Avant de commencer, je voudrais vous faire part de ma manière d’aborder les différents sujets de façon générale. Tout d’abord, de la manière philosophique, puis en regard de la psychologie et enfin de façon spirituelle, sous le regard la parole de Dieu et de la tradition de l’Église sur le sujet en question.
Pour traiter ce sujet si important, je vais employer les mêmes méthodes :
- Pour ce qui est de la façon philosophique, j’ai été formé à l’école d’Aristote et de Saint Thomas d’Aquin.
Aristote - 4e siècle avant Jésus-Christ - est un fin de observateur de la nature humaine. Il faut savoir qu’Aristote est celui a rédigé le premier traité de psychologue au monde, avec les moyens qu’il avait à l’époque, et c’est admirable, car il fait encore école, et c’est tout à fait admirable. Et il a parlé de la question de la colère.
En ce qui concerne Saint Thomas d’Aquin, il a commenté Aristote est c’est lui qui a fait le premier lien entre la foi et la raison. C’est grâce à lui qu’on pu avoir le lien entre la philosophie et la psychologie. - Au sujet de la psychologie, je me suis également formé comme thérapeute pour couple pendant quatre ans à l’école de la psychologie que l’on appelle « systémique ». Cette science est plus récente et étudie les relations que nous avons entre nous. Elle étudie nos réactions, notre caractère et la manière dont nous éprouvons nos sentiments et les rapporte aux relations que nous avons les uns aux autres, à la différence de l’analyse - appelée aussi psychanalyse - qui part plutôt d’une introspection personnelle voire transgénérationnelle.
- Enfin, comme prêtre, je me base sur la parole de Dieu qui est comme une lumière qui nous éclaire dans notre manière d’agir.
Dans ce thème particulier : « que faire de ma colère », nous pouvons voir que la colère est une question assez ambivalente…
Texte de la conférence :
La colère, une notion ambivalente
En effet, lorsque l’on reprend les fruits du Saint Esprit, on voit bien que la colère est contraire à la maîtrise de soi. Comme le recommande de Saint Paul :
« Rejetez tout cela : colère, emportement. » (Col 3, 8)
Le Christ nous dit dans une béatitude :
« Bienheureux les doux, ils auront la terre en héritage. » (Mt 5, 4)
Il va même jusqu’à déclarer que toute personne qui se met en colère contre son frère sera jugé au tribunal…
A ce sujet, l’exhortation de Saint François de Sales est éloquente :
« Je vous le dis nettement et sans exception, ne vous courroucez point du tout. »
Cependant, Saint Bernard va dans le sens contraire :
« Ne point s’irriter quand il faut, ne pas vouloir faire une correction nécessaire, est un péché. »
Ou encore :
« La colère des hommes te rend gloire. » (Ps 76, 11)
Lors de la guérison de l’homme à la main desséchée, il est dit que Jésus promène sur les pharisiens « un regard de colère » (Mc 3,5). Et l’on se souvient bien de Sa réaction face aux marchands du temple (Jn 2, 13-16)…
Définition de la colère :
Aristote dénombre onze émotions qui se distinguent selon le temps (futur ou présent) et selon le bien ou le mal qui se présente à vous. Ces émotions, qu’il appelle les passions de l’âme, nous les avons en commun avec les animaux. En voici la liste : amour, haine, désir, fuite, plaisir, tristesse, espoir, audace, désespoir, crainte et colère.
En tant que telles, les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises. Tout dépend ce qu’on en fait. L’homme garde son libre arbitre.
Certaines éducations ont voulu donner une valeur morale aux émotions. Cela a eu pour conséquence de ne pas s’autoriser à ressentir des émotions qualifiées comme négatives (tristesse, fuite, haine, désespoir et colère). Dans les milieux catholiques, on qualifiait volontiers de bon chrétien celui qui ne ressentait que les émotions positives (amour, espoir, audace…). Il faut dire que les évangiles sont plutôt discrets sur les émotions de Jésus et particulièrement sur les émotions négatives. Cela a entraîné chez certains fidèles une méfiance de la psychologie allant même jusqu’à faire ce jeu de mots : le senti ment…
Nous croyons que le Christ est vrai homme et vraiment Dieu. On peut donc penser qu’il a ressenti toutes les émotions humaines sans pécher pour autant. Il n’y a rien de mal à éprouver les émotions et à les nommer, même et surtout pour les motions négatives. Cela peut même dénouer des liens qui empêche la volonté d’agir pour faire le bien et éviter le mal.
Mettre le couvercle sur les sentiments, c’est agir sans tenir compte qu’une autre lecture est possible : derrière l’émotion se cache l’expression d’un besoin. La peur exprime par exemple un besoin de sécurité, la colère un besoin de respect et de considération, la tristesse un besoin de réconfort et le plaisir un besoin de partage
Colère et discernement
Pour Aristote elle se déclenche face à un mal qui est présent. Quand vous avez été victime d’un licenciement abusif, la colère monte en vous comme un torrent de lave avec la force du volcan. Quand vous retirez à votre chien sa pâtée alors qu’il mange, vous l’entendez grogner, prêt à mordre. Il est en colère. Dans les deux cas, il s’agit d’un mal présent.
Quand il introduit la distinction entre bien et mal pour nommer les émotions, Aristote nous invite à un discernement : qu’est-ce qui est bien ? qu’est-ce qui est mal ? De même qu’il peut avoir un bien illusoire, il peut y avoir un mal illusoire. Si je me mets en colère quand le gendarme m’arrête à la suite d’un excès de vitesse, je fais preuve d’un manque de discernement. Je vois l’amende et le retrait de points comme un mal alors qu’ils ont une vertu pédagogique et dans ce sens ils sont tous les deux bons. Mon ire n’est pas justifiée. Elle est le signe de ma susceptibilité froissée car j’ai été pris la main dans le sac. Je me suis senti humilié devant les occupants de la voiture. Cette colère est le signe d’un orgueil mal placé. C’est cette colère que la Bible et les auteurs spirituels dénoncent comme étant un péché capital.
Colère et péché capital
Qu’est-ce qu’un péché capital ? Prenons l’exemple de l’excès de vitesse…
Quand la colère devient-elle juste ?
Voilà des exemples qui peuvent engendrer une vraie rage car dans la colère juste il y a un désir de rétablir la justice. Mais il ne suffit pas que le mal soit un vrai mal, et qu’il soit présent, pour justifier un emportement. Il faut que l’intention soit droite, l’objet juste et la réaction proportionnée. C’est uniquement quand ces trois caractéristiques sont réunies que l’on peut parler de colère juste.
Cette colère on l’appellera indignation.
Il est des situations où l’indignation est de mise. Une colère purifiée mise au service de la justice est alors le signe d’une grande âme plein d’empathie qui se laisse touchée par l’injustice qui frappe. À la racine des grands combats pour l’équité, il y a toujours une saine colère. Le 13 novembre 1956, date historique outre-Atlantique, puisque c’est le jour où la Cour suprême des États-Unis a déclaré illégale la ségrégation dans les transports publics. En l’occurrence, il s’agissait des autobus de l’Alabama. Autant vous dire que cette décision a marqué une étape décisive dans la conquête des droits civiques par les Afro-américains.
Tout est parti d’une femme dont la bronca a été le carburant de son courage. Cela illustre la véracité de ce propos d’Hegel « rien de grand dans ce monde ne se fait sans passion ». On peut clairement remplacer passion par colère.
Que serait le monde sans Rosa Parks, Nelson Mandela et Lech Walesa
Pécher par manque de colère…
Mais il y a un discernement à faire pour savoir si ce combat est mon combat. Nous ne sommes pas des sauveurs. Celui qui veut monter au front doit passer sa décision au crible de l’hexamètre de Quintilien.
Quintilien est un rhéteur et pédagogue latin du premier siècle de notre ère. Face à un problème où à une décision à prendre il invite le décisionnaire à se poser 7 questions : Quoi ? Qui ? Où ? comment ou avec quels moyens ? Pourquoi ? Combien ? Quand ?
Avant de se lancer sabre au clair dans un conflit pour une juste cause, il convient de discerner en donnant réponse à ces questions. C’est aussi l’invitation de Jésus :
« Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ?
S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix. » (Lc 14, 31-32) )]
Déni de colère
Si certains pèchent par manque de courage, il y en a d’autres qui ne prennent même pas conscience de la rage qui les habite. Ils s’enferment dans l’indifférence alors que nous sommes faits pour aimer ou pour haïr. L’indifférence ne fait pas partie des émotions. Le déni de colère c’est cette colère sourde qui se drape d’indifférence et n’ose pas dire son nom. La colère ne se confond pas avec l’emportement qui est visible.
Il peut y avoir une très grosse colère enfouie dans notre sensibilité mais dont notre corps et notre psychisme sera un jour victime. Les exemples ne manquent pas. Ce patron agacé qu’un de ces salariés arrive systématiquement en retard. Il en fait la remarque autour de lui. Quand on lui dit : « Êtes-vous en colère ? » il répond « mais non pas du tout ».
C’est ce que le père Pascal Ide rappelle dans son livre :
La colère sourde, les bouderies sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont rentrées.
La colère et le corps
L’émotion, si elle naît dans l’imagination, termine dans le corps. Si on ne s’autorise pas la colère, c’est le corps qui réagit. C’est ce qu’on appelle les maladies psychosomatiques quand il s’agit d’émotions inhibées qui s’expriment autrement : contractions, ulcères à l’estomac, rigidité musculaire, mal de dos, raideurs, mal au ventre, à la tête. Le trouble lié aux émotions rentre dans le diagnostic de certaines maladies psychiatriques. Ainsi le déficit d’identification des émotions faciales témoigne des difficultés rencontrées par les patients bipolaires. La nature émotionnelle du stimulus pourrait influencer un fonctionnement cognitif perturbé.
Parce que nous sommes un tout unifié, corps, sensibilité, intelligence et volonté, il convient de donner aux émotions la place qui leur revient.
Accepter sa colère et refuser de se venger
Accepter sa colère due à une blessure est indispensable car sans cela, elle pourrit et se transforme en haine et ressentiment.
La colère a des aspects positifs. C’est une étape du pardon. C’est une sonnette d’alarme.
N’oublions pas les Effets néfastes de la colère refoulée. : on peut retourner sa colère contre soi-même. Des personnes s’interdisent le moindre mouvement de colère, refusent le conflit ne sont pas forcément sur le bon chemin.
La colère s’étouffe aussi parfois dans l’indifférence.
Il faut parfois sortir du bourbier émotionnel en renouant avec la colère réprimée et lui donner une juste expression…
Il y a aussi la question de la vengeance : plus on la refoule plus elle devient obsessionnelle. Les émotions s’imposent d’autant plus qu’on veut les chasser !
La colère refoulée devient anarchique, incontrôlable aussi longtemps que la personne refuse d’en prendre conscience et tente de la fuir. Il faut l’apprivoiser.
Dans l’affirmation colérique de soi même de manière, on cherche peut-être à se mettre au service de l’amour. Parfois on voit la colère comme une manière de garder sa dignité et d’éviter de s’exposer à d’autres humiliations de la part de l’offenseur. Il y a peut-être d’autres manière de préserver sa dignité que de se laisser dévorer par la « bronca ».
Comment exprimer et recevoir la colère ?
La communication non violente est un bon outil pour avancer en la matière.
Il y a 4 étapes : observation des faits, expression des sentiments (voir liste), les besoins qui sont à l’origine des sentiments (voir liste). Formulation d’une demande qui n’est pas une exigence et à laquelle on peut dire non.
Il est nécessaire de pratiquer l’humilité et dés-idéaliser. La colère vient de la différence entre le monde tel qu’il doit être selon moi et le monde tel qu’il est en réalité. Cela vient des croyances sur le monde tel qu’il doit être.
Dans la colère il y a des reproches. Souvent dans la colère on est coupé de ses besoins qui crient très fort.