Texte de l’homélie
Frères et sœurs bien-aimés, pour vivre sa donation définitive au bon Dieu, frère Sébastien-Marie a choisi des lectures qui lui parlent de manière particulière. Il a gardé la deuxième lecture qui est le texte le plus ancien du nouveau testament et qui nous parle déjà des vertus théologales qui nous sont chères.
Pour nous associer à la démarche de frère Sébastien-Marie, je retiendrai trois mots, trois verbes : épouser, habiter, avancer.
Epouser – charité
Je reçois ce premier mot de la première lecture où Dieu déclare à son peuple :
« Je ferai de toi mon épouse pour toujours. »
Dieu a l’initiative
C’est Dieu qui a l’initiative. C’est d’abord Dieu qui nous épouse. C’est lui qui nous a séduit de sorte que nous acceptions de lui donner notre vie :
« Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse ; je ferai de toi mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur. »
Notre consécration est une réponse à son appel. La deuxième lecture nous le rappelle :
« Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui. » (1 Th 1, 4)
Cette initiative de la part de Dieu se retrouve souvent dans les récits d’appel. Du jeune homme riche il est dit :
« Jésus le regarda et l’aima. » (Mc 10, 21)
Le point de départ, c’est de nous savoir aimés de Dieu. Notre vocation prend sa source dans le fait de nous savoir aimés du Seigneur :
« J’aimerai celle qu’on appelait ‘Pas-Aimée’ et à celui qu’on appelait ‘Pas-mon-Peuple’, je dirai : ‘Tu es mon peuple’ »
Nous sommes invités à nous reposer sur le cœur de Jésus un peu comme saint Jean l’a fait le jeudi saint, avant que ce cœur de Jésus – qui a tant aimé les hommes – ne soit transpercé sur la Croix. C’est à travers ce cœur que nous avons accès au cœur du Père puisque :
« le Fils unique est sur le sein du Père. » (Jn 1, 18)
Dieu nous prend en totalité
Il est beau et réconfortant de savoir qu’il y a quelque chose de totalisant dans cet appel de Dieu. Sa miséricorde a l’initiative mais il ne faut pas voir sa miséricorde comme quelque chose de condescendant. Dieu assume pleinement ce que nous sommes ainsi que notre passé. Quand il épouse quelqu’un, il ne fait pas de tri ! Il prend tout le terrain avec le trésor.
L’image des noces indique bien cette union qui prend toute la personne. Dieu désire s’unir à nous dans toutes les dimensions de notre humanité. Dieu ne veut pas nous amputer ! Ce n’est pas seulement un mariage de raison. Cela touche notre volonté et notre affectivité. Osée parle de tendresse. Il y a une dimension affective.
Nous lui donnons notre cœur et tout notre être afin qu’il puisse en disposer, s’en servir comme d’une humanité de surcroît.
Il y a une forme d’appartenance réciproque et volontaire au Seigneur :
« je dirai : ‘Tu es mon peuple’, et il dira : ‘Tu es mon Dieu !’ »
On laisse le Seigneur disposer de nous parce qu’on a confiance en lui.
Dieu nous appelle essentiellement à vivre en relation avec lui
Notre vie chrétienne – et a fortiori notre vie religieuse – consiste essentiellement à vivre en relation avec le bon Dieu, à lui être uni en toute chose. D’ailleurs, comme l’exprime bien l’évangile du bon larron, le paradis, ce n’est pas un lieu dans un sens matériel, c’est d’abord une relation : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ». Le paradis nous est ouvert dès maintenant : dans la mesure où je suis avec Jésus, je suis déjà au paradis, même si je ne le serai de manière plénière et définitive qu’au terme de ma vie terrestre.
Par le vœu de chasteté, la vie consacrée est une anticipation du paradis où on ne se marie pas :
« À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel. » (Mt 22, 30)
Dieu nous appelle à avoir un cœur sans partage, ouvert à tous.
Habiter – foi
Je reçois le deuxième mot du psaume que frère Sébastien chante si souvent dans les veillées de prière : « la seule chose que je cherche : habiter la maison du Seigneur ».
Habiter, c’est d’abord se poser, se reposer
Cela rejoint un mot de saint Jean qui te parle : demeurer, demeurer en Dieu. C’est choisir de faire de Dieu notre résidence principale. On ne vient pas au Seigneur seulement de temps à autre comme dans une résidence secondaire. Il y a une stabilité. Dans la première lecture, Dieu déclare à son peuple :
« Je ferai de toi mon épouse pour toujours. »
Habiter, ce n’est pas se mettre sur une place de parking pour avoir une petite vie tranquille, pépère. Habiter, c’est cultiver une intériorité et une intimité avec le Seigneur qui fait que nous ne sommes pas des ectoplasmes, des fantômes. La vie consacrée nous donne les moyens de pouvoir vivre plus facilement cette intimité avec le Seigneur. Habiter la maison du Seigneur nous permet d’avoir une épaisseur. C’est une chose qui m’avait marqué une fois où j’avais eu la grâce de rencontrer Jean-Paul II : il était vraiment présent.
Habiter, c’est apprécier le lieu où on vit
Notre vie peut quelquefois s’apparenter à une course en avant, une course qui vient du fait qu’on fuit quelque chose et d’abord soi-même. Il s’agit d’habiter l’instant présent.
Il y a une forme de réalisme et d’acceptation cher à saint François de Sales : « si tu ne pars pas d’où tu es, tu n’arriveras nulle part ». C’est un appel à « fleurir là où nous sommes plantés », nous enraciner dans notre vocation, à nous aimer nous-mêmes, à aimer le lieu où il nous a conduits.
Habiter suppose de cultiver l’action de grâces et la louange
Pourquoi habiter la maison du Seigneur ?
« … pour l’admirer en sa bonté, pour s’attacher à son Église. »
C’est en habitant la maison du Seigneur que l’on peut voir sa bonté :
« Je verrai les bontés du Seigneur. »
La louange repose toujours sur la foi. Elle nous apprend à adopter un regard particulier sur la réalité. Au delà d’une réalité limitée et imparfaite, j’y discernement la bonté et l’amour du Seigneur. Cela alimente notre joie qui nous évite d’être des gens ronchons, râleurs, toujours mécontents.
Avancer – espérance
Contrairement à ce que nous pourrions imaginer de prime abord, avancer n’est pas antinomique avec le fait d’habiter. Habiter, c’est en quelque sorte la quille du bateau qui lui donne une stabilité et lui permet justement d’avancer. Nous savons en qui nous avons mis notre foi (cf. 2 Tm 1, 12). C’est ce qui nous permet d’envisager l’avenir avec sérénité :
« … de qui aurais-je crainte ? »
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de difficultés ou parce nous sommes sûrs de nous-mêmes mais parce que nous savons pouvoir compter sur la fidélité de Dieu.
« Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces. Mais avec l’épreuve il donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter. » (1 Co 10, 13)
Avancer, c’est refuser de s’installer
Tant que nous sommes sur terre, nous sommes dans une condition de pèlerins. Saint Paul l’exprime bien lorsqu’il écrit aux Philippiens :
« Certes, … je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. » (Ph 3)
Nous voyons bien que sa course n’est pas une fuite en avant ; elle a un but.
Nous n’avons plus notre place dans la vie consacrée si nous ne voulons plus avancer. Ce serait comme un cœur sclérosé qui finit par arrêter de battre, comme un ressort cassé. Nous sommes invités à sans cesse progresser.
« La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. » (Rm 8, 19)
Avancer, c’est refuser de s’enfermer
Sinon, comme aime le dire le pape François, cela va vite sentir le renfermé. Une tentation peut être de se protéger outre mesure et de ne plus prendre de risques. Il ne s’agit pas de se planquer dans une vie facile, dans l’individualisme et l’égocentrisme. Habiter la maison du Seigneur, ce n’est pas le faire en oubliant les autres, surtout ceux qui sont dans la détresse. Ce n’est pas sombrer dans une forme d’indifférence. Avancer, c’est avoir le souci des autres.
Une source qui arrête de couler et de se donner devient vite une eau où l’on peut attraper beaucoup de maladies. L’eau stagnante perd sa limpidité et n’est pas potable. C’est un lieu privilégié pour la reproduction des moustiques, vecteurs de nombreuses maladies infectieuses.
Avancer, c’est faire acte d’espérance
C’est la petite fille espérance qui nous « tire » en avant. Comme le dit encore le psaume :
« J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. “Espère, sois fort et prends courage ; Espère, espère le Seigneur.” »
L’union plénière et définitive n’adviendra que dans le Ciel.
L’espérance, c’est ce regard tourné vers Jésus un peu comme celui du bon larron qui lui demande de se souvenir de lui. Dieu fait alors le cadeau de sa présence et de sa grâce au cœur de notre faiblesse.
Conclusion
La Vierge Marie a toujours occupé une place privilégiée dans l’histoire de la communauté et de chacun des frères. C’est l’épouse par excellence. Elle, qui gardait toutes ces choses dans son cœur était profondément habitée. Dans l’évangile, nous la voyons constamment disponible à ce que Dieu lui demande que ce soit à l’Annonciation, au pied de la Croix ou à la Pentecôte.
Que la Vierge Marie t’accompagne tout au long de ta vie consacrée et nous accompagne chacun d’entre nous.
Amen !
Références des lectures de la cérémonie :
- Livre d’Osée 2, 21-25
- Psaume 26.
- Lettre de Saint Paul Apôtre à Timothée 1, 1-5b.
- Évangile de Jésus-Christ selon Saint Luc 23, 33-43 :
Lorsqu’ils furent arrivés au lieu dit : Le Crâne (ou Calvaire), là ils crucifièrent Jésus, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Jésus disait : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Puis, ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort.
Le peuple restait là à observer.
Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! »
Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, en disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! »
Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »
Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »