Homélie du dimanche de la Sexagésime

10 février 2015

Dimanche 8 février 2015 - Forme extraordinaire du rite romain.

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Texte de l’homélie :

Mes biens chers Frères,

Les catholiques sont tellement habitués à l’échec, ils ont tellement pris l’habitude de capituler en rase campagne, qu’ils ne sont plus capables de prendre au sérieux la parole de saint Paul. _ Et pourtant l’apôtre, son exemple, sa parole de feu devraient nous aider et nous éclairer alors que nous sommes dans le temps liturgique qui nous prépare plus immédiatement au temps béni et sanctifiant du Carême. Trop souvent en effet, pour excuser nos échecs, pour expliquer le désastre actuel, nous regorgeons de bonnes raisons et d’alibis faciles. Les temps sont trop durs, les gens trop indifférents, L’Église trop faible, les moyens mis à notre disposition trop dérisoires.
Ah, si nous avions des instruments adaptés à la grandeur de notre mission apostolique ; ce n’est pas la bonne volonté qui manque, mais il faut bien reconnaître que les circonstances ne nous sont point favorables…
Voilà pourquoi nous nous décourageons, nous geignons, nous nous plaignons et nous ne faisons plus rien.

Et pourtant il nous suffirait de nous tourner vraiment, sincèrement vers Dieu. Nous ne pouvons arguer de notre faiblesse, de notre médiocrité, de la pauvreté des moyens mis à notre disposition. En effet, nous entendrions immédiatement Notre Seigneur nous dire, comme il le fit pour l’apôtre : Ma grâce te suffit, car ma puissance éclate dans ta faiblesse ! Dieu manifeste sa puissance, son autorité et son amour par la plus grande faiblesse qui soit.
Car ce qui est vrai du disciple, de tout disciple, c’est-à-dire de tout baptisé, est vrai, se réalise d’abord, pleinement et suprêmement dans le Christ lui-même. Quelle est la plus grande faiblesse qui soit, sinon celle de la croix : le Fils de Dieu lui-même, humilié, battu, hagard, qui semble n’avoir plus rien qui fait la dignité de l’homme, abandonné de tous, en but à un véritable déferlement de haine et de misère, c’est dans cette misère que nous contemplons, que nous est communiqué la puissance même de Dieu, la victoire de l’amour incréé, le triomphe de la sagesse divine.

Nous comprenons mieux pourquoi est proposé à notre méditation ce passage de la deuxième épitre aux Corinthiens. La liturgie du Carême, le temps de la passion, nous conduit à contempler la croix, à affronter le mystère même du mal que Dieu vient sauver et guérir. Chaque fois que nous regardons un crucifix, chaque fois que nous participons de tout notre cœur au sacrifice de la messe, chaque fois que nous faisons un acte de foi et d’amour, nous sommes introduits dans ce grand mystère : nous contemplons la puissance de Dieu qui se déploie dans la faiblesse humaine, dans la plus grande faiblesse humaine qui soit, celle de Jésus pendu sur le gibet du calvaire. Dans un apparent désastre, voici que jaillit la lumière de l’espérance, l’assurance de la victoire, la certitude du triomphe divin.

Cette victoire, mes bien chers frères, est la nôtre depuis le jour de notre baptême. Nous avons en nous le principe et la source de la victoire. Si nous sommes ce matin en cette église, c’est parce que nous reconnaissons notre faiblesse, notre péché, notre incapacité, notre paralysie pour accomplir le bien et rejeter le mal. Mais au lieu de nous morfondre dans cette morne contemplation, nous savons que la puissance divine doit rayonner dans et par notre faiblesse.
Encore faut-il que nous accueillions cette présence, cette grâce, ce pardon et que nous ne mettions point d’obstacle à son influence et à son dynamisme. C’est dans l’accueil de notre faiblesse que nous pourrons porter comme saint Paul les marques de la passion bienheureuse de Notre Seigneur.

Lorsque nous prions vraiment, lorsque nous cherchons réellement à aimer le Seigneur et à accomplir sa volonté, lorsque nous nous mettons au service de nos frères pour leur communiquer la vie divine et l’Évangile, alors la puissance du Seigneur se manifeste à travers et malgré nos faiblesses.
En revanche, nous ne devons pas nous appuyer sur nos capacités naturelles ou les capacités du genre humain à se sauver lui-même. Prenons encore une fois exemple sur saint Paul. Il ne s’appuie ni sur sa condition de juif pieux, ni même sur ce qu’il a souffert, ni sur tout ce qu’il a réalisé comme apôtre du Seigneur.
Non, tout cela doit être considéré comme des balayures, dit-il dans une autre de ses lettres, car seul pour lui compte son attachement personnel au Christ et à sa doctrine, ce que nous appelons la foi. Au soir de sa vie, saint Paul considère que sa grande victoire, le meilleur résultat de toute sa vie, le combat ultime pour lui fut d’avoir conservé la foi.

Vous l’aurez donc bien compris, mes frères, rien en nous ne constitue un obstacle au triomphe de la puissance du Seigneur, sinon notre orgueil, notre volonté propre, le refus d’être sauvé, et donc d’être aimé par Dieu.
En revanche, durant tout le temps de la Passion, il nous est demandé de contempler la croix du Seigneur, la réalité de son supplice et la victoire de son amour. C’est ce que les auteurs spirituels appellent entrer dans les plaies de Notre Seigneur. Mais écoutons saint Bernard :

« Où donc notre fragilité peut-elle trouver repos et sécurité, sinon dans les plaies du Sauveur ? Je m’y sens d’autant plus protégé que son salut est plus puissant. L’univers chancelle, le corps pèse de tout son poids, le diable tend ses pièges : je ne tombe pas, car je suis campé sur un roc solide. J’ai commis quelque grave péché : ma conscience se trouble, mais elle ne perd pas courage, puisque je me souviens des plaies du Seigneur, qui a été transpercé à cause de nos fautes. Rien n’est à ce point voué à la mort que la mort du Christ ne puisse libérer. Dès que je pense à cette médecine si forte et si efficace, la pire des maladies ne m’effraie pas » (Cantique 61, 3-4).

Voilà, mes biens chers frères, ce qui constitue pour nous un excellent programme pour toutes les semaines qui viennent. En accueillant d’un cœur joyeux et disponible la grâce de la rédemption, nous serons cette bonne terre, cette terre féconde qui rend au centuple le bon grain semé en elle.
Que notre désir de conversion et de purification soit agréé par Dieu, pour sa gloire et notre salut.

Ainsi soit-il.


Références des lectures du jour :

Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,19-33.12,1-9 :

Frères, vous supportez si bien les fous, vous qui êtes des hommes sensés !
Vous supportez bien qu’on vous asservisse, qu’on vous dévore, qu’on vous pille, qu’on vous traite avec arrogance, qu’on vous frappe au visage.
Je le dis à ma honte, nous avons été bien faibles ! Cependant, de quoi que ce soit qu’on ose se vanter, — je parle en insensé, moi aussi je l’ose.
Sont-ils Hébreux ? Mois aussi, je le suis. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d’Abraham ? Moi aussi.
Sont-ils ministres du Christ ? — Ah ! je vais parler en homme hors de sens : — je le suis plus qu’eux : bien plus qu’eux par les travaux, biens plus par les coups, infiniment plus par les emprisonnements ; souvent j’ai vu de près la mort ;
cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un ;
trois fois, j’ai été battu de verges ; une fois j’ai été lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage ; j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme.
Et mes voyages sans nombre, les périls sur les fleuves, les périls de la part des brigands, les périls de la part de ceux de ma nation, les périls de la part des Gentils, les périls dans les villes, les périls dans les déserts, les périls sur la mer, les périls de la part des faux frères, les labeurs et les peines, les nombreuses veilles, la faim, la soif, les jeûnes multipliés, le froid, la nudité !
Et sans parler de tant d’autres choses, rappellerai-je mes soucis de chaque jour, la sollicitude de toutes les Églises ?
Qui est faible que je ne sois faible aussi ? Qui vient à tomber sans qu’un feu me dévore ? S’il faut se glorifier, c’est de ma faiblesse que je me glorifierai.
Dieu, qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et qui est béni éternellement, sait que je ne mens point.
A Damas, l’ethnarque du roi Arétas faisait garder la ville pour se saisir de moi ; mais on me descendit par une fenêtre, dans une corbeille, le long de la muraille, et j’échappai ainsi de ses mains.
Faut-il se glorifier ? Cela n’est pas utile ; j’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur.
Je connais un homme dans le Christ qui, il y a quatorze ans, fut ravi jusqu’au troisième ciel (si ce fut dans son corps, je ne sais ; si ce fut hors de son corps, je ne sais : Dieu le sait).
Et je sais que cet homme, si ce fut dans son corps ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait, fut enlevé dans le paradis, et qu’il a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de révéler.
C’est pour cet homme-là que je me glorifierai ; mais pour ce qui est de ma personne, je ne me ferai gloire que de mes faiblesses.
Certes, si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité ; mais je m’en abstiens afin que personne ne se fasse de moi une idée supérieure à ce qu’il voit en moi ou à ce qu’il entend de moi.
Et de crainte que l’excellence de ces révélations ne vînt à m’enfler d’orgueil, il m’a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter, afin que je m’enorgueillisse point.
A son sujet, trois fois j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi,
et il m’a dit : « Ma grâce te suffit, car c’est dans la faiblesse que ma puissance se montre tout entière. » Je préfère donc bien volontiers me glorifier de mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 8,4-15 :

En ce temps-là, comme une foule nombreuse se rassemblait, et que de toutes les villes on venait à Jésus, il dit en parabole :
« Le semeur sortit pour semer sa semence ; et, pendant qu’il semait, du grain tomba le long du chemin ; il fut foulé aux pieds, et les oiseaux du ciel le mangèrent.
D’autre tomba sur de la pierre, et, après avoir poussé, se dessécha, parce qu’il n’avait pas d’humidité.
D’autre tomba dans les épines, et les épines poussant avec, l’étouffèrent.
D’autre tomba dans la bonne terre, et, après avoir poussé, donna du fruit au centuple. »
Parlant ainsi, il clamait : " Qui a des oreilles pour entendre, entende ! "

Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole :
« À vous, leur dit-il, il a été donné de connaître les mystères du royaume de Dieu ; mais pour les autres, c’est en paraboles, pour que regardant ils ne voient point, et qu’écoutant ils ne comprennent point.
Voici ce que signifie la parabole : La semence, c’est la parole de Dieu.
Ceux qui sont le long du chemin sont ceux qui ont entendu ; ensuite le diable vient, et il enlève la parole de leur cœur, de peur qu’ils ne croient et ne se sauvent.
Ceux qui sont sur de la pierre sont ceux qui, en entendant la parole, l’accueillent avec joie ; mais ils n’ont point de racine : ils croient pour un temps, et ils se retirent à l’heure de l’épreuve.
Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui ont entendu, mais vont et se laissent étouffer par les sollicitudes, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils n’arrivent point à maturité.
Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, après avoir entendu la parole avec un cœur noble et bon, la gardent et portent du fruit grâce à la constance. »