Homélie du 29e dimanche du Temps Ordinaire

22 octobre 2011

Homélie de Père Pierre-Marie

Écouter l’homélie :

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Texte de l’homélie :

« Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Nous connaissons bien ce passage de l’Évangile, et surtout la conclusion du passage : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Au fond, à travers cette invitation du Seigneur, c’est tout un éclairage qui nous est donné sur la manière de vivre la laïcité. D’une certaine manière, c’est Jésus lui même qui a établi la laïcité, en séparant le pouvoir religieux du pouvoir temporel.

La laïcité selon l’Évangile :

Le Saint-Père, lorsqu’il est intervenu au parlement de Berlin, lors de sa dernière visite en Allemagne, disait la chose suivante :

« Dans l’histoire, les règlements juridiques ont presque toujours été motivés de façon religieuse. Sur les bases d’une référence à une divinité, on décide de ce qui est, parmi les hommes, juste.
Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’état et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. »

Ce petit passage, tiré d’un très beau discours que je vous invite à approfondir est intéressant, parce qu’au fond, dès l’aube du christianisme, il y a comme cette conviction qu’entre la réalité de Dieu et la réalité des hommes, même s’il existe des ponts, entre la réalité politique et la réalité religieuse, Jésus est venu donner à chacun sa propre place.

Au passage, et peut-être n’avons-nous pas à l’esprit cette grande séparation que le Seigneur établit, et surtout, cette grande révolution qu’il fait en disant « rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César », parce que, vous le savez, les Césars se considéraient comme Dieu. Au passage, donc, non seulement, Il rend la laïcité possible, mais aussi, il remet le César à sa place.
Aujourd’hui, nous assistons, frères et sœurs bien-aimés, non seulement à laïcité, en tous les cas à une séparation dans nos pays occidentaux, mais aussi à un rejet de Dieu ; on confond la laïcité comme redire que la question de la Foi est simplement dans le domaine privé, et ne doit pas, d’une manière ou d’une autre, être présente sur le domaine public.

Le rejet de la Foi

J’écoutais une émission sur une publicité un peu provocante, et, parmi les auditeurs qui pouvaient appeler, il y avait un prêtre. Ce prêtre a appelé pour dire que cette publicité ne lui paraissait pas très adaptée à la situation de la famille, etc… et un des journalistes commence à dire, de façon très courtoise : « En quoi cela vous regarde t’il ? ce n’est pourtant pas du domaine de la religion. » et il était presque surpris qu’un prêtre puisse intervenir dans le débat public comme prêtre.
Il y a eu cette même surprise lors des révisions de lois de bioéthique, lorsque l’Église s’est fortement mobilisée pour établir une réflexion et faire intervenir différentes voix pour expliquer sa position. Dans différents domaines, on entend « En quoi cela vous concerne ? »

Vous voyez, nous assistons à un phénomène différent de celui de la laïcité : c’est plutôt un rejet de Dieu, qui n’est pas la laïcité selon l’Évangile.
Le Saint-Père, lorsqu’il est venu en France, a parlé de ‘laïcité ouverte’. Ouverte aux religions, qui ont leur place, qui n’ont pas toute la place, et n’ont d’ailleurs pas à l’avoir, mais qui sont de forces de proposition pour le pays, pour sa construction sociale, et pour le bien commun.

Aurions-nous honte d’être chrétiens ?

On arrive en France, à faire que l’on n’ose même plus parler de sa propre religion, particulièrement les catholiques, et que, du coup, cela devient tellement privé qu’on le dit à mi-voix et que l’on s’autocensure, alors que d’autres seraient peut-être contents de savoir nos convictions.
La vraie position que l’Église défend est que l’état n’a pas à être théocratique, c’est à dire régi par un droit révélé, comme le Saint-Père le manifeste et le rappelle au parlement de Berlin, comme c’est aussi le cas pour le peuple d’Israël sous l’ancienne alliance : la Thora était la loi du peule d’Israël, ou dans certains pays musulmans : la Charia, qui en est loi révélée, le christianisme n’a jamais opté pour une loi pour régir la société civile.
Cela nous dit aussi que nous sommes invités, frères et sœurs, nous comme chrétiens et spécifiquement comme catholiques, à prendre part dans le débat qui anime notre société, et à le faire à haute voix. A redire ce que nous portons, parce qu’au fond, lorsque l’on voit le découpage des pays dits ‘laïcs’, cela recoupe aussi les pays d’ancienne chrétienté. Le christianisme a rendu à chacun sa propre place, mais à nous aussi de prendre notre place. Nous ne voulons pas d’une religion reléguée aux églises et aux sacristies ; nous ne voulons pas d’une religions qui n’ait rien à dire, qui soit simplement dans le spirituel. Au contraire : la religion et spécifiquement la religion chrétienne a son mot à dire parce qu’elle redit à l’homme sa vraie vocation.

La foi est pourtant une force de proposition pour notre société

« Quelle est l’effigie qui est sur cette pièce ? » demande Jésus

Mais nous pourrions aussi dire : quelle est l’effigie qui est inscrite au cœur de chaque personne humaine ? cette image et cette ressemblance de Dieu disent aussi une manière de gouverner. N’ayons pas peur de nos propres convictions. N’ayons pas peur, d’abord de nous impliquer dans ce débat politique même s’il n’est pas simple, ne serait-ce qu’en votant, en prenant notre part dans le débat démocratique en nous inscrivant sur les listes électorales.
L’Église demande que le chrétien, et c’est un devoir pour lui, donne aussi sa voix et son opinion en participant. Mais, comment faire entendre la voix de l’opinion et de l’évangile si nous même nous ne participons pas ?
Il y a un certain désenchantement, c’est vrai par rapport à la politique, mais en même temps, le Seigneur nous dit « Rendez donc à César ce qui est à César » ; il y a là une place pour le politique qui est au service de la personne humaine. Mais, cette personne humaine, l’Église la voit de façon particulière, comme venant de Dieu et retournant à Lui, sauvée par le Christ. Nous avons cette vision de cette personne humaine qui a une dignité absolument extraordinaire, qui fait que le politique ne peut pas la réduire en esclavage, pour ainsi dire.

Alors, nous pouvons redemander au Seigneur d’avoir cette conviction intérieure de ne pas nous laisser influencer, comme les Pharisiens, qui voulaient flatter Jésus : « Maître, nous le savons, tu es toujours vrai, tu enseignes le vrai chemin de Dieu, tu ne te laisses influencer par personne, tu ne fais pas de différence entre les gens. ». Et bien, oui, ils sont prophètes, ces partisans d’Hérode, même si c’était pour tendre un piège au Seigneur, nous, nous croyons que Jésus est celui qui dit toujours vrai, qui enseigne le chemin de Dieu, et nous croyons qu’il ne fait pas exception des personnes.

N’ayons pas peur d’annoncer cette parole tant attendue et de toute actualité

La présence du Christ nous donne aussi dans notre société une manière d’agir, une manière d’entreprendre, une parole qui est attendue, et croyez-moi, mes frères et sœurs bien-aimés, que la parole des chrétiens est attendue, beaucoup plus que vous ne le pensez. Nous nous autocensurons, nous nous auto-inhibons, parce que c’est tellement sensible, et que nous avons tellement de pudeur que nous n’osons pas dire.
Et puis, au détour d’une conversation, on découvre que tel ou tel est impliqué dans un mouvement d’Église ou dans telle paroisse, mais personne dans le milieu professionnel n’en a rien dit. Notre parole, notre exemple sont attendus. Tant d’hommes et tant de femmes aujourd’hui attendent une espérance, une espérance que le Christ lui-même nous a apportés par son amour victorieux. Alors, n’ayons pas peur du regard des autres, de cette tentation de nous replier sur nous même et on le voit aussi dans l’Église, toutes les formes de repli identitaire : ce n’est pas le message de l’Évangile.

Le message de l’Évangile est au contraire d’être un ferment, un levain dans la pâte pour redire à chaque personne humaine et à chaque société les droits fondamentaux de chaque homme et de chaque femme. Mais, ces droits fondamentaux, c’est bien dans l’Évangile qu’ils trouvent aussi leurs fondements. Demandons au Seigneur d’avoir cette fierté légitime que le christianisme a donné à la personne humaine une telle dignité qu’il est maintenant impossible de la fouler aux pieds sans être montré du doigt par la communauté internationale.
C’est bien un fruit de la tradition judéo-chrétienne, ces fondements sur lesquels se basent notre propre vie politique sont hérités, non pas comme quelque chose du passé mais sont hérités de l’Évangile.
Alors, on nous dit que c’est notre patrimoine, comme si, aujourd’hui, cela n’avait plus tellement d’importance ; mais, c’est une parole d’actualité : vous savez que les évêques de France ont fait un mémento de questions pour réfléchir aux prochaines élections présidentielles. Ils n’ont bien sûr pas désigné de candidat, et ce n’est pas leur rôle, mais, une chose qu’ils ont dite est qu’il ne faudrait pas que le débat politique se réduise simplement à des questions économiques ; il faudrait aussi savoir quelle société nous voulons construire ; quelle manière de vivre ensemble nous voulons bâtir ; quelle famille nous voulons former comme nation ?

Les questions fondamentales qui habitent l’Église peuvent servir pour bon nombre de politiques comme une source d’inspiration, et au contraire enrichir le débat citoyen.

Demandons au Seigneur qu’il nous donne cette grâce, à notre place dans la société, cette grâce d’avoir une voix qui porte, d’être les porte-parole de ce Dieu qui nous appelle des ténèbres à son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 45,1.4-6.
  • Psaume 96(95),1.3.4-5.7-8.9-10a.10c.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 1,1-5b.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 22,15-21 :

Les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler.
Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode :
— « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne fais pas de différence entre les gens. Donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? »
Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta :
— « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. »
Ils lui présentèrent une pièce d’argent. Il leur dit :
— « Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ?
— « De l’empereur César », répondirent-ils.
Alors il leur dit :
— « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »