Homélie du septième dimanche de Pâques

17 mai 2021

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
« Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. »

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs bien-aimés,

C’est ce texte que l’on lit habituellement lorsque l’on prie pour l’unité des Chrétiens :

« Qu’ils soient uns comme nous-mêmes nous sommes UN. »

Mais il y a une mauvaise manière d’envisager l’œcuménisme comme croire qu’il s’agit d’effacer les différences : Nous Catholiques, ne parlons pas trop de la Vierge-Marie aux Protestants, ni de l’autorité du Pape aux Orthodoxes… on va gommer nos différences, et l’on pense que c’est ce qui va nous aider à être unis. C’est exactement l’inverse car ce n’est pas de cette unité dont parle le Seigneur.

« Qu’ils soient uns comme nous-mêmes - le Père et le Fils - nous sommes un. »

Lorsque l’on étudie la théologie et que l’on aborde le sujet de la Trinité, on est tout de suite marqué par le fait que cette communion d’amour entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint s’opère entre trois personnes distinctes. Ces trois personnes sont bien plus distinctes que nous le sommes entre nous, personnes humaines. Bien plus distinctes mais bien plus unies aussi. Cela signifie que l’unité demande d’accueillir l’altérité.

La différence entre l’unité et l’uniformité

Et dès que l’on parle d’indifférenciation, d’indéterminisme et de mélange, on perçoit une certaine angoisse dans la Bible. Vous le savez, chez les Juifs observants, on ne mélange pas le carné et le lacté, certains veulent même ne pas mélanger les couleurs pour éviter la fusion. Et l’on pousse l’Écriture Sainte pratiquement jusqu’au désespoir si l’on commence à parler de clone, car, depuis son début, l’action de Dieu a consisté à séparer, on le voit dans la Genèse avec le ciel et la terre, ainsi qu’avec d’autres actions de séparations. C’est ainsi que Dieu permet la communion.

Or, nous avons une manière différente de croire, c’est parce que nous sommes frappés par le péché originel qui est précisément la non-acceptation de la différence et de l’altérité qui mènent à la transcendance de Dieu.

La grande tentation, c’est de rendre l’autre semblable à nous-mêmes, à mon image et ressemblance, on le voit dans le dialogue avec le serpent :

« Vous serez comme des dieux…. »

Et ce n’est pas pour rien que ce péché originel rapporté dans la Bible soit illustré par le fait de manger. Qu’est-ce que manger si ce n’est rendre semblable à soi les aliments que l’on a pu ingérer : notre petit déjeuner se transforme progressivement en nous-mêmes. C’est bien ce qu’il se passe quand il s’agit d’aliments.

Mais lorsqu’il s’agit de l’unité à la manière de Dieu, c’est tout à fait différent. Et cette tentation de l’unité se veut uniformisante, c’est ce que l’on voit dans Babel : « Je ne veux voir qu’une seule tête ! »

Alors que Dieu a dit « répandez-vous sur l’étendue de la terre », à Babel, ils se sont réunis dans un seul point. Ils ne parlent qu’une seule langue, ils construisent une seule tour, comme s’il n’y avait qu’un seul chemin pour aller vers Dieu.

Il faut admettre que Babel est en nous. Et dès que vous entendez des idées comme celles-ci, dites-vous que cela se termine par des drames. Et c’est ainsi qu’à Babel, l’œuvre de Dieu a également consisté à séparer : séparer les langues entre elles. Babel est le désir d’une unité idéologique : on pense tous pareil, on a tous la même langue, signe du même univers mental.
C’est à mettre en lien avec les grands totalitarismes du vingtième siècle : avoir une seule manière de penser.

Et quand Jésus dit : « garde les unis, qu’ils soient uns comme nous-mêmes nous sommes uns », il nous demande de rester dans une certaine tension car l’altérité nous est incommode.
On le voit dans la famille, dans le couple – homme et femme – quand on est aux prises avec les manières de procéder au sujet des enfants qui grandissent. Accueillir le chemin de chacun nous pousse à accepter la différence.

Je me rappelle de dialogue entre un journaliste et le pape Benoît XVI qui commençait ainsi : « Combien y a-t-il de chemin pour aller vers Dieu ? ». Il pensait qu’avec la mauvaise presse qui a avait été faite au pape, il répondrait : « il y a une seule manière, celle de l’Église catholique.
Mais le souverain pontife n’est pas tombé dans le piège. Érudit et universitaire, et n’étant pas relativiste, il a répondu : « Autant que de personnes ».

Justement, l’unité que Dieu fait n’est pas l’uniformité. Et cela peut nous aider à effectuer le chemin pour aller vers l’autre et l’accueillir.

Ainsi, nous pouvons envisager la Pentecôte comme l’anti-Babel : ils parlent plusieurs langues, mais chacun comprend dans sa langue maternelle. Et l’on peut se demander pourquoi c’est à travers le langage que l’Esprit Saint se manifeste. Cela pourrait être une nuée dans le ciel, ou d’autres signes impressionnants. Mais alors, pourquoi le langage ? C’est parce que l’Esprit-Saint est dialogue.

L’Esprit nous invite au dialogue

L’Esprit-Saint est dialogue de l’amour du Père et du fils. Comme chaque personnes divine, l’Esprit-Saint est relation, et cette relation s’inscrit dans la différence et dans l’Altérité. Il n’y a pas plus différents que le Père et le Fils…
Ainsi, nous sommes invités à travailler sur ce sujet et apprendre à dire « je ». Un « je » qui n’est pas égoïste mais qui va nous permettre de reconnaître un « tu », quelqu’un qui est face à moi et différent de moi.

J’aborde ce thème aujourd’hui car je sens qu’il y a comme une tendance à vouloir uniformiser les choses, une tendance au replis identitaire, de l’entre soi. Et le Pape François dénonce ce phénomène avec force.

Certes, c’est plus commode d’échanger avec des personnes qui pensent et qui votent comment nous, qui pratique leur foi de la même manière que nous. C’est confortable, mais ce n’est pas l’unité dont Dieu parle. Dieu veut l’unité dans l’altérité, dans la diversité et la distinction, même si cela suppose la séparation

A ce sujet, la vie religieuse donne un beau témoignage d’unité. Si vous fréquentez l’abbaye et que vous savez observer, vous êtes rendu compte comme chacun d’entre nous a sa particularité. Et une vie religieuse réussie me fait devenir plus moi-même afin d’être plus en communion. Ce renoncement au repli sur soi permet à l’autre d’être plus lui-même.

Mais il y a en nous ce péché originel qui entraîne cette difficulté qui nous fait rechercher cette fausse unité, cette volonté de ne voir qu’une seule tête, alors que cela se termine toujours dans des bains de sang…

Demeurer en Dieu nous aide à vivre l’unité malgré notre péché

C’est pourquoi le Seigneur nous demeurer en Lui. Dieu demeure en nous et en nous Son amour atteint sa perfection. Demeurer en Dieu, c’est demeurer dans la différenciation. Demeurer en Dieu c’est accepter l’autre, accepter le Tout Autre. Tout comme le Père est différent du Père, le Fils est différent du Père.

Demeurer en Dieu sur cette terre, c’est accepter de vivre dans une certaine tension, dans une certaine manière de voir qui fait que cette altérité n’est plus une menace.

On a l’habitude de dire spontanément que la différence est une chance, mais dans la réalité, nous savons bien qu’être en face de quelqu’un qui ne pense pas comme nous est une menace. cela ne se vérifie pas dans la réalité. Devant quelqu’un qui ne pratique pas comme nous, qui n’a pas la même sensibilité liturgique que nous, ou encore pas les mêmes opinions politiques que nous, nous avons une réaction de rejet parce que nous sommes marqués par le péché originel qui a créé en nous une incapacité de rejoindre l’autre dans sa différence, dans son altérité.

Alors, quand on prie le Saint-Esprit comme on le fait de façon particulière dans ce septième dimanche de Pâques, on demande cette capacité, on supplie la grâce, on implore l’ouverture car cela ne nous est pas naturel. Mais à la fois, nous sentons que c’est vers cela que nous tendons si nous voulons être disciples de Jésus.
A la fois dire « je », savoir d’où l’on vient, reconnaître sa propre foi et ne pas avoir honte de l’affirmer et à la fois, savoir reconnaître l’autre dans sa manière différente de croire ou de ne pas croire. Comme c’est difficile… et sans la grâce du Saint Esprit, c’est pratiquement impossible.
Par nature, le Saint Esprit est relation.

Demandons cette grâce particulière pour nous-mêmes, pour notre pays, pour notre communauté, d’être dans cette attitude contemplative d’écoute, de décentrement.
Chercher l’unité c’est accepter ce bouger intérieurement et de sortir de sa zone de confort.

Dans cette célébration, nous allons demander cette grâce de façon à ce que nous puissions être les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 1,15-17.20a.20c-26.
  • Psaume 103(102),1-2.11-12.19-20ab.
  • Première lettre de saint Jean 4,11-16.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 17,11b-19. :

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
« Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie.
Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés.
Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde.
Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité.
De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. »