Homélie du troisième dimanche de Pâques

27 avril 2020

Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, vous le savez, dans la tradition juive, la fête de Pâques se célèbre en famille par un repas le soir de Pâques. Ce repas est l’occasion de retracer les moments forts de la vie du peuple hébreux et notamment cette libération d’Egypte. Ce repas commence par une question, et le plus jeune autour de la table pose la question suivante :

« Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? »

Dans cette tradition spirituelle, il est intéressant que la Pâque commence par une question, car c’est un processus de libération de la parole. La question fait que cette parole qui était détenue comme prisonnière, en exil en Egypte, puisse advenir comme durant la traversée du désert puis de la Mer Rouge.
Pour nous, l’importance de la question c’est aussi de prendre conscience qu’à chaque génération, par ce questionnement suscitant l’avènement de la parole, nous avons à sortir d’Egypte, à sortir de nos esclavages. Dans cet état d’esclavage, la parole est comme cadenassée, et il y a un jeu de mots en Hébreux au sujet de l’Egypte car il signifie « étau », « confiné », lieu où la parole est inexistante.

Dans le récit d’Emmaüs, il est intéressant de voir que le Seigneur entre en conversation avec les disciples en leur posant une question :

« De quoi discutiez-vous en chemin ?… »

J’ai fait une recherche à ce sujet à travers les écritures, et parmi les récits de résurrection, la question est toujours présente :

« Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ?… »
« Pourquoi êtes-vous effrayés ? »
« Femme, pourquoi pleures-tu ? »
« Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? »
« Pierre, m’aimes-tu ? »

On le sait bien, à travers la question, c’est cette parole qui se libère. C’est aussi cette manière de nous dire nous-mêmes, dans une identité narrative. A chaque fois à l’occasion de Pâques, nous avons besoin de nous redire à nous-même que le Christ vient nous libérer par Sa parole. Quel est le seul jour où il n’y a pas de parole prononcée si ce n’est le samedi Saint.
La Pâque, c’est la parole qui advient à nouveau. Mais cette parole advient par une question pour nous permettre de cheminer, pour que nous puissions sortir de nos tombeaux, retrouver la parole, retrouver qui nous sommes, retrouver que nous sommes appelés à être des passeurs.
Vous le savez, Pâques signifie passage : passage de l’esclavage à la liberté, passage de la mort à la vie. C’est par le questionnement que le Seigneur invite les disciples à être des passeurs à leur tour, à se mettre en chemin. Ils découvrent qu’ils ont quelque chose à accomplir, à advenir. Ils sont comme dans un devenir. Et ce passage de la Mer Rouge par les Hébreux, ce passage de la mort à la vie nous transforme.

On le voit bien dans le récit d’Emmaüs : à la fin, les disciples ne sont plus les mêmes qu’au début, ils ont changé parce que cette parole a été prononcée, parce que la question du Christ les a mis en chemin, les a provoqués. Et c’est pour ça que pour nous même, il est important de voir la Pâque comme une pédagogie tout autant que comme un événement historique, si marquant soit-il. Par le questionnement, Il libère notre parole et nous fait ainsi découvrir qui nous sommes.

Frères et sœurs bien-aimés, nous avons à nous inspirer tant de la tradition juive que de l’exemple du Christ Lui-même quand Il s’approche de Ses disciples avec humilité, car à travers le questionnement, il y a cette interrogation qui pousse l’autre à aller plus loin.

Vous connaissez l’histoire de ce curé qui traverse sa paroisse en disant : « J’ai des réponses ! j’ai des réponses ! Qui a des questions ? Qui a des questions ? »
Car au fond, la question va faire advenir en nous quelque chose de nouveau, et à Pâques, c’est bien quelque chose de nouveau qui va advenir.
Oui, frères et sœurs, nous sommes invités à passer de l’autre côté de la Mer Rouge, de l’autre côté de la mort, pour découvrir que nous avons à nous mettre en chemin. Nous avons être devenir des hommes et des femmes de passage.

Demandons au Seigneur que cette expérience – car c’est bien ce dont il s’agit, une expérience spirituelle qui commence par une mise en chemin qui les a interrogés - soit un mode de procédé dans notre foi : ne nous lassons pas de nous poser des questions sur notre foi. Elle est pleine d’interrogations, car il y a des tas de choses qui nous surprennent, à commencer par la présence de Jésus sur l’autel après la consécration du pain et le vin. Il n’y a pas de questions idiotes, car la question est là pour nous faire accoucher de nous-même, pour nous révéler en nous-mêmes qui nous sommes. On en parle déjà avec Socrate, avec la maïeutique : il s’agit de découvrir la vérité que nous avons en nous-même. Il suffit qu’elle advienne au jour, que nous la "mettions au monde" pour la découvrir. C’est le même processus avec le maître qui pose les questions aux disciples. Ce qui est vrai en philosophie ainsi que chez nous aînés dans la foi, la tradition juive est vrai aussi pour nous : nous ne nous posons pas assez de questions, nous ne nous interrogeons pas assez sur notre foi. C’est sans doutes parce que nous avons peur, parce que ce n’est pas notre pédagogie…
Mais Pâques, c’est l’affirmation d’une pédagogie, une manière de faire, une forme d’enseignement.

Alors, on va demander que cet exemple des disciples d’Emmaüs qui, après avoir expérimenté, répondu et écouté la parole – « La Foi vient par l’oreille », nous dit Saint Paul – sont touchés par les paroles libératrices de Jésus et ont découvert que cette parole les rejoignait au plus intime. Que nous puissions faire cette expérience en famille, en communauté, car c’est cette parole qui nous fait passer de la mort à la vie : la parole de Dieu est vivante, elle est vivifiante.

« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous tandis qu’il nous parlait sur la route ? »

Pâques est un événement, c’est une rencontre spirituelle, une expérience spirituelle, mais c’est aussi une pédagogie. Demandons que nous puissions nous en emparer les uns et les autres pour que nous puissions progresser dans notre foi, et être sans cesse en cheminement, en avènement, pour découvrir que nous sommes les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 2,14.22b-33.
  • Psaume 16(15),1-2a.5.7-8.9-10.11.
  • Première lettre de saint Pierre Apôtre 1,17-21.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 24,13-35 :

Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé. Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Jésus leur dit :
— « De quoi discutez-vous en marchant ? »
Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit :
— « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit :
— « Quels événements ? »
Ils lui répondirent :
— « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant.
Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Il leur dit alors :
— « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.

Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna.
Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards.
Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. »

À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.