Homélie du troisième dimanche de Carême

24 mars 2014

Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ’Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »

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Texte de l’homélie :

Mais, que faisait cette femme, seule, à midi, pour aller puiser de l’eau ?

Peut-être - si vous avez pris le temps de méditer sur cet évangile que nous connaissons bien, et que nous avons écouté maintes fois – vous êtes-vous posé la question ? Si on se représente la scène, on voit bien que, à midi, avec cette chaleur étouffante, en « plein cagnard » ?… ne serait-pas plutôt « à la fraîche » que l’on viendrait chercher de l’eau ? Et puis, on vient chercher de l’eau avec les autres femmes, un peu comme autrefois chez nous, elles allaient au lavoir ensemble ? pas seule…

Alors, pourquoi va t-elle seule et à midi ? En fait, la suite du texte nous donne une clef.

« Tu as eu cinq maris, et celui avec lequel tu es n’est pas n’est pas ton mari. »

On peut supposer que cette femme était marginale dans sa communauté, d’une manière ou d’une autre. Tout d’abord parce qu’elle ne respectait pas les règles et les coutumes et elle n’osait pas se mélanger avec les autres femmes et aller à la fraîche chercher l’eau pour la journée, et ainsi, y allait seule, en cachette, comme par honte.
Même si l’aller-retour depuis la ville était fatigant avec la chaleur, elle préférait ne as voir et entendre les quolibets des uns et des autres.

Ainsi, cet évangile est la rencontre de deux fragilités : cette femme qui vient puiser de l’eau seul, et Jésus qui a soif après un chemin exténuant, une chaleur étouffante. Et, parce qu’il y a eu ces deux rencontres, il y a pu y avoir une série de révélations extraordinaires que l’on retrouve dans ce texte.

Tout d’abord, ce rapport au lieu. Il est rare que l’on médite l’évangile de la Samaritaine en pensant que Jésus donne là un autre rapport au lieu dans la relation avec Dieu.

Y a-t-il un lieu géographique pour rencontrer Dieu ?

« Où doit-on adorer ?
Est-ce à Jérusalem ? ou sur le mont Garizim ? »

À cela, Jésus répond :

« Ce sont les adorateurs en esprit et en vérité que mon Père recherche. »

On ne se rend pas compte à quel point le christianisme a changé radicalement cette notion de lieu dans notre rencontre avec Dieu, que nous-mêmes, nous savons que c’est au plus intime de notre cœur, par le baptême, où Dieu habite en chacun par son Esprit-Saint, et que l’on peut Le rencontrer. Chaque personne humaine devient ce lieu, ce temple. Il suffit d’un cœur qui croit et aime Jésus pour que, déjà, Sa présence soit parmi nous.

On pourrait raser les églises, détruire la cité du Vatican, qu’on nous empêcherait pas d’être Chrétien… Il est important de voir l’évangile de la Samaritaine sous cet angle là aussi, car bien souvent, on constate des crispations pas rapport aux lieux. En Terre Sainte, on voit bien combien ces questions de lieux et de religions sont compliquées lorsqu’elles se mêlent.

Si vous avez été au Saint Sépulcre, vous avez vu que chacun a son tour pour célébrer, et que cela est très minuté. Chacun a sa chapelle, on le voit bien. Et Jésus nous fait rentrer dans une autre logique. Et à travers sa rencontre avec la Samaritaine, il nous guide vers une autre relation avec Dieu.

Ce qui intéressant et aussi unique dans l’évangile, c’est que la fragilité de cette femme permet à Jésus de manifester qui Il est.

— « Je sais que le Messie doit venir un jour. »
— « Moi qui te parle, je le suis. »

C’est le seul lieu où, de façon si explicite, si claire et nette, Jésus révèle son mystère, même si elle est un païenne, une femme marginale… Ainsi, il est intéressant de penser que dans nos propres vies, dans nos propres pensées, auprès de personnes que nous en considérons pas suffisamment bien que le Seigneur veut Se révéler, et qu’Il Se révèle Lui-même dans Sa nature profonde.

Les temps sont beaucoup plus favorables qu’on ne le croit. Et en écoutant cet évangile de la Samaritaine, on ne peut pas ne pas penser au Leitmotiv de notre pape François qui nous invite à aller aux périphéries. C’est comme si l’évangile était un manuel d’évangélisation : on part d’une réalité très matérielle : puiser de l’eau, pour en arriver à l’Eau Vive et à la venue du Messie.

Puis, c’est elle qui se met à évangéliser. On n’a pas cru simplement par tes dires mais aussi parce que nous t’avons crue, et parce que nous en avons beaucoup vu se convertir. C’est un manuel d’évangélisation ! Cela nous invite à aller au plus profond, et en même temps, nous invite à annoncer cet évangile de manière plus audacieuse que nous le faisons, à des personnes qui sont plus loin, parce qu’elles ont peut-être plus soif que nous ne pouvons le croire.

Les temps sont favorables !

Il faut avoir cette audace de Jésus qui franchit des tas de barrières :

  • barrière religieuse : « les juifs n’ont rien avoir en commun avec les Samaritains »
  • barrière sociale : « un homme seul ne parle pas à une femme seule », cela est encore vrai en Orient
  • barrière liée au lieu : « Mont Garizim ? Jérusalem ? »

On voit bien que dans tout cet évangile, tous les verrous sautent progressivement, tout ce qui peut nous empêcher d’aller au cœur même de la Révélation : « Le Père veut des adorateurs en esprit et en vérité ». C’est à l’intérieur, au plus intime de toi-même, dans l’Esprit et la Vérité, que tu peux chercher le Seigneur, parce que le Seigneur est venu par Son Esprit-Saint lorsque tu as reçu le baptême.

Et ce n’est pas pour rien que troisième dimanche de Carême correspond aussi à un scrutin pour les catéchumènes, cas adultes qui se dirigent vers le Baptême, car l’on voit précisément cette démarche intérieure qu’eux-mêmes ont faite pour pouvoir aller à la rencontre du Seigneur.

Demandons au Seigneur, de manière peut-être plus insistante, cette grâce de ne pas mettre de barrières, d’être capables d’une annonce assez libre par rapport à ce mystère de Dieu, par rapport à ce mystère de vie. Demandons cette grâce à l’image du pape François que je cite lorsqu’il s’adresse aux prêtes :

« Ne soyons pas des douaniers ! »

Car, pour passer la barrière, il faudrait valider un certain nombre de cases ; si tu ne coches pas, tu ne rentres pas ! Notre monde n’aurait-il pas une beaucoup plus grande soif spirituelle qu’on ne le croit ? il y a bien entendu la question qu’il y trouve une réponse dans l’église catholique, et sans doutes pouvons-nous nous interroger sur cette capacité de l’accueil, que l’on peut offrir en allant au fond de notre foi.

Toutes ces formes de raidissent communautaire que l’on voit parfois, qui l’on voit dans notre église et aussi à l’extérieur, sont autant de verrous qui empêche de rencontrer le vrai Dieu. Alors, le Seigneur qui dans cet évangile, a fait sauter beaucoup de verrous, nous demande aussi un « lâcher prise » intérieur, nous qui ne nous sentons pas « assez bien », et qui manquons de cette confiance dans le fait que nous sommes dignes d’aller vers le Seigneur, prenons conscience qu’Il vient habiter en nous. C’est toujours quelque chose à travailler…

Demandons au Seigneur son regard, demandons cette liberté spirituelle qui va au cœur même de l’évangile, et nous donne cette confiance en un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 17,3-7.
  • Psaume 95(94),1-2.6-7ab.7d-8a.9.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5,1-2.5-8.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 4,5-42 :

Jésus arrivait à une ville de Samarie appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph, et où se trouve le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était assis là, au bord du puits. Il était environ midi.

Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau.
Jésus lui dit :
— « Donne-moi à boire. » (En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger.)
La Samaritaine lui dit :
— « Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.)
Jésus lui répondit :
— « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ’Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Elle lui dit :
— « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l’eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit :
— « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. »
La femme lui dit :
— « Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
Jésus lui dit :
— « Va, appelle ton mari, et reviens. »
La femme répliqua :
— « Je n’ai pas de mari. »
Jésus reprit :
— « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari : là, tu dis vrai. »
La femme lui dit :
— « Seigneur, je le vois, tu es un prophète. Alors, explique-moi : nos pères ont adoré Dieu sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut l’adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit :
— « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous, celui que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient - et c’est maintenant - où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
La femme lui dit :
— « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
Jésus lui dit :
— « Moi qui te parle, je le suis. »
Là-dessus, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que demandes-tu ? » ou : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »

La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens :
— « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? »
Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers Jésus.
Pendant ce temps, les disciples l’appelaient :
— « Rabbi, viens manger. »
Mais il répondit :
— « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. »
Les disciples se demandaient :
— « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »
Jésus leur dit :
— « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. Ne dites-vous pas : ’Encore quatre mois et ce sera la moisson’ ? Et moi je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson.
Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit avec le moissonneur.
Il est bien vrai, le proverbe : ’L’un sème, l’autre moissonne. ’
Je vous ai envoyés moissonner là où vous n’avez pas pris de peine, d’autres ont pris de la peine, et vous, vous profitez de leurs travaux. »
Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause des paroles de la femme qui avait rendu ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »

Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y resta deux jours.
Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de ses propres paroles, et ils disaient à la femme :
— « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant ;
nous l’avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »