués après le décollage, une fois grillé le carburant. Le BO a donné en français « brûler ses réserves », « se consumer ». Le terme le plus célèbre est en japonais Karoshi, qui veut dire "mort par fatigue au travail", qui touche des milliers de personnes au Japon.
L’état ultime c’est la destruction des glandes surrénales qui secrètent l’hormone du stress. Ce cas ultime n’est pas vu en France.
La définition
C’est l’ouvrage de Christina Maslach et Susan Jackson en 1986 qui fait référence. Leur définition est la suivante : « Syndrome d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de diminution de l’accomplissement personnel d’une personne au travail ».
Voici une autre définition, plus large que les seuls symptômes psychologiques :
« État d’épuisement physique, émotionnel et mental causé par une implication sur le long terme dans des situations émotionnellement exigeantes ».
À chaque fois on donne des signes et non une définition. C’est pourquoi le BO est un syndrome, c’est-à-dire un ensemble organique de symptômes.
Le consensus se fait autour de 3 aspects.
Comment détecter le burn-out ?
L’épuisement émotionnel
Le 1er symptôme est l’absence de joie et d’entrain. C’est l’aspect affectif du processus.
L’épuisement se traduit par l’absence totale d’énergie pour le travail avec une carence de la volonté par absence de motivation et donc d’élan vers un idéal. Un des symptômes c’est l’incapacité à accomplir les gestes simples de la vie quotidienne. Le cerveau patine, ne répond plus…
La dépersonnalisation
Le 2e symptôme est interpersonnel. Alors qu’au début le salarié s’engageait dans les relations avec ses élèves, patients, clients, il s’en désinvestit, il se tient désormais à distance.
Cela peut s’accompagner d’une amertume à l’égard de l’institution, d’une critique systématique, d’un cynisme.
Il tend à moins s’ouvrir pour moins souffrir. Le mot désengagement serait plus pertinent.
La diminution de l’accomplissement personnel
Le 3e symptôme touche la personne elle-même. Elle se convainc de son inaptitude, de son incompétence. Elle a l’impression d’échec, de dégringolade d’estime de soi et de confiance en soi.
Dans un cas extrême, on entend dire : « Je n’avais qu’un désir : me coucher ».
Il peut y avoir un ou plusieurs de ces symptômes qui vont ensemble. Les moyens du diagnostic sont donnés p 27 du livre.
Les signes du burn-out
Des chercheurs américains en ont établi 132 signes que l’on peut ranger comme suit :
- Manifestations émotionnelles : Le symptôme est l’épuisement. La personne est vidée de ses réserves mais aussi des réserves de ses réserves. Peuvent apparaître une absence de goût, du stress, et une tension continus, de l’irritabilité et de l’agressivité au travail, de la tristesse voire du désespoir.
Notons que le BO est différent de la dépression sur le plan affectif. - Manifestations cognitives : Difficulté de concentration, erreur de jugement inhabituelles (pas par manque d’expérience ou ignorance), impuissance au travail, prise au piège (trapped). Ceci peut s’accompagner d’une diminution de l’engagement auprès des personnes dont elles ont la charge, alors qu’au début il y avait un surinvestissement.
- Manifestations somatiques : Les deux premières sont psychologiques : transpiration, affaiblissement des défenses immunitaires, douleurs musculaires et squelettiques (maux de dos), maux de ventre voire ulcère, trouble du sommeil.
- Manifestations motivationnelles : Cela touche la volonté comme capacité de motivation. On peut remarquer un grand décalage entre l’enthousiasme du début et l’abattement à l’arrivée. En amont, il y avait souvent une vision idéalisée du projet avec un zèle désintéressé ; à l’arrivée, c’est la désillusion, la désidéalisation et la résignation.
- Manifestations comportementales : Mauvaise hygiène de vie, conduites addictives, risque suicidaire. Il peut y avoir un retentissement sur les enfants, le conjoint et les amis. On note encore une tendance à l’enfermement, l’absentéisme, la détérioration des performances, la négativité.
- Ressemblance et différence avec une dépression : Le BO est généré par le secteur professionnel, alors que la dépression affecte toutes les dimensions de la vie et peut être généré par une rupture amoureuse. Certains aspects de la dépression comme la culpabilité massive ne font pas partie du BO.
Il y a des liens entre les deux maladies, mais ce ne sont pas des concepts redondants.
Les étapes
Elles sont au nombre de 4 ou 5 selon les auteurs :
- Enthousiasme,
- Stagnation,
- Frustration,
- Apathie,
ou : - honneymoon-enthousiasme,
- baisse d’énergie avec stratégies d’évitement,
- phase d’épuisement,
- phase critique et BO (qui est un état et non un processus).
Le BO est un ratage du don, une maladie du don
- Des explications partielles : Il y a trois grandes théories : individuelles, interpersonnelles, organisationnelles. La première est intime à la personne et le deux autres extérieures.
- L’hypothèse de l’auteur : le BO est un ratage du don, une maladie du don. Le problème serait lié à l’amour don mal orienté et mal vécu. Plusieurs éléments penchent en cette faveur.
- Les sujets atteints : Ce sont des professions de relation d’aide (santé, éducation, social, religieux…). Ce sont des personnes empathiques, en demande émotionnelle.
- Les motivations initiales : Portées par une grande générosité, ces personnes voient leur métier comme un sacerdoce, avec grand sens de l’idéal, de l’exaltation. Le BO est une pathologie de l’idéal. Plus l’idéal est élevé plus la chute est dure. La personne passe du désintéressement au désintérêt…
- Manque de reconnaissance : 9% des médecins se sentent incompris de la société actuelle (enquête du Généraliste en 2011). La reconnaissance est tellement centrale qu’elle est équivalente au don.
- Le paradoxe du BO : Il reconnaît son épuisement mais redit son admiration pour la profession : une infirmière en BO dira c’est le plus beau métier du monde ; un prêtre en BO se dira heureux mais épuisé…
Il y a une tension paradoxale dans les BO. Elle est aidante et devient aidée.
– Une explication théologique : L’acédie : le BO ne serait-il pas une forme sécularisée de l’acédie ? Akédia en grec ou acedia en latin chez les Pères du désert, c’est la tristesse et la lassitude du moine et l’ermite dans les exercices quotidiens l’unissant à Dieu. C’est un dégoût, une tristesse paradoxale éprouvé en présence de ce qui devrait nous donner la joie : le Bien suprême, Dieu.
Il y a un parallèle à faire entre l’acédie et le BO même si l’un vient de la foi et l’autre de la raison. Evagre le Pontique p. 50 liste une série de caractères de l’acédie qui ressemble étrangement au BO. Il évoque l’acédie comme un « surtravail ». (Fin p 51).
L’acédie est par excellence la maladie de l’amour. Saint Thomas d’Aquin dit que l’acédie est un certain dégoût d’agir. Une tristesse à propos du bien divin. L’acédie se distribue en deux dysfonctionnements : la dépression et la paresse, qui sont des pathologies de l’effort.
Le don un moteur à trois temps
Le BO - comme l’acédie - touche le dynamisme le plus intime de l’homme : sa capacité d’aimer. Mais qu’est-ce qu’aimer ?
L’amour comme don :
L’amour est initiative, générosité, gratuité, don de soi. Il est une énergie qui meut l’action de l’homme. Comme il est le moteur de l’action il peut être rapproché du BO et de l’acédie.
L’amour et le don est un moteur à trois temps :
Recevoir, s’approprier ce qu’on a reçu puis donner l’amour assimilé. L’image du canal et de la vasque. Il faut passer du don reçu au don de soi. Ce passage se fit par le don pour soi. C’est l’appropriation, c’est la profondeur dans laquelle le don reçu va tomber et porter des fruits. Le don obéit à un processus, à une marche progressive. Pour être offert il doit être approprié.
Une vision de la personne humaine :
Le concile Vatican II a un passage d’une énorme densité.
« L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver lui-même que dans le don sincère de lui-même. »
(Gaudium et spes)
Cette conception trinaire du don s’est développée dans une révélation judéo-chrétienne.
Capacité qu’à l’homme de poser des actes effectivement et non idéalement désintéressés.
Une nouvelle lecture du BO
- Le BO c’est le « mal-don ». La personne s’est trop donnée, elle ne s’est pas aperçue qu’elle s’épuisait. Elle ne s’est pas ressourcée, elle n’a pas gardé en mémoire les signe de reconnaissance, et souffre d’un déficit d’estime et de confiance en soi. Cette personne n’a pas donné en vérité, en cherchant un retour, une compensation, d’où l’amertume ressentie.
La différence entre une religieuse infirmière et une mère de famille infirmière, c’est la place laissée à la contemplation. - Le BO est un don mal vécu mais non pas la fin d’une logique de don. Cela tord le cou à ceux qui veulent déconstruire la générosité et la réduire à une routine. On a voulu casser ce qui pouvait être la vocation de ces métiers d’aide et, par cynisme, les fonctionnariser : surtout ne pas en faire plus, tuer la générosité du don.
Ce n’est pas parce qu’il y a une pathologie du don que le don est pathologique. Ce n’est pas le don qui est défaillant mais sa pratique. Ce n’est pas le désintéressement qui est en cause mais sa démesure généreuse. - Pour sortir du BO, il faut se départir du don blessant - et mais pas du don tout court - pour retrouver le don authentique.
Il faut purifier le don de soi et non l’amputer.