Homélie du 29e dimanche du temps ordinaire

20 octobre 2020

« Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

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Texte de l’homélie :

Quelle réponse géniale ! Ce n’est pas un hasard si cette réponse de Jésus est restée si célèbre… Ce matin, avec vous je voudrais en retenir trois enseignements :

  • « Rendez à César ce qui est à César ».
  • « Ne rendez à César que ce qui est à César ».
  • « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».

Rendre à César ce qui est à César

Reconnaître l’autorité civile

Jésus – et l’Église à Sa suite – reconnaît l’autorité civile. Jésus Lui-même, au cours de Sa Passion, dira à Pilate :

« Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été donné d’en-haut. » (Jn 19, 11)

Saint Paul dira, lui, aussi :

« Rendez à tous ce qui leur est dû : à qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur » (Rm 13, 7)

Il nous exhorte à faire des prières et des actions de grâce pour les rois et pour tous ceux qui exercent l’autorité :

« J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. » (1Tm 2, 2)

Bien sûr vous êtes libres de penser qu’il pourrait y avoir d’autres gouvernants qui gouvernent mieux. Mais le Seigneur nous invite à avoir du respect à l’égard de l’autorité en place. Il n’est pas juste de parler des autorités civiles avec des noms d’oiseaux !

On ne peut prétexter de notre foi pour échapper aux exigences de la vie en société. On ne peut prétendre construire une société parallèle.
Nous n’avons pas de relation directe avec Dieu ; cela passe par des médiations. Sous prétexte de dépendre de Dieu, on ne peut se soustraire aux obligations de la société dans laquelle on vit. Le service de Dieu ne nous dédouane pas de nos obligations (CEC 2239-2240).
Le Seigneur peut même passer par le pouvoir civil comme on le voit dans la première lecture. Dieu a choisi Cyrus alors que Cyrus ne le connaissait pas.

« Les chrétiens résident dans leur propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes leurs charges comme des étrangers… Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre l’emporte sur les lois…
Si noble est le poste que Dieu leur a assigné qu’il ne leur est pas permis de déserter. » (Épître à Diognète 5,5 6,10)

S’impliquer en politique

Il faut même aller plus loin : nous sommes appelés à collaborer loyalement autant que c’est possible avec la société civile et ne pas nous renfermer entre chrétiens.
Il ne serait pas juste de ne pas vouloir s’engager en politique sous prétexte que nous allons nous salir les mains. On ne peut se contenter d’être dans les gradins et de passer son temps à critiquer ceux qui sont sur le terrain !

Ce n’est sans doute pas la grâce de tout le monde, mais il est très noble de s’engager en politique. Il faut que des chrétiens soient présents dans le domaine de la politique. La phrase de Jésus n’est en aucun cas une justification de l’individualisme et du désintérêt pour la politique.

« Ne rendez à César que ce qui est à César »

Des paroles de Jésus, on pourrait tirer la maxime suivante : "Ne rendez à César que ce qui est à César". Cette maxime relativise le règne de César : César n’est pas Dieu et Dieu est plus grand que César. Être respectueux et loyal envers les autorités civiles ne signifie pas les canoniser et les approuver en tout ce qu’ils font.
Nous posons ainsi des limites au pouvoir de César. Quand l’empereur romain exige l’impôt, il est dans son droit ; quand il exige qu’on lui rende un culte, il excède son droit.

Lors de la passion, à la question de Pilate : “ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher et le pouvoir de te crucifier ?”, Jésus répond : “Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi s’il ne t’avait été donné d’en haut” (Jn 19, 10). Jésus est profondément libre car Il sait qu’Il est entre les mains de Son Père :

« Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps mais pas plus. » (Lc 12, 4)

Un homme qui n’a plus peur est dangereux pour le pouvoir. César n’est que César ; sa royauté (celle de Tibère à cette époque) est passagère et le royaume de Dieu est d’un tout autre ordre.
De ce point de vue, la parole des juifs pendant la passion de Jésus est terrible : « Nous n’avons d’autre roi que César ! » (Jn 19, 15).

« Dès le commencement de l’histoire chrétienne, l’affirmation de la seigneurie de Jésus sur le monde et sur l’histoire (cf. Ap 11,15) signifie aussi la reconnaissance que l’homme ne doit soumettre sa liberté personnelle, de façon absolue, à aucun pouvoir terrestre, mais seulement à Dieu le Père et au Seigneur Jésus-Christ : César n’est pas "le Seigneur" (cf. Mc 12,17 ; Ac 5,29). » (CEC 450)

A l’époque où Matthieu écrit son Évangile, l’empereur romain exigeait qu’on lui rende un culte. De nombreux martyrs ont payé de leur vie ce refus de rendre un culte à l’empereur romain. On sait bien que des responsables politiques peuvent aussi être vexés, piqués dans leur orgueil quand on n’obéit pas à leurs ordres. On en a beaucoup d’exemples dans la Bible (cf. Roi Xerxès avec la Reine Vasti dans le livre d’Esther au chapitre I) mais pas seulement dans la Bible !
Ne pas reconnaître les limites du pouvoir de César, c’est le fondement de tout pouvoir totalitaire sur l’homme.

« Si Dieu n’existe pas, tout est permis », disait Dostoïevski.

Formation des consciences

L’Etat doit reconnaître qu’il ne répond pas lui-même « aux questions fondamentales de l’être humain sur le sens de la vie et sur le mystère de la mort. »
L’État laïc doit avoir conscience de ne pas prendre en compte l’intégralité des dimensions de l’être humain. Il doit reconnaître que le fait spirituel existe. On peut le dire ainsi :

« Il est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance. Autrement dit, il est dans la nature de la laïcité de reconnaître les limites de son champ d’action. Elle a conscience de ne pas prendre en compte l’intégralité des dimensions de l’être humain. Elle véhicule ainsi une forme d’humilité implicite qui justifie la place qu’elle accorde à la religion. C’est au prix de cette modestie qu’elle assure le « vivre ensemble » de tous les citoyens. »
(Mgr Guy-Marie Bagnard, 24 octobre 2008)
« Il est fondamental (…) de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société. »
(Benoît XVI, 12 septembre 2008)

Lois civiles qui s’opposent à la loi naturelle

Dans certains cas, l’homme est tenu de désobéir aux lois civiles :

« Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes" (Ac 5, 29)

CEC 2242 : Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus du pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique (GS 74).
CEC 2243 : La résistance à l’oppression du pouvoir politique ne recourra pas légitimement aux armes, sauf si se trouvent réunies les conditions suivantes : (1) en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux ; (2) après avoir épuisé tous les autres recours ; (3) sans provoquer des désordres pires ; (4) qu’il y ait un espoir fondé de réussite ; (5) s’il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures.

Cela demande du courage mais aussi de la prudence. L’Église fait œuvre d’une grande prudence et d’un grand réalisme. En voulant éviter un mal, il ne faut pas tomber dans un mal plus grand encore.

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu

Ce serait certainement réduire la parole de Jésus que d’entendre la parole de Jésus « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » uniquement pour garder une forme d’indépendance à l’égard du pouvoir civil. Jésus en effet nous invite à vraiment « rendre à Dieu ce qui est à Dieu ».

Si nous ne rendons pas à César ce qui est à lui, il sait bien nous le rappeler. A la différence des humains, Dieu ne nous envoie pas un huissier quand nous ne Lui donnons pas ce que nous Lui devons.
C’est pourquoi il est important de se demander avec loyauté : « est-ce que je rends vraiment à Dieu ce qui est à Lui ? »

Refuser toute forme d’idolâtrie

Rendre à Dieu ce qui Lui appartient, c’est d’abord Lui rendre l’adoration qui Lui est due et ne la donner à personne d’autre. Comme le dit le catéchisme de l’Église catholique :

« L’idolâtrie ne concerne pas seulement les faux cultes du paganisme. Elle reste une tentation constante de la foi. Elle consiste à diviniser ce qui n’est pas Dieu. Il y a idolâtrie dès lors que l’homme honore et révère une créature à la place de Dieu, qu’il s’agisse des dieux ou des démons (par exemple le satanisme), de pouvoir, de plaisir, de la race, des ancêtres, de l’État, de l’argent, etc
« Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon", dit Jésus (Mt 6,24). L’idolâtrie récuse l’unique Seigneurie de Dieu ; elle est donc incompatible avec la communion divine (cf. Ga 5,20 ; Ep 5,5 ). » (CEC 2113)

Entrer dans la louange et l’action de grâces pour tous les bienfaits reçus de Dieu

Nous pouvons ici penser à la plainte de Jésus à Marguerite-Marie - que nous venons de fêter - devant le saint Sacrement qui était alors exposé :

« Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné pour leur témoigner son amour ; et au lieu de reconnaissance, Il ne reçoit de la plupart que des ingratitudes, de l’indifférence et même du mépris dans ce sacrement d’amour »

Une manière de ne pas « rendre à Dieu ce qui est à Dieu », c’est le fait de ne pas Lui rendre gloire, de ne pas entrer dans la louange, de ne pas Lui attribuer l’honneur et le mérite du bien qui est fait dans le monde et dans notre vie, de ne pas reconnaître notre dette à Son égard.

Donner à Dieu notre vie puisqu’elle lui appartient

Depuis l’instant de notre baptême, nous lui appartenons. La vie de chaque baptisé (et pas seulement celle des prêtres ou des religieux) appartient à Dieu de manière particulière. Comme le dit l’adage populaire : « donner, c’est donner ; reprendre, c’est voler ».
Si notre vie Lui appartient, nous devons être disposés à accomplir Sa volonté, ce qu’Il attend de nous. C’est reconnaître humblement et amoureusement notre dépendance à l’égard de Dieu.

Chers frères et sœurs, nous voyons comme il serait mauvais de vouloir se servir de Dieu pour s’exonérer de nos devoirs humains dans la cité et dans notre propre vie.
Demandons à Marie de faire grandir en nous le désir de glorifier Dieu dans notre vie, chacun selon la vocation, les charismes et les talents que le Seigneur nous a confiés.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 45,1.4-6.
  • Psaume 96(95),1a.3.4-5b.7-8a.9a.10ac.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 1,1-5b.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 22,15-21 :

Alors les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler.
Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode :
— « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens.
Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? »
Connaissant leur perversité, Jésus dit :
— « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. »
Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. Il leur dit :
— « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? »
Ils répondirent :
— « De César. »
Alors il leur dit :
— « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »