Homélie de la solennité du Christ, Roi de l’Univers

25 novembre 2018

« Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs.
En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »

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Texte de l’homélie :

« Je suis venu rendre témoignage à la vérité. »

Cette phrase a une portée considérable ! Elle a été choisie pour notre dernier dimanche de l’année liturgique, et l’on peut s’interroger si le Christ n’est pas venu rendre témoignage à la vérité du temps.
C’est sur cette question que j’aimerais méditer avec vous, afin d’en prendre conscience et explorer les différentes manières de percevoir cette déclaration de Jésus.

En grec, il y a deux mots pour désigner le temps : chronos et kairos.

  • Chronos était un titan qui dévorait les enfants de sa sœur. Dans l’Antiquité, il a donc été vu comme un ennemi, comme un fléau qui fait que nos forces nous quittent, que la nature passe et que la mort survient. Il était plus vu comme une calamité que comme une chance.
  • Kairos représente le temps métaphysique, le temps de la grâce. Par exemple, lorsque Jésus dit : « Mon heure n’est pas venue », c’est à kairos qu’il est fait référence, le temps de la rencontre, de la bénédiction.

Ainsi, il est important que pour nous, Chrétien, le temps en soit pas seulement quelque chose qui passe : c’est quelqu’un qui vient, c’est le lieu de la rencontre avec le Seigneur. C’est ce qui donne à nos journées une densité particulière.

Il y a ce carpe diem chrétien, ce « cueillir le jour », qui fait que chaque instant peut être aussi un lieu de rencontre, un lieu de grâce. C’est à moi de voir comment je veux vivre ce temps-là. Cela implique qu’il y ait une certaine densité dans ma vie, une certaine gravité dans la manière de vivre nos journées, nos semaines et nos mois. Parce que, si nous prenons conscience que c’est le temps de la grâce, c’est que c’est aussi le temps de la préparation à la rencontre ultime, le face à face avec Dieu, après la mort… Comme le disait la petite Thérèse de l’Enfant Jésus :

Nous n’avons que cette terre pour nous préparer au Ciel.

Il nous faut prendre conscience que, dans ce qui nous est donné de vivre, il y a une densité, une forme de gravité car nos actes retentissent dans l’Éternité. Et cela confère comme une tension à notre vie toute entière car, si nous sommes soumis au chronos – qui implique que nous allons vers notre mort – nous sommes aussi dans le kairos, le temps de la grâce, ce « déjà » et ce « pas encore »…

En théologie, on parle souvent du « déjà » et du « pas encore »…

Déjà nous sommes sauvés, mais nous ne sommes pas encore dans la plénitude et le face à face avec Dieu. Le Chrétien est celui qui vit ce temps à la fois comme un facteur d’affaiblissement, mais aussi comme une bénédiction, source de grâce et de joie.

Il est certain que cela entraîne une certaine tension que nous sommes invités à vivre. A nous d’avoir un regarde contemplatif sur ces journées qui passent, et d’en faire bon usage. Et les Saints, les spirituels rappellent souvent de faire bon usage du temps et de demander pardon pour nos pertes de temps, ce temps qui n’est pas utilisé pour aimer, que ce soit dans la vie professionnelle, dans la vie domestique, familiale ou amicale. Et l’on voit que l’on perd parfois cette vision contemplative de la durée, et on ne s’arrête plus.
Et cette solennité nous est donnée comme un temps de grâce pour prendre conscience que notre temps est un temps « fléché », qu’il a eu un début et qu’il aura une fin : il a un sens. Notre vie a un sens. Les philosophies asiatiques, elles, s’inscrivent dans un sens circulaire, celui du karma, de la réincarnation, et cela donne un rapport au temps très différent de celui que nous avons dans les pays imprégnés de la Chrétienté. Pour nous, il y a une urgence : nous n’avons que cette vie pour vivre de Dieu, pour vivre notre foi…
Et cette urgence s’envisage dans la contemplation, dans la dimension contemplative de notre vie, dans la manière de s’arrêter, de se remettre face au Seigneur, de se confier à Lui, de remettre le cap sur Lui dans notre vie.
Cela nous aide à prendre conscience que notre Histoire – au sens de celle de l’Humanité – et notre histoire personnelle sont résumées, rassemblées dans la main de Dieu, qui est l’Alpha et l’Oméga, comme nous le dit le livre de l’Apocalypse :

« Je suis l’Alpha et l’Oméga.

Tout est remis dans la miséricorde de Dieu, tout est pris, toute notre histoire et toute l’histoire de l’Humanité. Voilà le sens de célébration du Christ Roi :toute l’histoire de l’Humanité est rassemblée par le Christ et offerte au Père dans le sacrifice de la Croix et dans la gloire de la Résurrection.

Ainsi, cette très belle fête nous permet de redimensionner nos vies. Posons-nous la question de la part gardée pour la rencontre, du temps de la bénédiction qui nous est donné. Interrogeons-nous sur notre regard de foi sur notre vie entière, sur notre histoire (personnellement, et l’Histoire de l’humanité) : est-ce un kairos- un temps de Dieu, un temps bon ? Tout contribue à celui qui aime Dieu. Ne soyons pas nostalgiques, répétant que le temps d’avant était mieux…
Vous souvenez-vous de la parole de Saint Augustin au IVe siècle à l’adresse ceux qui disaient : « Avant, au IIe siècle, c’était mieux : les jeunes avaient du respect pour les personnes âgées… » ? Il leur faisait cette belle réponse :

« Soyez bons et les temps seront bons.
Soyez saints, et les temps seront saints… »

Voilà un homme qui vit dans le kairos, dans un temps mystique, de rencontre, où l’on a déjà un pied dans l’éternité.

Les sacrements nous plongent dans l’Éternité : Il est autant Dieu sur l’autel qu’Il l’est dans le face à face dans la gloire. C’est une pédagogie des sacrements : d’Eucharistie en Eucharistie nous apprenons à vivre ce temps-là qui nous est donné, qui est limité car nous n’en connaissons pas la fin. Il y a donc urgence de vivre avec Dieu.
Alors, demandons au Seigneur cette grâce dans l’Eucharistie, implorons la vierge Marie de façon particulière, Celle qui a pris conscience de cette densité du temps lorsqu’Elle a dit :

« Je suis la servante du Seigneur… »

Demandons-Lui qu’Elle nous aide à vivre cette semaine comme des personnes désireuses de rencontre avec l’Éternité,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Lecture du livre de Daniel 7,13-14
  • Psaume 93(92),1abc.1d-2.5
  • Lecture de l’Apocalypse 1,5-8
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 18,33b-37 :

En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit :
— « Es-tu le roi des Juifs ? »
Jésus lui demanda :
— « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? »
Pilate répondit :
— « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? »
Jésus déclara :
— « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »
Pilate lui dit :
— « Alors, tu es roi ? »
Jésus répondit :
— « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité.
Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »