Texte de l’Homélie
Mes biens chers frères,
La sainte liturgie nous fait méditer en ce jour une des pages les plus célèbres du Nouveau Testament, un passage de la première lettre aux Corinthiens que nous appelons l’hymne à la charité. Et parce que dans la prière de l’Église rien ne se fait par hasard mais tout est ordonné avec sagesse et mesure, nous écoutons ce lumineux enseignent alors que nous nous préparons au combat spirituel du Carême.
Dieu nous aime infiniment parce que Dieu est amour. De toute éternité il est communion parfaite, amour réciproque, incréé et partagé, communauté de lumière et de vie, don et accueil. Dieu est amour parce qu’Il est Trinité. À ce sujet, saint Augustin s’exclamait :
« Tu as vu la Charité, tu as vu la Trinité ! »
S’il nous a créés, c’est par amour. Rien ne l’y obligeait. Et c’est encore par amour qu’il a tout mis en œuvre pour nous sauver, pour nous arracher d’une situation de perdition éternelle dans laquelle nous ont plongés la désobéissance en Adam du genre humain.
Et l’œuvre de la Rédemption ne consiste pas seulement à venir nous chercher sur ce chemin de perte et de désespoir. La mission du Christ est de conduire au Père, c’est-à-dire de nous révéler le mystère même de son Père, et de nous faire participer à cette vie divine, à cet amour éternel, à cette charité qui est le mystère même de Dieu.
Voilà pourquoi la charité est bien autre chose qu’un devoir, qu’un commandement, qu’une obligation morale, que nous pourrions traduire ainsi en langage familier : il s’agit, quand on est chrétien, d’être bien gentil. Il ne s’agit pas de cela. Le Christ lui-même nous demande d’être parfaits comme le Père céleste est parfait. Nous sommes tous appelés par vocation divine à devenir ce que nous avons reçu, à vivre à la hauteur du don qui nous a été fait et communiqué. Cela est impossible ? Cela est disproportionné ? Cela est hors de notre portée.
Effectivement. C’est l’œuvre en nous de sa grâce, c’est le don du Saint Esprit, qui est Seigneur, qui est Dieu et qui nous donne la vie¸ la vie même de Dieu, et ce depuis le jour de notre baptême. Si nous avons été baptisés, c’est pour faire un avec le Christ, dans son mystère de vie et de sainteté, c’est pour adopter les mœurs mêmes de Dieu, sa manière de vivre et d’aimer.
Tous les jours et plusieurs fois par jour, nous prions le Pater, et nous demandons : Adveniat Regnum tuum ! Que votre Règne arrive !
Le Catéchisme du Concile de Trente attire notre attention, en commentant cette deuxième demande du Pater, sur les nombreux obstacles qui existent autour de nous mais en aussi en nous, à l’avènement de ce Royaume : notre péché, nos défauts, nos vices, nos compromissions et nos lâchetés, sans compter les sollicitations d’un monde qui s’éloigne toujours plus des vérités de l’Évangile, et les tentations ou les suggestions du Démon. Cette demande suppose donc que nous prenions le ferme engagement de nous convertir et de lutter contre le mal. Mais ce combat sera d’autant plus efficace et glorieux que nous mettrons au premier rang la charité divine, l’accueil que Dieu nous porte. Voilà pourquoi, il n’y a pas de conversion sans un désir et un esprit de prière. Que faisons-nous dans la prière sinon tenir nos cœurs prêts à accueillir l’amour de Dieu, amour qui nous est communiqué par la contemplation aimante et reconnaissante de l’œuvre de Dieu et de son mystère ? Voilà pourquoi il n’y a pas de prière féconde qui ne commence par un solide acte de foi : nous croyons que Dieu nous aime, nous accueillons la Révélation qu’il fait de Lui par son Fils Jésus, nous contemplons l’œuvre de son amour depuis le premier instant de la création jusqu’au retour du Christ dans la gloire au moment de la résurrection finale.
Nous croyons, nous espérons, et donc nous aimons, ou plutôt le Saint Esprit nous est communiqué pour aimer, c’est-à-dire pour prier en nous. Même notre faiblesse n’est plus obstacle, puisque c’est justement au secours de notre faiblesse que vient le Saint Esprit. Mais si nous n’avons pas cet amour, cette charité, cette présence en nous du Saint-Esprit, tout le reste ne nous sert à rien.
La connaissance des vérités surnaturelles, la participation par la foi à la science même des anges et des bienheureux, le don de nous-même par les œuvres de miséricorde, le zèle apostolique et la générosité au service de nos frères, et spécialement des plus pauvres, tout cela doit être en noue le signe, le fruit, le résultat de la charité. C’est ce que la charité produit en nous ou perfectionne en nous.
Vivre de la charité parfaite, voilà donc l’objectif de notre vie, et donc de notre Carême. Mais c’est aussi cette charité qui est le grand moyen qui nous est donné pour parvenir au bonheur éternel. Tous nos efforts de conversion sont en vue de cette charité parfaite et tout dans l’Église, sa liturgie, ses œuvres missionnaires et éducatives, sa vie et son activité sont au service de la sainteté de tous les fidèles parce que Dieu est vraiment glorifié lorsque ses créatures répondent à leur vocation. Si la vie religieuse occupe dans l’Église une place centrale, c’est justement parce que les consacrés rappellent au monde l’absolu prééminence de Dieu et de son amour.
Alors, mes bien chers Frères, au moment où nous réfléchissons déjà à nos bonnes résolutions de Carême, demandons-nous bien simplement quelle place dans notre vie occupe la charité, c’est-à-dire l’amour de Dieu. Seul le Christ nous apprend à aimer vraiment, et par là à accomplir la volonté de salut de son Père. Soyons comme l’aveugle assis à proximité de la ville de Jéricho et qui s’écrie avec persévérance et avec confiance : Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! Le Christ seul peut nous rendre la vue, c’est-à-dire nous guérir de notre aveuglément et de notre endurcissement.
Demandons-lui la grâce de nous combler de son amour pour que nous puissions à notre tour être les missionnaires de la miséricorde divine.
Ainsi soit-il.
Références des lectures du jour :
Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 13,1-13 :
Frères, quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis un bronze sonore ou une cymbale retentissante.
Quand j’aurais le don de prophétie, que je connaîtrais tous les mystères, et que je posséderais toute science ; quand j’aurais même toute la foi, jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien.
Quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien.
La charité est patiente, elle est bonne ; la charité n’est pas envieuse, la charité n’est point inconsidérée, elle ne s’enfle point d’orgueil ; elle ne fait rien d’inconvenant, elle ne cherche point son intérêt, elle ne s’irrite point, elle ne tient pas compte du mal ; elle ne prend pas plaisir à l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité ; elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout.
La charité ne passera jamais. S’agit-il des prophéties, elles prendront fin ; des langues, elles cesseront ; de la science, elle aura son terme.
Car nous ne connaissons qu’en partie, et nous ne prophétisons qu’en partie ; or, quand sera venu ce qui est parfait, ce qui est partiel prendra fin.
Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu homme, j’ai laissé là ce qui était de l’enfant.
Maintenant nous voyons dans un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité ; mais la plus grande des trois c’est la charité.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 18,31-43 :
En ce temps-là, Jésus prit à part les Douze et leur dit :
" Voici que nous montons à Jérusalem, et que s’accomplira tout ce qui fut écrit par les prophètes au sujet du Fils de l’homme.
En effet, il sera livré aux Gentils, sera bafoué, sera outragé, et sera couvert de crachats ; et, après l’avoir flagellé, on le fera mourir, et il ressuscitera le troisième jour. "
Et eux ne comprirent rien à cela ; c’était pour eux un langage caché et ils ne savaient pas ce qui leur était dit.
Comme il approchait de Jéricho, il se trouva qu’un aveugle était assis sur le bord du chemin, qui mendiait.
Entendant passer la foule, il demanda ce que c’était.
On l’informa que c’était Jésus de Nazareth qui passait. Et il s’écria :
— « Jésus, fils de David, ayez pitié de moi ! »
Ceux qui marchaient devant lui commandèrent avec force de faire silence ; mais il criait beaucoup plus fort : « Fils de David, ayez pitié de moi ! » Jésus, s’étant arrêté, ordonna qu’on le lui amenât ; et quand il se fut approché, il lui demanda :
— « Que veux-tu que je te fasse ? »
Il dit :
— « Seigneur, que je voie ! »
Et Jésus lui dit :
— « Vois ! Ta foi t’a sauvé. »
Et à l’instant il vit, et il le suivait en glorifiant Dieu. Et tout le peuple, à cette vue donna louange à Dieu.